Nissëluimë et Krell

(provenance : le rassemblement des orcs à Dol Guldur)

Par une nuit sans lune dans les bois de Mirkwood, une cavalière revêtue d’un noir manteau, et chevauchant une monture à la robe couleur de nuit, s’avança sur un promontoire rocheux. Une faible brise souleva les pans de sa robe d’ombre, et ce fut comme si un rayon de lune déchirait les ténèbres, car un instant fugitif la robe d’Aman, tissée dans la lumière des Arbres, fut dévoilée au-dessous de son vêtement d’ombre. Puis le manteau retomba, et de nouveau la nuit reprit son droit. Depuis cette hauteur, Thuringwethil regarda vers l’est. Sa vision elfique lui permettait de voir, grâce à la pâle clarté des étoiles, une masse sombre se dressant au sommet d’un ancien volcan, une forteresse sinistre, autrefois fief de Sauron, et aujourd’hui la possession de Krell le Tyran, maître des Hordes de l’Est.

Tandis que ses yeux se perdaient dans la nuit, son regard parcourait les brumes du Songes Elfique. Dans ce lieu ou les formes étaient estompées, elle s’avança, et son apparence était telle qu’elle avait été de l’autre coté, une puissante Dame des Eldars. Sa peau de neige resplendissait de l’éclat de la lune, ses yeux noirs avaient en eux la brillance des étoiles, et toute sa silhouette était enveloppée d’une lumière éblouissante. L’ondulation de sa splendide chevelure d’ébène luisante la drapait comme un manteau.

Les brumes se déchirèrent devant son regard, et elle contempla l’esprit de Krell. Alors elle s’adressa à lui, d’esprit à esprit, grâce au Pacte de Sang qui liait ces deux êtres dissemblables.

« O krell, seul un souffle d’air nous sépare maintenant, et je t’ai amené la force de mes légions. Viendras tu me retrouver dans la nuit ? Car sous peu nous déchaînerons notre fureur sur la Terre du Milieu, et les aubes qui succèderont aux nuits seront rouges du sang versé. Je sais ton esprit tourmenté, mais cette nuit je peux te faire oublier pour un temps le fardeau qui pèse sur tes épaules »

Les pensées brutales de Krell heurtèrent celles de Thuringwethil, comme une avalanche de montagne s’abattant dans une paisible vallée… Mais la femme elfe était habile sorcière, et son esprit de glace était comme une puissante citadelle retranchée au sommet de montagnes enneigées. Mais ce furent les paroles du Tyran qui fouettèrent l’orgueil de l’Eldar. Des paroles qui reflétaient une assurance incroyable, la certitude d’un fou persuadé de sa propre toute puissance. Elle essaya alors de s’insérer dans son esprit, mais celui-ci était aussi fuyant qu’une anguille et aussi ferme que le roc… Il y avait là une sauvage volonté indomptable, qui le mettait à l’abri de ses sortilèges, aussi n’essaya t-elle pas l’un de ses tours, qui aurait irrémédiablement été voué à l’échec. Elle conçut quelque inquiétude devant cette résistance, et devant les menaces sous jacentes qu’elle avait su percevoir.

Elle lui répondit, contemplant par-dessus le gouffre de la forêt les yeux de braise du Tyran :

« J’arrive, mon Seigneur. Il en fera fait selon ta Volonté, Puissant Krell ».

Grâce à sa grande connaissance du Songe Elfique, et bien que l’esprit de Krell soit comme une impénétrable forteresse renfermant ses plus secrètes pensées, elle était néanmoins parvenue à voir, l’espace d’un fugitif instant, par les yeux du guerrier : des visions de violence, le déchaînement d’une furie barbare, et l’assouvissement de plaisirs frustres…

Elle murmura quelques mots à Gwaewhîr, son fougueux étalon noir, et celui-ci redescendit de l’éperon rocheux sur lequel sa cavalière avait pu contempler la forteresse de Dol Guldur. La monture se dirigea vers la cité de tentes qui s’étendait autour de l’antique place forte. Il ne lui fallut pas beaucoup de temps pour arriver aux limites de ce campement, une porcherie pour un peuple de porcs, du moins c’était ainsi qu’elle les considérait.

Elle toisa de son regard froid et méprisant les orientaux qui refluaient avec désordre et terreur devant son escorte, dix énormes trolls à la peau dure comme de la pierre, portant de gigantesques maillets de guerre longs comme un homme de grande taille. Les trolls poussaient des cris gutturaux, et une allée dégagée se forma devant Thuringwethil et son escorte. Car si les orientaux étaient un peuple de féroces guerriers, et qu’en cette heure ils étaient ivres de bières et des massacres à venir, la silhouette de ces dix colosses sombres et portant des plaques d’acier épaisses comme des enclumes en guise d’armure avait de quoi dégriser le plus stupide guerrier au front épais. L’elfe était revêtue de son immense cape noire aux bords déchiquetés, et cette cape absorbait la lumière qui tombait sur elle. Sa chevelure noire et brillante ondulait dans son dos, et ses yeux noirs étaient fixés vers le géant qui se tenait au bout de l’espace dégagé devant elle par la terreur inspirée par les trolls. Enfin elle parvint auprès de l’immense guerrier, et descendit de son cheval.

D’un geste impérieux, elle fit signe aux trolls de rester en retrait, et ceux-ci se tinrent à coté de gardes pourpres qui n’étaient guère plus impressionants que des hobbits vêtus de rouges en comparaison des créations de Morgoth.

Puis elle s’avança vers Krell, et s’agenouilla devant lui :

« Comme tu l’as ordonné, seigneur Krell, je viens à ton appel. Ta Volonté pour la mienne, maître ».

Les paroles étaient chantantes, et pour quelque obscure raison, le son porta auprès de tous les auditeurs présents, malgré le vacarme ambiant.

Thuringwethil eut un frisson lorsque le roi guerrier s’approcha d’elle. Le fait que son esprit lui soit impénétrable la désarçonnait ; jamais elle n’aurait imaginé une telle puissance dans un esprit humain, et encore moins dans un oriental brutal et frustre… Krell était un atavisme, comme l’incarnation de quelque force élémentaire et brutale. Ele dû se contrôler pour ne pas reculer devant le poing énorme qui lui effleura le visage. Une pique acérée laissa une trace sanglante sur son visage, mais la sorcière elfe ne broncha pas. Elle regarda finalement disparaître la silhouette énorme, puis elle porta une main pâle à sa joue, ou une fine goutte de sang perlait. Elle la porta à ses lèvres, murmurant :

« Un bain de sang sera ma couche… Qu'il en soit ainsi! Tremble, Eodred, ton Peuple est condamné ! »

Puis elle appela d’un sifflement son cheval, Gwaewhîr, et le monta à cru, selon son habitude. La nuit sembla l’engloutir, tandis que les ombres énormes des trolls de son escorte la suivaient en bousculant la marée humaine des hordes de l’est.

(direction : le rassemblement des orcs à Dol Guldur)