~ Le Jardin de la Reine ~

Gaheris sortait à l’instant de sa chambre. Le jeune homme, s’il n’est occupé à donner quelque ordre à ses subordonnés ou qu’il ne remplit ses fonctions de capitaine de la garde de la reine, passe une grande partie de son temps libre dans sa chambre. Là, il écrit des poèmes, des chants à la gloire des puissants d’autrefois. A l’instant, il vient de terminer un lai d’une longueur sidérante. A vrai dire, Gaheris ne jouit que très peu de cette notoriété qu’on lui attribue de par ses écrits. Pour lui, cela n’est qu’une simple transposition de mots de son esprit au papier. Aussi, lui arrive-t-il d’en jeter certains car, non pas les trouvant dénudés de beauté, au contraire, mais plutôt parce qu’il n’attache que très peu de valeur sentimentale à ce qu’il possède.

Les couloirs que traversait le capitaine étaient couverts de tapisseries aux magnifiques motifs. Celui ou celle qui les avait confectionnés avait fait preuve d’un talent remarquable et avait su jouer des couleurs et donner un ensemble de teintes plus sublimes les unes que les autres. Sur l’une des tapisseries était l’emblème de la maison de Haleth. Gaheris s’attarda quelques instants à la contempler avant de reprendre sa marche. Il arriva bientôt devant un porte qui elle-même donnait sur un autre couloir. Depuis le temps, il connaissait par cœur les pièces du palais. Celui-ci n’avait, pour ainsi dire, plus de secrets à ses yeux. En chemin, il croisa deux gardes en armure, la hallebarde à la main, l’autre sur le pommeau de leur épée. Tous deux saluèrent le capitaine et réciproquement. Marchant d’un pas souple et ferme, Gaheris se retrouva enfin à l’extérieur. Il respira l’air frais de ce début de matinée. Une légère brise soufflait et venait lui fouetter le visage. Elle emportait avec elle les parfums salés de la Grande Mer. Maintenant, le capitaine se dirigeait vers le Jardin d’Argent. Il savait la reine s’y trouvant à ses heures et allait pour lui tenir compagnie. D’ailleurs, depuis que le roi s’en fut allé, Gaheris est très proche de la reine.

Les buissons touffus formant de puissants halliers sont parsemés de roses rouges et blanches. De ça et là sont achillées, dahlias, primevères et autres tulipes. Un peu partout des bancs de pierre finement sculptés sont dissimulés, placés à la merci des gens de passages las de leur périple à travers ce que certains appellent « La merveille d’Amon Obel ».
Gaheris passe plusieurs arches que constituent les branches entrelacées de grands ormes. Une arche, plus petite et moins grossière que les autres se trouve au bout d’un couloir de haies. Une fois franchie, Gaheris la distance d’une bonne dizaine de mètres avant de bifurquer à gauche. Une fontaine où coule une eau cristalline reflète le visage de l’homme qui se penche légèrement au-dessus du bassin. Après s’être contempler un court moment, il reprend sa route. Finalement, il arrive au terme de son voyage : une court intérieure, à l’abri des regards et dont seules les personnes connaissant son existence ainsi que le chemin y conduisant peuvent s’y rendre. C’est là le jardin de la reine. Un parterre d’herbe verte et grasse traversée en son milieu par un sentier de gravier accueille Gaheris. La reine et sa fille s’y trouvent. Le capitaine va à leur rencontre. Il s’incline devant sa maîtresse.

Le bonjour, ma reine.

Gaheris ne peut qu’admirer les traits de la beauté elfique. Ce visage angélique et ces yeux d’un bleu azur qui vous entraînent et dans lesquels l’on aimerait plonger.
Enfin, il se redresse. Non loin de là, l’enfant, à dos de cheval, s’amusait et poussait de petits cris de temps à autre.

Je suis ravi de voir que la petite se porte à merveille, dit Gaheris d’un ton jovial.

Alors que sa petite fille commençait à ramper résolument vers un buisson, Siléas se leva gracieusement, fit quelques pas, et récupéra la jeune enfant téméraire. En souriant elle regarda le petit bout de choux et elle remit près d'elle afin.

Siléas reprit alors ses rêveries. Handir était partit tellement vite...il l'avait laissé seule et enceinte. Il n'avait encore jamais vu sa fille et Siléas avait longuement pleuré de ne pas l'avoir eu à ses côtés pour l'accouchement.
Il lui avait promis de ne plus jamais la quitter et pourtant cela faisait plus de huit mois qu'il était partit dans la forêt de Brethil. La reine doutait fortement que la forêt soit aussi immense pour demander huit mois afin de la visiter. Mais elle venait de se souvenir de tous les petits villages éparpillés dans la forêt. Handir avait du s'arrêter dans chacun d'entre eux afin de rendre la justice du roi et de montrer que la maison d'Halet avait bien reprit en main Amon Obel et toute la forêt.

Soudain alors qu'elle continuait à penser à son doux amour, elle entendit des bruits de pas s'approcher, quelqu'un s'avancait dans sous les arches et venait vers le jardin de la reine. A ce pas décidé elle reconnut immédiatement la démarche de Gaheris, son fidèle et cher ami.
Il était peut-être le seul ami sincère qu'elle avait dans le palais. Les autres étaient tous très gentil et respectueux mais aucun n'était aussi sincère et franc que Gaheris.

Elle l'accueillit avec un grand sourire et inclina la tête avec respect lorsque l'homme la salua. Elle avait autant de respect pour lui que lui pour elle.



Les yeux de l'halladin se posèrent alors sur Elerinna qui jouait paisiblement avec une touffe d'herbe près du banc. Cette scène fit rire doucement Siléas qui attrapa la jeune enfant pour la prendre dans ses bras. Elle commençait déjà à avoir les traits elfiques, ses cheveux blond, presque blanc poussait abondament sur sa tête et de fines oreilles aux courbures elfiques commençaient à apparaitre. Seul ses yeux d'un vers émeraude lui donnait l'aspect humain de son père. Mais même avec ses traits elfiques Siléas voyait tout Handir dans la jeune enfant. Son nez droit et fin, ses joues légèrement roses, son menton aux formes parfaites. Tout en elle s'accordait harmonieusement.



Siléas marqua une pause et redressa ses yeux bleus vers Gaheris, son visage avait repris son sérieux sans pour autant perdre son sourire.



Son coeur ne demandait que des nouvelles d'Handir et chaque jour la reine posait inlassablement cette question et chaque jour Gaheris y répondait négativement. Plongeant ainsi la reine dans une tristesse qu'elle cachait parfaitement. Pourtant aujourd'hui Siléas espérait plus que les autres jours. Etrangement elle s'était souvenue qu'un an auparavant elle avait fait la rencontre de l'homme qu'elle aimait passionnément. Un an jour pour jour...et peut-être qu'aujourd'hui elle aurait des nouvelles de lui...peut-être...

Lorsque Siléas lui posa la question fatidique, Gaheris fronça les sourcils. Depuis que le roi était parti, elle lui posait toujours la même question. Au début, Gaheris répondait d'un simple non, parfois, il tournait la tête de gauche à droite en signe de négation mais cela commença à lui peser lourd dans le coeur. Il ne pouvait pas supporter de voir cette face sur laquelle le temps n'avait aucune emprise se refermer alors qu'elle était belle et épanouie alors. D'ailleurs, quand il la regardait, cette elfe aux attraits de velours, Gaheris ne pouvait s'empêcher d'envier son roi. Mais tout cela trônait secrètement dans son esprit. Il ne laissait paraître aucun sentiment extérieur qui aurait pu trahir ses pensées. Pour la reine, il n'était qu'un ami, un simple ami à qui l'on se confie volontiers, sans craindre qu'il parlera par la suite.

A présent, il devait lui répondre. Il s'assit à côté d'elle. Il prit sa respiration. Qu'allait-il bien pouvoir lui dire ? La sempiternelle phrase qu'il prononçait sentencieusement ? Non, pas cette fois. Il parut réfléchir et enfin lâcha:

Vous savez à quel point cela m'afflige de devoir vous répondre à chaque fois la même chose... Je ne voudrais en aucun cas vous donner de faux espoirs mais... si cela s'avérait vrai... des hommes revenus de postes avancés auraient ouïe dire que le roi était revenu de son voyage et qu'il arriverait tout prochainement à Ephel Brandir.

Cela n'était qu'en partie vrai. Des bruits circulaient comme quoi le roi Handir n'était pas mort, ainsi que le supposaient certains. Mais qu'au contraire il avait entamé le voyage de retour. Bien sûr, l'on ne pouvait se fier aux ragots et Gaheris encore moins. Aussi prenait-il des risques en fabulant quelque peu les faits. Mais que n'aurait-il pas fait pour voir le sourire sur le visage de la reine ?

Le visage de la reine s'illumina, celui de Gaheris reprit ses teintes habituelles. Le capitaine admirait la courage de cette elfe qui, malgré la pression qu'elle subissait depuis maintenant plusieurs mois, des prêtresses la poussant à prendre époux, avait su rester forte et ferme face aux médisances d'autrui. D'ailleurs, Gaheris aurait dû faire la sourde oreille pour prétendre ne pas être au courant de ce qui se disait au sujet de la reine: paroles échangées discrètement par les courtisanes lorsqu'elle avaient un moment de libre. Dans la cité d'Ephel Brandir, la vie privée de la reine était devenu sujet de discutions, de discorde parfois aussi car rares étaient les personnes qui croyaient au retour de leur roi.

Gaheris, lui comprenait l'elfe. Il n'aurait su l'expliquer mais c'était ainsi. Peut-être était-ce le fait de ce côté elfique qu'on lui prêtait. Peut-être était-ce aussi pour cette raison que la reine se sentait très proche de lui.

"Il a du sang elfique" disaient les ragots.

Gaheris n'y prêtait aucune attention.

Puis le visage de la reine radieux s'éteint soudain. Son expression se durcit quelque peu mais les traits de la beauté elfique perduraient. Gaheris cru apercevoir une larme couler le long de la joue aux pommettes saillantes et brillantes.

" J’aimerai qu’elle cesse de me harceler avec leur paroles…j’aimerai qu’elles comprennent que je n’avais jamais demandé à être reine de Brethil. Pourquoi elles s’amusent à me torturer ainsi ? "

A cet instant, Gaheris aurait donné n'importe quoi pour ne pas avoir à répondre à la reine. Il n'avait jamais été très à l'aise face à ce genre de situations. S'il l'avait pu, il lui aurait donné réponse sous forme d'un poème aux maints vers pleins de réconfort, de courage. Tout ceci il aurait voulu l'exprimer par la voie qui lui était la plus facile. Pourtant, il se devait d'aider la reine dans ces moments de solitudes, c'était son devoir.

Vous savez... toutes ces médisances... si futiles soient-elles peuvent vous blesser, vous agacer, je le conçois. Mais vous devez être forte. Ces femmes... ces hypocrites vous jalousent. Combien auraient sacrifié leur vie pour être à votre place ? Et puis vous n'êtes pas seule. Je suis là moi.

Il aurait voulu la prendre dans ses bras, consoler cette elfe, la libérer de ses chagrins. Mais la décence et son statut ne le lui permettaient en aucun cas. Il se contenta de la toiser. Son regard dans le sien.

La présence de Gaheris a ses côtés était d'un immense réconfort pour la reine. Siléas ne se sentait plus aussi seule, elle avait quelqu'un à qui elle pouvait essayer d'expliquer ce qu'elle ressentait. Depuis qu'elle s'était liée d'amitié avec le capitaine de sa garde, elle l'avait toujours trouvé très à l'aise avec ses vieilles habitudes elfiques qu'elle aimait à garder. Certaines dames du palais rappelaient poliment Siléas à l'ordre lorsqu'elle s'adressait publiquement à sa fille en elfique. Au début cette interdiction l'offensée, elle ne comprenait pas pourquoi elle devait parler à sa propre fille dans la langue commune exclusivement. Mais elle avait finit par comprendre que la jalousie de certaines, faisait qu'elles avaient envie de savoir ce que la reine disait.

Depuis le départ du roi, bien des choses avaient changé à Amon Obel. Siléas conservait l'autorité dû à son rang mais sans Handir à ses côtés elle était presque considérée comme une étrangère par certaines personnes médisantes.
Alors parler en elfique à l'héritière du trône était plus que déplacé à leur yeux.

Mais avec courage Siléas avait fait mine de ne pas voir, depuis un an elle faisait mine de ne rien entendre sur le voyage de Handir, trop longtemps elle s'était renfermée dans l'espoir d'être apprécié par un peuple qui n'était pas le sien. Bien des soirs, seule avec sa fille, Siléas avait souhaité atteler sa jument et repartir au galop vers sa verdoyante forêt de Lorién.

Puis la réponse de Gaheris sonna à ses oreilles, il lui disait que bien des femmes du palais auraient été heureuse d'être a sa place. Que la jalousie les faisait se comporter de la sorte. Siléas sentit la colère monter en elle, pas contre son ami...non...Gaheris ne faisait que lui reportait ce qu'elle savait déjà inconsciemment.

Elerinna dans les bras, Siléas se leva alors brusquement et se tourna vers le garde assis sur le banc. Une flamme de colère brillait au fond de ses yeux.




La colère se faisait sentir dans le ton de Siléas. Toutes les femmes d'Amon Obel n'était pas comme ça, mais elle en connaissait quelques unes qui ne se gênaient pas de la médire même à son passage sans redouter de punition.

Quand son regard se posa à nouveau sur Gaheris, Siléas sentit sa colère s'évaporer. Elle s'approcha de lui et déposa sur les genoux du garde la jeune princesse, chose qu'elle n'avait encore jamais faite. A part l'épouse de Belfalas, personne n'avait encore porté la petite princesse.
Aujourd'hui Siléas en avait assez des convenances, elle faisait confiance à son ami et pour lui prouver encore un peu plus sa reconnaissance, elle posa délicatement sa main sur l'épaule de Gaheris et lui adressa un sourire plus franc.



Sur ses mots Siléas se pencha et baisa le front du garde, comme tout les elfes ont l'habitude de le faire entre eux. Elle lui donnait donc la preuve de l'importance qu'il avait dans le coeur de la reine. Aujourd'hui Siléas avait décidé de se montrer forte, pour Handir, pour Elerinna et pour cet ami si dévoué qu'elle avait. L'honneur de porter la princesse était plus que rarement accordé et Siléas ne manifesta pas l'envie de reprendre sa fille, elle la laissait au soin du garde pendant qu'elle faisait le tour du jardin pour regarder l'état de ses rosiers. Son visage était redevenu lumineux, un doux sourire avait retrouvé sa place sur ses lèvres et elle laissa même aller au point d'entamer une ballade elfique de la Lorién pour le plaisir de sa fille et de son ami.

Le soleil montait dans le soleil et approchait du zénith. Ses doux rayons baignait les jardins dans une clarté éblouissante et les larges feuilles qu'ils transperçaient apparaissaient plus riches, cristallines. A la vue de cet épais drap blanc lumineux, l'on comprenait plus facilement la raison de l'appellation de cet eldorado de verdure. La cour dans laquelle ils se trouvaient fut inondée de la lumière astrale. Et cette elfe qui s'était levée et qui trônait ainsi au milieu de cet espace intensifiait la magie qui régnait déjà

Lorsque la reine entra dans cette colère si peu coutumière, Gaheris enfuit son visage dans ses mains. Certes, il connaissait cette colère mais ne la supportait que trop peu. Cette elfe avait enduré mille tourments depuis le départ de son roi. Ô combien aurait-elle voulu se trouver parmis les siens en ces instants difficiles marqués par l'absence de l'être aimé. Elle était forte. Et de la force, il en fallait pour affronter les mépris et autres railleries de viles comères dénudées de scrupule.
A ce moment, on eut dit qu'elle s'était allongée, mue par l'irascibilité grandissante, avant de retomber dans ce calme impénétrable, parfait. La fureur qui l'habitait alors s'en fut et elle redevint Siléas Ildien, reine du royaume de Brethil, épouse de Handir, souveraine du peuple des Halladins.

Puis, s'approchant de Gaheris, elle déposa un baiser sur son front. Le capitaine ressentit un frisson lui parcourir tout le corps. De sa vie il n'avait éprouver une telle sensation. C'était à la fois doux et terrible. Là, il sut le pouvoir qui animait cette race, l'impression qu'elle laissait. Aucun être humain ne pouvait y être insensible, cela était chose sûre. De ce geste, elle lui témoignait toute la gratitude qu'elle avait à son égard. Et lorsqu'elle lui tendit l'enfant afin que Gaheris la porte dans ses bras inexpérimentés, peu habitués à ce petit être frêle, cela confirma l'importance qu'avait le capitaine aux yeux de l'elfe. Il la regarda, Elerinna, et progressivement, petit à petit, il s'accoutuma à l'enfant. Si petite et déjà elle avait tout des attraits elfiques. Elle ressemblait à sa mère. Pourtant, il lui manquait un père. Et ce n'est surtout pas ce rôle que pourrait remplir Gaheris. Il sourit à la petite. Il lui sembla qu'elle le lui rendit mais ce ne fut qu'une impression.

Siléas se mit à changer. De sa voix pure sortit un son clair et envoûtant. Gaheris était comme fasciné par cette intonation elfique, onduleuse. Les mots coulaient tels une cascade ruisselante. Gaheris se sentit emporte par ce flot, tenant Elerinna au creux de ses bras, il ferma les yeux. Il était en Lorìen. Bien qu’il n’ait jamais vu cette contrée de la Terre du Milieu, il savait qu’il s’y trouvait. Les grands ormes apparaissaient par dizaines, leurs feuilles prisent dans une danse virevoltante, poussées par la vois de l’elfe. Et le sol d’herbe verte et grasse arrosé par une petite rivière aux mille méandres et dont les eaux fuyaient à toute vitesse. Lorsqu’il rouvrit les yeux, Gaheris ne se trouvait plus dans cette belle clairière. Mais son charme s’était comme transposé et l’elfe y pavanait gaiement, le pas léger, l’air serein.

"Elerinna semble beaucoup vous appréciez"

Gaheris posa successivement son regard sur la reine, puis sur sa fille. Il est vrai que depuis que le capitaine avait la petite dans ses bras, il se sentait comme apaisé. Et ce sentiment était sans doute réciproque puisque la princesse n’avait poussé de petits cris plaintifs, signe du mécontentement de nombre de bébés à cet âge. Au contraire, on pouvait presque lire un petit sourire sur le visage du nourrisson à l’encontre de Gaheris. Celui-ci reçut ce sourire comme une marque d’affection. C’est à ce moment qu’il comprit vraiment qu’il lui fallait un père. Que ce petit être ne pouvait grandir avec l’absence de son paternel. Il fallait que le roi revienne. Ou Gaheris partirait à sa recherche, il en fit le serment.

Siléas acheva sa ballade et vint s’asseoir aux côtés de Gaheris. Il la regarda. Elle avait fermé les yeux et semblait s’être échappé de ce lieu. Elle pensait certainement à quelque endroit de cette Terre du Milieu habité encore par la magie des elfes. Elle pensait à la Lorìen. A ses vertes contrées baignées par la lumière d’un puissant soleil. La nostalgie de sa patrie, de ce qu’elle a appris a aimer, de ce qui lui était cher en son cœur, devait être d’une amertume profonde.

Alors, elle lui dit qu’un jour, proche ou lointain, elle retournerait là-bas, en Lorìen. Là-bas où elle avait grandi. Et prendre Elerinna avec elle. Lui faire découvrir une partie de ses origines. Qu’elle sache qu’elle n’a pas que du sang humain. Qu’elle est née de l’union d’un mortel et d’une elfe.

Puis, lorsqu’elle lui dit qu’elle le voudrait à ses côtés ce jour venu, Gaheris eut comme un frisson rien qu’à l’idée de s’imaginer au royaume des elfes. Il était comme un gamin, tout excité, à qui on a promis de l’emmener avec nous s’il a été sage. Malgré toutes les différences physiques et morphologiques qu’il puisse y avoir entre lui et un quelconque elfe, il se sentait très proche d’eux. Ô combien n’avait-il pas rêvé de voir un jour le monde des elfes. Et ce désir allait peut-être se réaliser.
Mais pour l’instant, ce qui compte était le retour de Handir. La reine ne pourrait supporter encore plus longtemps de savoir son époux peut-être mort, peut-être envie, rongée par le doute.

Quand elle lui parla, lui faisant part de son envie de voir Gaheris à ses côtés Lorìen, le capitaine ne répondit d’abord rien.

Il prit une profonde inspiration et entama la déclamation de vers lui venant soudainement à l’esprit :


« La route se poursuit sans fin
Où donc sont passés les beaux jours
Passe la pluie, tombent les feuilles
Passe au trépas que le temps cueille
Enfin, reviendra mon amour
La route se poursuit sans fin »


Quant il eut fini, une sensation de gêne parcourut Gaheris. Il était rare qu’il se dévoile ainsi, qui plus est devant la reine. Mais peut-être de cette façon le comprenait-elle mieux ? Il s’était en quelque sorte mis à nu, dans son plus simple appareil. Il n’osa regarder l’elfe. Il ferma les yeux.

La reine respecta le silence de son ami, après tout elle aimait beaucoup ce genre de silence. Dans ces moments, il n'est point besoin de mot pour se parler, les émotions volent dans l'air et communique entre elles.
Pourtant, contrairement à l'habitude, Gaheris rompit ce silence et parla de manière douce et poétique.
Siléas tourna son visage vers l'homme et le regarda avec surprise.
Pendant un bref instant elle avait reconnut les vers poétiques digne de grand aède elfe.
Elle aurait pu imaginer Gaheris dans la cour du palais de Lothlorién en train de déclamer de longs vers onduleux et enchanteur.

Après ce moment de stupeur, la reine s'attacha au sens des paroles de son ami. Il avait raison, tant de jours étaient passés où elle avait vu tomber les feuilles, briller le soleil et tomber la pluie. Mais une chose était sure, Handir reviendrait, elle en était certaine.

Maintenant tout était clair pour elle, si Handir était mort, elle l'aurait sentit. Elle ressentait ce lien qui l'unissait à son roi, ce lien si fort et si doux qu'elle l'avait presque prit pour l'amour qu'elle portait à Handir. Mais il s'agissait de bien plus, d'amour réciproque. Elle ressentait l'amour d'Handir, elle entendait son coeur battre, elle était comme l'air gonflant ses poumons.


Oui elle voyait, elle arrivait à voir ce que tant de personne l'empêché de regarder. Elle pouvait poser les yeux sur l'homme qu'elle aimait. Il était là, tout près d'elle, il était dans son coeur et elle le sentait vivre.

L'espoir rennaissait à nouveau dans le coeur et dans l'esprit de la reine. C'est une chose de parler d'espoir il en est une autre d'y croire de tout son coeur.
Et maintenant, en cette journée ensoleillée, la reine avait enfin retrouver son sourire. Ce sourire qu'elle avait amené de Lorién, ses yeux pétillés à nouveau, l'éclat pur qui avait quitté son visage était revenu plus brillant qu'autrefois. D'un geste léger, Siléas attrapa la broche qui retenait sa longue chevelure en un chignon. Un petit geste vif et une cascade d'or tomba sur ses épaules et glissa jusqu'au plus bas de ses reins.

Ses longs cheveux avaient depuis un an était retenu, et de retrouver leur liberté ils n'en étaient que plus éclatant.
La petite Elerinna regarda sa mère avec un autre regard et elle commença a étirer les bras pour toucher cette texture soyeuse. Mais Siléas ne fit aucun mouvement pour retirer l'enfant des bras du garde. Elle sourit à sa fille et lui caressa le visage d'une main douce et légère.

Siléas, la reine de Brethil, était enfin revenue, elle était redevenue la jeune elfe qu'elle croyait avoir perdue dans les profondeurs de sa douleur.
Dès aujourd'hui elle se chargerait de reprendre les rênes du palais, elle ne se tairait plus devant les médisances de certaines dames de la cour. Elle ne se laisserait plus insulter et elle commencerait à reprendre son rôle de reine comme autrefois.
Elle voulait qu'Amon Obel soit comme avant, pour que Handir se sente comme chez lui à son retour. Le printemps arrivant, elle pourrait composer des couronnes de fleurs et décorer le palais pour le retour de la troupe du roi. Un festin serait organisé et tous les Haladins environnant y serait conviés.


Le sourire illuminé à nouveau son visage, et elle leva son regard d'autrefois vers son ami. Il avait été le plus précieux des amis, grâce à lui elle n'avait pas sombré dans la peine et la douleur d'avoir perdu son amour. Grâce à lui elle avait vu ce lien qui la lié à Handir. Siléas avait une dette immense envers Gaheris et elle se chargerait un jour de la payer.


La reine avait tellement envie de le remercier pour ce qu'il avait fait.

Quel est votre voeu le plus cher ?

Ces mots résonnaient dans sa tête.
Quel était son voeu le plus cher, au fait ? Gaheris n'en avait la moindre idée. D'ailleurs, n'avait-il jamais souhaité quelque chose ?
Le visage de l'elfe qui avait passé de la surprise lors de la déclamation du capitaine à l'illumination la plus totale l'interrogeait, lui Gaheris. Il ne savait quoi répondre. Toute sa vie, il l’avait passée sans demander quoi que ce soit à quiconque. Et là, c’était elle qui lui demandait ce qu’il voulait, ce qu’il désirait le plus au monde. Gaheris aurait pu faire preuve d’égoïsme en demandant la lune mais il n’en fit rien. Son éducation ainsi que son rang le lui interdisait tout simplement. Mais Siléas attendait une réponse. Gaheris ne voulait pas la vexer en gardant le silence. Il chercha les mots dans sa tête et dit finalement :

Votre seul bonheur suffit amplement à assouvir mes envies les plus chères.

Alors il se souvint. Il avait toujours rêvé de partir un jour loin de Brethil. Quitter ce monde humain. Et voir la Mer. La Grande Mer. Cette étendue bleue, ce désert aux immensités interminables. Le royaume d’Ulmo.
Depuis tout petit, il en rêvait secrètement. Il espérait que ce vœu allait s’exaucer. Et voilà qu’une opportunité s’offrait à lui. Il n’avait pas su la saisir.
Maintenant qu’il avait parlé, il ne pourrait revenir en arrière mais une voix dans sa tête lui dit qu’il en valait mieux ainsi.

Il sourit à Siléas. Elle lui rendit son sourire. Ils étaient là tous deux à présent, à ne pas savoir vraiment quoi dire.

Gaheris n’attendait pas de réponse de la reine quant à ce qu’il venait de lui dire. Il se contenta de la regarder avant d’ajouter :

Je crois que j’ai suffisamment abusé de vous pour le moment. Je dois aller relever la garde et j’ai encore quelques paperasses à remplir.

Cela était naturellement faux, bien que Gaheris ne fût pas du genre à oublier ses devoirs de capitaine. Mais à cet instant précis, il désirait ne plus se trouver en compagnie de la reine. Certes, ce qu’il faisait était fort cruel car il savait l’elfe s’ennuyant lors de ces moments de solitudes et qu’elle prenait un réel plaisir à converser avec le capitaine.

Il se leva. Dans ses bras se trouvait encore la petite Elerinna. Il lui passa un doigt sur la joue, la caressa, avant de la tendre à sa mère.

Je crois qu’elle s’est endormie, dit-il en esquissant un léger sourire.

Puis, il prit la main de la reine et la porta à ses lèvres en signe de salut.

Les beaux jours reviendront

Il dit cette phrase pleine d’espoir avant de s’en retourner.

Alors que Gaheris s'apprêtait à quitter soudainement le jardin de la Reine, un éclaireur fit son apparition. Devant son air inquiet Siléas se leva et vint lui faire face. De la joie et de la peur se lisaient sur son visage. Et elle comprit alors que les mots qu'il allait prononcé lui ferait surement le même effet qu'à lui.
Comme il reprenait rapidement son souffle, la reine eut le loisir de l'observer et elle remarqua qu'il s'agissait d'un éclaireur qui n'était habituellement pas en poste à Amon Obel. Il venait donc de la forêt et lui apporter peut-être des nouvelles redoutables...une nouvelle invasion...une partie de la forêt qui aurait prit feu...

Mais ce qu'il lui déclara était encore pire que ce qu'elle imaginait. Elle eut d'abord un immense sursaut de joie et de bonheur mais il fut vite balayer par une peur et une douleur immense. L'état du roi semblait plus que précaire et il demandait à la reine de se rendre auprès de Handir pour lui apporter les soins nécessaires.

Sans même réfléchir, elle attrapa sa fille et la blottit dans ses bras pendant qu'elle saluait d'un signe de tête l'éclaireur.
Elle ne pouvait prononcer aucun mot tellement les émotions qu'elle ressentait en elle était pertubées et embrouillées.
Elle partit d'un pas rapide jusqu'à la salle du trône où elle rencontra Néla sa dame de compagnie. Sans un mot elle confia son enfant à la demoiselle et courut à son dispensaire prendre son sac de guérisseuse.

Elle descendit les escaliers de nacre et c'est à ce moment là qu'elle se rendit compte de l'agitation qui régnait autour d'elle. Les Halladins avaient été prévenu pour leur roi et tous étaient sur le qui-vive. L'éclaireur qu'elle avait laissé dans le jardin de la reine se trouvait au bas des marches et tenait dans ses mains les rênes de sa jument blanche et celles de son propre cheval. Sans plus tarder Siléas grimpa sur la scelle et prononça quelques mots à l'oreille de sa jument.

Aussitôt les deux cavaliers partirent à travers la forêt à grande allure. Mais la finesse des cavaliers et l'agilité des chevaux leur permettaient cette cadence soutenu.

[suite dans "La blessure du passé"]

D'un geste de la main, Gaheris chassa les mornes pensées qui s'étaient installés dans son esprit et qui le rongeait de remords, à présent. Il allait quitter la cour, la fontaine, le banc sur lequel, quelques instants plus tôt, il conversait agréablement avec la reine. Dans sa tête, il repassa tout ce qu'ils s'étaient dits, le réconfort qu'ils s'étaient apportés mutuellement. Le courage qu'il avait fait renaître dans le coeur de l'elfe en lui faisant part des rumeurs circulant sur l'éventuel retour du roi Handir. Il était arrivé, Gaheris, tous deux s'étaient salués, elle lui avait tendu Elerinna, ce petit être si attachant, il lui avait redonné du courage, puis, il s'était mis à nu, avait déclamé ces vers qui lui valurent une profonde honte, elle lui avait demandé quel était son voeu le plus cher... et il était parti. Il l'avait abandonné...
Gaheris s'était arrêté. Des bruits de pas précipités qui résonnaient durement sur le sol le ramenèrent alors à la réalité, le sortirent de ce songe pesant. Un homme, un éclaireur à ce que put constater Gaheris, déboucha à l'angle d'une allée de haies touffus pour arriver en trombe dans la cour pavée. Il ne prêta aucune attention au capitaine mais Gaheris, contrairement à d'autres jours où il aurait considéré ce manque d'égard comme un affront, bien qu'involontaire, s'en moqua. Il se retourna et regarda en direction de l'homme aux allures effarées pour voir s'il allait enfin s'arrêter dans sa course folle. Dans un freinage brusque qui lui fit presque perdre l'équilibre, il se stoppa net devant la souveraine, toute surprise de cette arrivée abrupte.


La respiration hachée, haletante, il s'inclina devant la reine et eut un mouvement en direction du capitaine comme pour s'excuser d'être passer à toute vitesse devant lui sans lui adresse le moindre salut. Inspirant de grandes bouffées d'air, il reçut enfin à articuler d'une voix plus ou moins intelligible:


Ma reine, nous avons retrouvés notre souverain, votre époux. Nous n'avons aucune nouvelle de la Compagnie d'Argent qui l'accompagnait. Pire que cela, le roi a été retrouvé prêt d'un ruisseau dans un état des plus inquiétant... ma reine, j'ai bien peur que les racines du mal, jadis semé par le Noir Ennemi du monde, se soient enfoncer plus que jamais dans sa chair... notre chef a requit votre aide le plus rapidement possible ainsi que celle de tous les guérisseurs et guérisseuses qui pourraient se trouver en ce moment sur vos terres. Le temps nous est compté…


Le visage de la reine s'illumina lorsqu'il lui annonça que le roi Handir était en vie. Mais au fur et à mesure qu'il continuait son récit, sans aucune interruption, le visage clair, lumineux, étincelant vira au terne sombre qui démontrait toute la douleur qu'elle éprouvait à cet instant. Le coup porté était dur et Gaheris même devint livide, son teint blafard, blême. Dans un premier tant, il ne réussit à bouger. Il était comme pétrifié par ce qu'il venait d'entendre. Le roi était vivant; mais pour combien de temps encore ? Incapable du moindre geste, il regarda Siléas passer devant, suivi de près par l'éclaireur. Un mélange de sentiments divers, sentiments de tristesse et de joie confus, l'envahit soudainement.


Alors, il prit réelle conscience du danger que courait le roi. Imitant la rein et l'éclaireur, il sortir à son tour de la cour, filant à toute allure en direction du palais.