L'appel du Gondor

Il devait être midi lorsque un cavalier se présenta seul dans la plaine d'Edoras. Du haut d'un monticule il s'aventura pour contempler les étendues qui se présentaient à son regard inquiet. La traversée avait été longue pour Alcibiade. Le mauvais vent des derniers jours, venu de terre, soufflait contre leur coque  et l'amiral s'était impatienté d'une telle situation, prenant du retard sur ses prévisions. Il avait péniblement gagné l'Isengard où Vakalor, le commandant des forces armées gondorienne en Isengard, l'avait reçu avant de se rallier à sa cause. Puis il avait chevauché dans les contrées vertes du Rohan humant le climat doux qui y régnait. Après près deux jours de périple, il touchait au but :  Meduseld scintillait devant lui. Ses larges toits dressaient une coiffe sur le sommet de cette modeste capitale. À l'ouest, un bataillon de cavaliers s'en retournait vers les plaines plus herbeuse située prêt de l'Isen. L'amiral arrivait du Nord et il avait mené grand train à cheval pour rattraper le temps perdu, épuisant sous sa course pas moins de sept montures. Il n'était d'ailleurs pas mauvais cavalier, même si le combat monté était pour lui sans doute un peu plus obscurs, à des milles de la science des océans et de la vague qu'il maitrisait à la perfection.

Aussi, alors que le soleil montait encore, Alcibiade s'élança dans les coteaux herbeux descendant vers la cité hommes du Rohan. Sa monture partit d'un trot rapide avant de gagner lentement un galop constant à la foulée puissante. En quelques minutes, il franchit une grande distance. Mais finalement, la bête, crevé par le voyage, montra des signes d'épuisement. L'amiral devait faire bonne impression : les rohirims respectaient leurs montures comme leurs égaux. Alcibiade ménagea donc la bête et mis pieds à terre. Tirant la bête par la bride, il acheva son voyage calmement en franchissant finalement les portes d'Edoras. Alcibiade les avait déjà  observées à trois reprises par le passé, mais la dernière occasion remontait au minimum à dix ans.
L'amiral demanda aux gardes de l'annoncer, puis, laissant en bas sa monture, il monta à pieds les dernières verses le séparant du trône de Rohan. Lorsqu'il parvint au sommet, son pouls était puissant souffla un moment avant de pénétrer dans le palais afin de paraître plus convenable.

On lui ouvrit les portes et il traversa la salle. La dernière fois qu'il était venu, c'était le Roi Eored qui l'avait reçu. Il était déjà amiral des flottes de l'Ouest à l'époque et venait régler une affaire à propos des frontières de l'Anduin. Le litige avait facilement était résolu, les deux royaumes étant à l'époque en de très bon termes, le Rohan étant vassale du Tar. Lors de la disparition de ce dernier, les alliances s'étaient quelques peu détendues, et à présent, seuls les anciens se rappelaient des hommes du Gondor et de la bataille du gouffre de Helm. Parfois ces derniers traversaient encore leurs contrées pour rejoindre l'Isengard. Mais ils ne s'arrêtaient guère et peu longtemps.

Alcibiade se trouva alors devant le trône du roi Eothain nouvellement élu. L'amiral mit une genoux à terre et s'inclina avant de parler d'une voix prudente :

« Salut à vous roi Eothain. Votre renom est parvenu jusqu'à mes oreilles et il m'a semblé digne de vous soumettre un projet : vous connaissez sans doute les troubles qui agitent l'Empire de l'Ouest. Au dernières nouvelles, Thais Laelias semble avoir basculé sous le joug de Morgoth. Aussi, je mène les armées du Gondor fidèles à Aragorn contre sa démoniaque fille qui se trouve en Arnor. Mes forces sont trop peu nombreuses pour m'assurer une victoire certaine.

J'implore par conséquent votre aide...je manque cruellement de cavalerie et votre appuie serait une bénédiction. En échange de votre aide je vous promet de vous offrir des terres dans les Bouches de l'Entalluve situées au nord de l'Anorien en dessous des chutes de Rauros. C'est une région fertile, à l’abri du Mordor grâce à la proximité de Cair Andros, qui élargirait l'Eastfolde et vous permettrait d'en contrôler l'irrigation... »

Après avoir achevé sa demande, l'amiral baissa la tête en signe de respect. Les rohirims étaient des gens durs mais sages. La trahison de Thais les impliquait de trop loin pour qu'il se mêlent à cette affaire sans raisons valable. L’absence d'Aragorn compliquait les choses. Il fallait espérer qu'Eothain se souvienne du Tar qui jadis avait porté secours au Rohan. Ces temps était lointains, tout comme la gloire de l'ancien empereur de l'Ouest tombé dans l'oublie au gré de ses errances qui avaient suivit l'abandon du trône. Il y avait eu depuis, Herunumen, un imposteur au néfastes influences. Puis l'intendant Denethor avait assuré la régence jusqu'à l'accession de Thais Laelias au trône de l'Ouistrenesse. C'était une lignée maudite songea Alcibiade. L'empire de l'Ouest soulevait de trop nombreuses convoitises et son pouvoir était un joyau que bon nombre d'hommes et de femmes rêvaient de posséder. Mais l'âge d'or avait passé. Nùmenor n'était plus, et les deux royaumes restant avaient succombé à l'usure des années.
L'amiral ignorait tout d'Eothain. Il avait une allure noble, et siégeait immobile sur son trône de bois ouvragée. Tout autour de la pièce de grande tenture et des bannières colorait l'espace des blasons rohirrims. Des têtes de chevaux, des étoiles à huit branches, tout de vert et de blanc. Sous l'ombre de chaque pillier des gardes royaux se tenaient droit et silencieux. Sous leur masque de bronze s'écoulait une barbe abondante rappelant l'allure de certaines tribus naugrims. Les armures en écaille scintillaient doucement d'une teinte lustré dans la faible clarté perçant au dessus des murs.

Eothain semblait quelque peu réticent à la demande de l'amiral. Quel ingratitude pensa ce dernier. Lui même, il avait versé son sang pour le peuple du Rohan. Et à présent il récoltait le prix de son dévouement: l'oubli. Alcibiade songea que la mémoire et l'esprit des hommes étaient choses bien versatiles. Eothain refusait les terres proches de l'Anduin. Alcibiade songea à d'autres territoires. Il y avait bien l'Isengard, mais la valeur d'une tel édifice dépassait les dix milles cavaliers. De plus cela n'était pas dans ses prérogatives. La manœuvre actuelle était déjà à la limite de la légalité. Céder Orthanc était tout bonnement impossible. La solution territoriale semblait donc bien compromise.
De tempérament calme, le marin n'avait guère l'habitude de perdre son sang froid. Aussi il s'éleva contre la décision du roi rohirim, mais le fit d'une voix paisible et impassible.

"C'est une étrange fatalité que notre empire jadis si puissant soit au bord du gouffre à cause d'une querelle interne. Les alliances d'hier sont oubliées et seuls les anciens se rappellent que le Gondor vint à votre secours il y a de cela une quinzaine d'années...

Certes, l'usurpatrice Thais n'est pas encore à vos portes. L'hiver dans le Nord la retient. Mais lorsque les neiges fondront, et que les oiseaux feront leur retour, qu'en sera-t-il du Rohan? Thais quittera alors l'Arnor pour gagner Minas Tirith. Sur son passage, les villages seront brûlées et les paysans massacrés. Qu'en sera-t-il alors des vôtres? Le Rohan brûlera tout comme l'Arnor auparavant. Vers qui vous tournerez vous alors? Si les forces d'Angmar se joignent à elle, l'impératrice disposerait de plus de trente milles hommes..."


L'amiral s'était relevé. Il jugeait son attitude soumise quelque peu hors de propos devant la prudence du rohirim. Alcibiade plongea alors ses yeux brillants dans ceux du roi. Même si Eothain avait noble allure comme la plupart des fils d'Eorl, l'Amiral portait sur son visage et dans sa très grande stature le sang de Nùmenor. De ce fait, il était d'ailleurs deux fois plus âgé que le rohirim, et semblait pourtant presque plus jeune en raison de ses joues creuses et rasées de prêt. Dans la pénombre de la pièce, les pupilles de l'amiral faisaient l'effet de deux étoiles en suspend fixant Eothain.

Finalement, Eothain semblait un homme d'honneur. Il n'avait pas oublié les vieilles alliances qui, il est vrai, avait étaient malmenées par le Gondor et la disparition d'Aragorn. Le conflit avec les orientaux illustrait bien le problème d'un empire orphelin: nul au Gondor n'avait pu décider de lancer une guerre contre le Rhùn. Et les rohirims avaient payé le prix de cet inaction politique. Mais le roi Eothain semblait capable de pardonner. Ils allaient repartir sur des bases plus solides.
Mille cavalier! C'était un début, mais cela pourrait s'avérer une aide précieuse pour faire pencher la balance en leur faveur. L'amiral songea à la meilleur manière d'employer ces précieuses forces. Les cavaliers du Rohan étaient de très bon cavaliers. Leurs montures étaient à la fois robustes et rapides. Leur équipement léger laissait au Rohirims une capacité de manœuvre hors du commun. Aussi ils pouvaient épauler à peu prêt n'importe quelle unité. Mais leur nombre réduit impliquait de ne pas les utiliser dans une charge frontale. Ils auraient alors trop peu d'impact. Mieux valait les envoyer appuyer la charge des Mumakils. Placés derrière les mastodontes, ils achèveraient les malheureux ayant échappé aux défenses acérées garnies de pics.

"J'utiliserais vos hommes avec la plus grande prudence. Et pour chaque homme qui tombera, nous verserons cinquante pièces d'or à la famille en guise de dédommagement.

Je vous remercie donc de votre aide seigneur. Je me rends dès lors à Long Daer où nos troupes se rassemblent. Envoyez moi vos forces dès que possible. Nous marcherons alors sur Thais Laelias pour la chasser de l'Arnor. Je vous promet que si nous rentrons victorieux, vous trouverez en moi et mes hommes des alliés fidèles."


Appuyant la parole par un geste, Alcibiade fit une révérence respectueuse vers Eothain. Puis il recula d'un pas avant de faire volte face et de quitter la salle. Il franchit à nouveau la pénombre des lieux, dépassa la grande porte de bois que deux gardes lui ouvrirent, et, se trouvant sur l'esplanade dominant la ville à ses pieds, il contempla les alentours quelques instants. Le soleil baignait les plaines vertes de sa lueur tiède. L'après midi était bien avancée et les prairies luisaient comme des miroirs dorés. Les coteaux herbeux s'animaient de quelques vaguelettes soulevées par le vent et parfois l'ombre d'un nuage voguait sur les surfaces de cet étendues de pâturages. À présent Long Daer!