Survivre dans les Mont Brumeux [Réservé Carden][FLASHBACK]

C’était une belle après-midi d’été, le paysage était magnifique d’où il se tenait. Ils leur restaient bien trois heures de marche avant d’arriver au sommet du Celebdil, un des plus hauts sommets des Mont Brumeux.
Carden avait réussi à convaincre son ami Alecor de l’accompagner pour un de ses rêves de gosses. Son père Aphros n’avait pas vraiment donné son accord, mais avait tenu à ce que le précepteur de Carden les accompagne, ainsi qu’un guide elfe qui pourrait les guider dans les montagnes. Les hauteurs … voici ce qui passionnaient Carden depuis tout petit, il en était obsédé, à tel point qu’il passait son temps à fuir Dol Amroth pour Minas Tirith, qu’il trouvait bien plus majestueuse. Carden faisait partie de la haute noblesse de la cité de Dol Amroth, et était prédestiné à succéder un jour à son père sur le trône de la cité gondorienne. Il avait donc reçu l’éducation nécessaire pour cela : il avait appris à manier l’épée, bien que cela ne l’enchantait guère, et il avait appris l’histoire de la Terre du Milieu dans ces moindres recoins, ou encore les rouages de la vie de Seigneur, dont il ne souhaitait pas du tout au fond de lui, car il trouvait cette tâche ennuyante et bien trop prenante. Voilà pourquoi il aimait fuir vers les sommets même s’il avait accepté la fatalité et était près à reprendre le trône. Cependant, sa passion ne l’avait pas quitté pour autant, et c’est ainsi qu’il prit l’initiative d’un voyage vers les Mont Brumeux. Alecor et Orcir – son précepteur – l’avaient accompagné jusqu’à Filgir, une petite ville près des Champs du Celebrant, sur la rive est de l’Anduil. Là, ils avaient rencontré leur guide elfe, avec qui ils traversèrent l’Anduil et contournèrent la Lorien par le nord. Ce fut un voyage magnifique, mais ils avaient pris du retard, si bien qu’ils étaient arrivés aux pieds des Monts Brumeux vers la fin de l’été, et les feuilles des arbres commençaient à tomber. Loin de vouloir s’arrêter si près du but, Carden n’avait pas laissé le choix à ses compagnons et avait continué son chemin.

C’est ainsi qu’il se tenait sur un éperon rocheux, à quelques heures du sommet tant attendu. Ils avaient marché durant six jours pour en arriver là, et ils avaient désormais une vue dégagée sur les Mont Brumeux. On voyait notamment l’imposant Caradhras plus au sud. Tous étaient fatigués, mis à part l’elfe, qui se prénommait Trawyr et venait de la forêt noire. Celui-ci ne semblait plus si serein depuis l’aube, et une inquiétude inconnue l’animait. Ils arrivaient sur les premières neiges, déjà annoncées plus tôt par les nombreux névés jonchant le parcours. Ils firent une pause pour profiter du paysage et se rafraichir. Des nuages étaient apparus autour d’eux et allaient rendre la fin de l’ascension très délicate. Après quelques minutes à se désaltérer, ils reprirent la route pour ne pas se refroidir. Leurs pieds s’enfonçaient de plus en plus profondément, jusqu’à ce qu’ils atteignent un surplomb rocheux où ils grimpèrent. « La suite est par là » leur indiqua Trawyr en élevant son doigt au-dessus de leurs têtes. Carden eut beau lever la tête, la brume environnante ne lui laissait entrevoir qu’une falaise sans sommet. Ils s’encordèrent, puis l’elfe grimpa en tête, suivi par Carden, Alecor et Orcir. Au fur et à mesure qu’ils prenaient de la hauteur, le vent glacial devenait de plus en plus fort, la visibilité de plus en plus mauvaise, et ils avaient de plus en plus de mal à trouver des prises. Carden s’était arrêté : ses doigts commençaient à le faire terriblement souffrir, et au-dessus de lui, l’elfe avait disparu dans la brume. La seule trace de son existence était ce bout de corde qui pendait au-dessus de sa tête. Carden cherchait désespérément une prise, mais sa main ne trouva qu’une petite fissure où seuls deux doigts pouvaient tenir. Avec toute l’énergie qui lui restait, il fit contrepoids sur son bras et tendit sa jambe ; mais aucune prise ne vient arrêter son pied, et il se retrouva en suspens, ne tenant que sur un pied et deux doigts. Ne sachant que faire, il commença à s’affoler, ses muscles se raidirent, et il crut, tremblèrent, puis tétanisèrent. Au moment où il pensait qu’il allait céder, la corde au-dessus de lui se raidit soudainement, puis le tira vers le haut avec une force impressionnante. Enfin, une main creva le brouillard, et quand il l’a pris, il se retrouva tout d’un coup propulsé vers le haut. Quand il reprit ses esprits, il se trouvait sur une terrasse de quelques mètres qui semblait être le sommet de cette falaise, Trawyr était occupé à secourir Alecor, et de l’autre côté, le brouillard s’était un peu estompé pour laisser entrevoir un véritable océan de glace. Derrière se tenait le Celebdil, dôme de neige et de roche. Quand ils furent tous sur le replat, Trawyr s’assit au milieu d’eux : pour la première fois en six jours, il semblait essoufflé, et commençait à montrer des signes de fatigue.

« Vous pensiez avoir fait le plus dur ? » demanda-t-il avec un sourire, « mais le pire reste à venir. Vous voyez ce glacier, c’est le plus grand des Mont Brumeux à ma connaissance, et il fait plus d’une lieue de large ! Je vous préviens, c’est la partie la plus dangereuse de votre entreprise, vous pouvez toujours y renoncer, d’autant plus que je crois que le temps va se gâter. »
Pour la première fois depuis leur départ de Minas Tirith, Carden semblait hésiter : il était rompu, frigorifié, et la vue de ce monstre de glace ne l’enchantait guère, mais s’il avait appris une chose dans sa vie, c’est qu’il faut toujours aller au bout des choses. Il se leva donc, non sans tituber, puis remis son sac sur les épaules. Ils commencèrent ainsi à marcher au milieu des séracs. Ils durent marcher sur une crête de quelques pieds de large, avec des trous béants de par et d’autres. Quand il regardait dedans, Carden n’y voyait aucun fond, seulement une obscurité envahissante. Les nuages revinrent alors qu’ils avaient fait la moitié du chemin. Mais cette fois, la neige s’invita, et elle ralentit considérablement leur avancée. Alors qu’ils arrivaient enfin au bord après près de deux heures d’une marche infinissable, alors que la nuit commençait à tomber et que les nuages et la neiges se faisaient de plus en plus denses, un pont de neige les séparait de la terre ferme, ou plutôt de la roche en  l’occurrence. Tous passèrent sans encombre, mais quand Orcir franchit en dernier le pont, un grondement se fit entendre. Tous crurent à un orage dans un premier temps, mais quand un craquement horrible suivit, et que la terre trembla, ils comprirent. Trawyr se raidit et hurla ver Orcir. Il était trop tard, le sérac sur lequel ils étaient quelques secondes auparavant venait de s’affaler, entrainant le pont de neige avec lui. Carden sentit une pression autour des ses reins, puis se vit entraîner vers le désormais précipice. Mais sa course s’arrête bien avant, car Trawyr avait eu le reflexe de s’accrocher à un rocher. Le fil se tendit, et Alecor se retrouva en équilibre au bord du précipice, tendant sa main vers Orcir qui gisait au bout de la corde, gesticulant comme il pouvait au-dessus du précipice en poussant des hurlements.
«  Ne vous affolez pas. » cria Trawyr « Je vous accroche et je viens vous chercher. »
La tension était palpable tandis que l’elfe accrochait la corde autour du rocher en s’assurant de son maintien. Puis il vint vers Carden, et décrocha le nœud qui le tenait cloué contre la corde. « Va t’abriter près des rocher » lui intima-t-il une fois le nœud défait. Pour Alecor cependant, comme ce dernier était en équilibre au bord du glacier, il ne prit pas ce risque, mais du ainsi tirer deux poids au lieu d’un. Pendant que Trawyr tentait de tracter Orcir hors du trou, à une trentaine de pieds de là où se tenait Carde, un éclair zébra le ciel, illuminant le ciel et tout le glacier. Deux secondes plus tard, le tonnerre tonna au-dessus de leur tête, puis un grondement sourd se fit entendre. Trawyr se retourna et ses yeux s’écarquillèrent. Quand Carden se tourna dans la même direction, son cœur s’arrêta, le temps s’arrêta.
Pire que tout ce qu’il pouvait imaginer, une masse de neige dévalait la montagne dans leur direction, et prenait de plus en plus d’ampleur. Trawyr ne bougeait plus, il savait qu’il ne pouvait rien faire, l’avalanche arrivait bien trop vite pour cela, et il ne voulait pas abandonner Orcir et Alecor à un sort tragique. Il resta donc avec eux, et se tourna vers Carden sans un mot, une simple lueur dans les yeux et un geste pour lui dire de reculer. Carden hurla, pleura, mais se plaqua tout de même contre le rocher qui l’abrita de l’immense vague de neige qui s’abattit sur eux. Ses trois compagnons disparurent derrière la neige. Cela ne dura pas très longtemps, mais c’était une éternité pour Carden qui resta là longtemps après que l’avalanche fut terminée. Puis il s’accroupit, épuisé, courbaturé, tétanisé par le froid, il venait de perdre son meilleur ami, son précepteur et son guide dans une folie dont lui seul était le fautif. Il se trouvait au beau milieu des Mont Brumeux, sans aucune porte de sortie, et avec des vivres pour quelques jours : si le froid ou les crevasses n’avaient pas raison de lui, la faim finirait par le tuer, il n’avait aucun échappatoire, il était coincé là pour de bon.