La Lame de Cirith Ninniach.

Thoranil Grédirion s’avançait dans les couloirs de Cirith Ninniach, grand palais Edain à l’architecture elfique, le front en sueurs et jetant de multiples coups d’œil sur ses arrières.
Ce notable humain, d’habitude si serein et impérieux, avait ce soir-là quelques difficultés à garder son sang froid.
Faisant parti du vaste réseau d’espions mis en place par Saroumane lors de ses sombres jours, il n’avait jamais vraiment été une pièce d’importance de cet échiquier secret puisque Dor Lomin ne constituait pas en soit un objectif primordial pour les informateurs sophistiqué de l’Isengard.
Depuis le trépas d’Hador le Grand, le pays avait qui plus est perdu de son aura sur la Terre du Milieu.

Cependant, tout allait changer ce soir pour notre homme.
Après un dernier regard des deux côtés du couloir, Thoranil entra enfin dans une pièce peu éclairée qui servait vraisemblablement de sellier.
Entre une énorme jarre d’huile et deux potirons mures, une sombre silhouette était perchée sur un tabouret.
Ses mains gantées étaient jointes.

-« Je… »

-« Enfin vous voilà, Sire Grédirion. »

La voix était froide, cassante, et profonde.
L’Edain sortit un mouchoir de soie et le passa vigoureusement sur son front usé.

-« J’ai fait comme j’ai pu, le château m’est tout le temps ouvert mais roder la nuit est un bon moyen de commencer des rumeurs. »

Il s’assit.

-« Voici les directives, ne les perdez pas. Vous et votre famille résidez à la Cour depuis assez longtemps pour que les gardes vous fassent confiance. »

Le notable lut brièvement le parchemin avant de le fourrer dans l’une des poches de sa robe de courtisan.

-« Ce que vous me demandez-là….c’est risqué. Quelle en est la raison, d’abord ? »

-« Ce ne sont pas vos affaires, Thoranil. Faites ce que vous avez a faire et n’en parlons plus. Le maître vous en sera reconnaissant. »

-« Oui…oui, je n’en doute pas. »

L’Edain s’inclina et prit le chemin de la porte.
Au moment de tourner la poigné il se retourna pour déclarer quelque chose mais la silhouette avait complètement disparue.
Haussant les épaules, le vieil homme reprit la direction de ses appartements.
La journée de demain ‘annonçait riche en péripéties.

C’était l’après-midi, quelques jours après l’étrange tête à tête de Thoranil avec l’homme encapuchonné.
L’Edain s’avançait lentement sous le large dôme du palais sous lequel était figé le trône qu’Hador avait laissé vacant.
Des courtisans étaient là, à discuter en murmurant, et des gardes dans leurs armures reluisantes.
Cette salle circulaire se trouvait flanquée de plusieurs larges portes, dont une en particulière qui était la destination de Thoranil : la salle au trésor.
Quatre soldats gardaient un œil dessus constamment, jour et nuit, et la pièce emplie de richesses n’avait aucune fenêtre.
Ses murs, son sol, et son plafond étaient fais de bloques de pierre d’une épaisseur considérable.
Rien que la porte elle-même repoussait tout voleur, car elle était en chêne dur et renforcée de grandes plaques en métal.
Cependant, notre homme allait accomplir ce pourquoi il était employé non par la force mais par la ruse.
Son plan avait été mijoté pendant des semaines, il avait tout envisagé.

S’approchant d’un garde de la salle au trésor, l’officier en charge des autres, il déclare le visage confiant et la voix chaleureuse :

-« Bien le bonjour capitaine. Voici une ordonnance du Grand Trésorier, il souhaite faire amener au Maître-Forgeron Royal quelques pièces afin de les remettre en bon état. »

Le militaire acquiesça en lisant les ordres et le sceau sur le parchemin. Le Seigneur Grédirion vivait au Palais depuis toujours, comme ses parents et grands-parents, il n’y avait aucune raison de questionner sa fiabilité.

-« Sire, je vois que vous devez apporter vous-même les pièces. Par mesure de sécurité, deux de mes hommes viendront à vos côtés. »

-« Parfais, merci capitaine. »

Des soldats revinrent avec les pièces serrées dans une large pièce de tissue ficelée.
Thoranil fut soulagé en sentant le manche de la lame recherchée lorsqu’il agrippa le paquet.
Le petit groupe marcha ainsi en direction de l’établie du forgeron, Gréridion discutant occasionnellement avec ses suivants…

A mi-chemin, Thoranil s’arrêta un instant contre un mur, essoufflé.

-« Sire, quelque chose ne va pas ? »

-« Je….c’est un peu lourd…pffff….prenons un pot quelques instants dans cette remise, je n’ai plus l’habitude a mon âge de faire ce genre de choses. »

-« Oui, bien sur, mais vous ne voulez pas que je porte ceci a votre place ? »

-« Non, mais merci d’avoir proposé. »

Les trois hommes entrèrent dans la salle.
A part quelques meubles, un vitrail, et des tapisseries il n’y avait pas grand-chose.
L’Edain s’empara d’une vieille bouteille trainant avec d’autres sur une étagère et en but une gorgée avant de la passer aux soldats.

« Du vin d’Arnor on dirait, très bon en cette saison. »

-« Oui, à ce propos mon épouse disait l’autre jour que….que… »

Les militaires s’effondrèrent dans un léger froissement sur le tapis de laine épaisse.
Thoranil prit leur pouls et ouvrit leurs paupières : ils s’étaient profondément endormis, comme prévu.
Le notable humain glissa une poutre qui fermait l’épaisse porte de l’intérieur et se dirigea vers le vitrail qu’il ouvrit d’un geste brusque.

-« Pssst ! »

La voix de l’homme encapuchonné du sellier retentit faiblement.

-« Oui, je suis là. »

Thoranil vida le paquet des autres trésors afin de ne laisser que l’épée.

-« Voilà, je vous passe le colis. »

Un bruit sourd de chute se perdit dans la nuit noire.

-« Sire Gréridion, vous ne le regretterez pas. Adieu. »

L’Edain referma le vitrail, alla retira la barre bloquant la porte, et ingurgita cette fois pour de vrai un peu du contenu de la bouteille.
Pendant qu’il s’évanouissait, le claquement de sabots s’éloignait progressivement des environs.
L’homme encapuchonné galopa jusqu’à l’aube et franchit la frontière.
Dès lors, on ne le revit plus jamais.
Et c’est ainsi que fut trouvé la Quatrième Lame, celle de Cirith Ninniach.