« Il n'y a aucun risque, je dis ! La voie est complètement libre ! Allez, on trace, j'ai pas que ça à faire de traîner au pays des vers de terre. »
Le regard blasé que Zurkah adressa au petit orque qui lui affirmait cela de sa voix criarde en disait long sur le crédit qu'elle apportait à ses opinions. Le petit jeu du chat et de la souris était l'un de ces exercices dans lequel certains aventuriers de la guerre étaient à l'aise comme des poissons dans l'eau. Zurkah s'était rendue compte à quel point le pisteur de la troupe d'orcs décimés qui avait complété leurs rangs, exultait d'excitation, reniflant l'air de ses narines frémissants comme un varan des Monts Brumeux en chasse d'oeufs.
* Grand bien lui en fasse, songeait l'Uruk avec une pointe d'agacement. Moi, ça commence à me taper sur les nerfs, cette expédition.*
Les résultats de leur virée en Rohan étaient pour le moins mitigés. Certes, sa troupe avait réussi à marquer un point. Un village incendié, les habitants passés par le fil de la lame, avec pour seuls survivants quelques veuves et orphelins estropiés pour faire un exemple. Zurkah n'avait aucune idée du but réel de ces exactions qu'on leur avait ordonné, mais les ordres étaient les ordres.
Entre-temps, leur compagnie avait été prise dans une embuscade pas des cavaliers humains. Ils avaient eu l'occasion de perpétuer un joli massacre dans les rangs ennemis, mais malheureusement, ces gros malins avaient caché des archers sur une hauteur apparement inaccessible et quatre d'entre eux s'étaient fait massacrer. L'opération avait été finement préparée. En y repensant, Zurkah bouillonnait de rage d'avoir été ainsi piégée par ces vermisseaux.
Comme si les choses n'allaient pas assez mal comme ça, une troupe d'orc - décimée elle aussi, les avait rejoint. Elle n'avait eu d'autre choix que d'accepter leur compagnie : ils transportaient un tribut pour leur maître, et c'était un devoir pour elle de les escorter jusqu'en terrain sûr. La guerrière le regrettait maintenant sa décision. Il ne se passait pas cinq minutes sans qu'elle ait à maîtriser la pulsion de décorer un sapin avec ces alliés encombrants. Surtout en entendant le pisteur.
« On ne va quand même pas s'arrêter à chaque colline ?! »
« Ecoute, je t'ai déjà expliqué que le vent vient de l'ouest, c'est normal que tu sentes pas tout. L'endroit est idéal pour une embuscade. » fit Zurkah de sa voix sombre et rocailleuse, épuisant les dernières ressources de patience dont elle était capable.
« Alors c'est ça les Uruks … On se prend une branlée dans une embuscade, et on rentre la queue entre les jambes, plus trouillards que des lièvres. Je vois ça ... »
Le mouvement de colère qui traversa ses cinq Uruk-Hai persuada Zurkah d'agir et vite. Elle attrapa l'impertinent par le collet et le souleva à la hauteur de ses yeux flamboyants de rage. Le pisteur suffocant agrippa son avant bras musculeux de ses mains griffues, les yeux exorbités de peur, les pieds battant dans le vide.
« Ecoute-moi, raclure de latrines trolles. Si tu es si malin, tu n'as qu'à passer devant et rentrer tout seul. Parce que là, si vous restez cinq minutes de plus, mes copains et moi, on va devoir porter la nouvelle à ta hiérarchie que vous n'avez pas survécu au voyage ... »
La chef orque laissa tomber l'avorton sur le chemin poussiéreux sans ménagement. La messe était dite, et les orques partirent en avant sans demander leur reste. L'Uruk les regarda s'éloigner, à couvert avec sa troupe. L'un de ses compagnons de longue date lui demanda si elle n'était pas excessivement prudente. C'était vrai, depuis la dernière attaque, elle voyait un piège à chaque boucle du chemin. La chef Uruk haussa des épaules : oui, elle était à cran, mais il y avait de quoi …
Désormais, les orques transportant leur butin étaient trop loin pour qu'on leur porte des renforts à temps, et avaient dépassé la zone où lUruk Hai aurait projeté une attaque. Non, finalement, elle devait s'être trompée. Bon, ça allait jazzer au retour. Elle sentit nerveusement les regards de sa troupe converger sur elle.