C'était une matinée ensoleillée comme il y en a souvent dans le Val d'Anduin à cette époque de l'année. L’automne était arrivé et avait déposé son manteau bariolé sur les arbres de la forêt. Ce mélange de jaune or, de brun et de rouge éclatant était comme l’adieu tout en beauté des arbres avant le blanc hiver. Le sol était maintenant recouvert d’un tapis de feuilles tombées pour former une mosaïque orangée et les rochers nus commençaient à être recouvert de mousse apparue comme pour les protéger du froid. Une odeur particulière se dégageait de la forêt en cette époque, un mélange d’odeur provenant de l’humus humide, de l’écorce et de la sève des arbres qui ne laissait pas indifférent l’Istar captivé par ce monde incroyable.
Les rayons du soleil perçaient à travers la cime des arbres et venaient réchauffer le sol encore humide de la nuit. Le petit monde de la forêt se réveillait sous le chant des oiseaux et les bois prenaient rapidement vie. C'était à cet instant de la journée que la forêt accueillait Radagast, venu profiter de ce spectacle splendide. Le magicien alla saluer un grand corbeau d'un noir profond. C'était un des plus sages oiseaux de la forêt et il avait toute la confiance de Radagast. Il lui avait donné le nom de Lindar, qui signifie chanteur en quenya, la langue maternelle du magicien. S'il l'avait nommé ainsi, c'était parce que son chant était puissant et gracieux. Le soir, on pouvait entendre le corbeau à plus d'un kilomètre à la ronde et son chant était pour l'Istar le plus beau de la forêt.
Pourtant malgré ce spectacle enchanteur, l’esprit du magicien n’était pas en paix. Il quitta ses compagnons de la forêt pour aller s’assoir sur un tronc d’arbre renversé à l’orée des bois. Le vieillard venait souvent ici pour réfléchir. Ce tronc d’arbre était situé au sommet d’une colline et dominé les plaines du Val d’Anduin. C’était ici, il y a de cela de nombreuses années que Radagast avait observé la fuite des hommes et des elfes du Rhovanion.
En effet, il avait pu voir des files entières d'hommes, de femmes et d'enfants fuyant vers l'Ouest. Ses oiseaux lui avaient alors rapportés que des réfugiés traversaient le gué de Carrock vers les Montagnes Brumeuses tandis que d'autres descendaient le long de l'Anduin vers les bois de la Lothlorien. Il n'y avait visiblement plus rien de bon à l'Est et le magicien avait envoyé Lindar évaluer la situation. Les nouvelles ne furent pas des plus réjouissantes. En effet, l'Empire de l'Est s'était emparé des grandes villes de Dale et Esgaroth. Radagast avaient déjà eu affaire aux orientaux, mais les tribus qui peuplent le Val d'Anduin étaient plutôt calmes et pacifistes. Il n'avait jamais vu de ses yeux la détresse des hommes et cette guerre avait perturbée la paix relative du magicien.
Il n'avait pas pour habitude de s'occuper des affaires des hommes et Radagast passa donc un long moment à réfléchir aux actions qui devaient être menées et si elle valait la peine d'être mise en place. Depuis son arrivée aux Havres gris il y a de cela fort longtemps, le magicien brun s'était tourné vers la nature préférant la tranquillité de la forêt aux agissements mesquins et plein de haine des hommes. Mais il se rappelait aussi de sa mission première qui était de défendre la paix sur ces terres.
Pourtant ce matin-là, l’atmosphère était plus tendue. Cette nuit, le magicien avait senti un grand pouvoir venir du sud. Il savait pertinemment qu’au sud de la forêt se trouvait la terrible citadelle de Dol-Guldur et il n’osait pas imaginer d’où une telle magie noire pouvait provenir. Ce qui se tramait dans cette forteresse était contre nature et le magicien avait beaucoup de mal à accepter cela. Mais il fut sorti de ses pensées par Lindar qui vint se poser sur son épaule. Le corbeau étendait ses longues ailes noires autour de Radagast comme pour montrer son désir de voler. L’oiseau était intelligent et avait compris que le magicien était soucieux.
« Ah mon vieil ami, je crois bien que l’époque où nous vivions paisiblement ici de discussion et de découverte est révolue.»
Radagast caressa le plumage d’un noir de jais du corbeau en souriant, avant de continuer :
« Un évènement sombre est en train de se produire au sud de la forêt. Je ne sais pas exactement de quoi il s’agit, mais sur ce coup-ci, il faudra être prudent. Maintenant vas-y, envole toi. »
Le corbeau répondit d'un simple croassement et la seconde qui suivie, une horde d'oiseaux s'envola en direction du sud de la forêt.
Radagast avait confiance en Lindar et quoi qu’il se passe en ce lieu sombre, il le saurait rapidement. En attendant, le magicien alluma sa pipe et le regard perdu dans l’immensité du Val d’Anduin, il repensa à sa seigneurie Yavanna et à tout ce que la deuxième reine des Valar avait pu lui apprendre avant de regarder vers l’ouest et de lancer :
« Que dois-je faire maintenant déesse de la nature? J’ai toujours suivi vos conseils et vos enseignements et ils m’ont toujours apportés la paix ainsi qu’à mon entourage. Je vous en serais éternellement reconnaissant, mais maintenant que j’ai vu le mal en action de mes propres yeux, je ne peux plus rester indifférent.
Que dois-je faire ô Mère ? Dites-moi… »
Radagast tira une bouffée de sa pipe attendant un signe de son mentor, mais depuis son arrivée en Terre du Milieu, il n'avait plus parlé à Yavanna sinon dans ses rêves.