L'art de forger. [PV La Renarde]

Il trouvait désagréable cette sensation de réveil. Réveil d'une nuit sans fond, sans forme et dénuée de tout repos. Son corps était dans une alerte permanente, le mode de vie orc l'ayant conditionné ainsi. Si ce n'était pas un cor annonçant un regroupement, c'était les bruits alentours qui le réveillaient. Il ne devait dormir tout au plus que cinq heures, et passait le reste de sa journée occupé, entre son entrainement, sa fonction de guerrier qui nécessitait des gardes, et sa forge. C'était cette dernière occupation qu'il estimait énormément. Sa force servait à autre chose qu'à tuer, elle permettait de créer. Bien que la plupart du temps, il se devait de remplir un quota d'armes, qu'il tentait de peaufiner un maximum dans le temps qui lui était imparti, il s'appliquait néanmoins à créer durant ses périodes courtes de liberté des armes plus perfectionnées. Sa favorie, Hurlesang, qu'il utilise pour le combat, en est le plus fidèle exemple. Il l'avait affuté au possible et donné cette allure qui ferait rebrousser n'importe quel adversaire un tant soit peu impressionnable. Sorti du matériel qui lui servait de lit, Gal'Mesh empoigna sa hache et se dirigea en direction de la forge.

Le fer encore chaud dans une main, le marteau dans l'autre, il abattait son poing à une vitesse et une force fulgurante. Le métal se consolidait au fur et à mesure. Le regard de Gal'Mesh restait fixé sur la braise, animant une soif inconsciente de guerre. Toute sa haine, il la canalisait dans cet art. Sa race vivant dans l'obscurantisme et le désir de détruire, il regrettait son impuissance à s'enfuir face à cette situation. Ici, il ne se sentait pas à sa place, et à l'exterieur, il était un orc mort à la minute même où son pied sortait du territoire du Mordor. La meilleure des chances était d'obtenir un statut neutre auprès des autres territoires, mais pour quelle raison donnerait-on à un Uruk-Haï un tel privilege ? Il ne comptait pas croupir ici toute sa vie, et si il le fallait, mais seulement en dernier recours, il était prêt à s'enfuir. Explorer, il ne voulait vivre que pour ça. Découvrir ce monde sous ses pieds. Cela avait l'air pourtant simple, mais tellement inaccessible. Il essuya son front, dégoulinant de sueur et reprit le travail de plus belle, frappant toujours plus fort.

Une odeur peu commune remonta à ses narines. Il grimaça en la sentant, il n'en avait clairement pas l'habitude. Il quitta sa lame des yeux pour fixer son regard sur cette inconnu qui progressait vers lui. Elle était légèrement floutée, la chaleur ayant défiguré temporairement sa vision.

"Qui t'es ?"

L'éloquence. Quelle invention magnifique. Bien que Gal'Mesh la percevait comme l'arme des faibles, il ne pouvait s'empêcher d'avoir un certain respect pour ceux qui la maitrisait. Cette capacité, par les mots et leur justesse, à contrôler les foules ou dominer une discussion. Néanmoins, cet art prenait tout son sens contre les simples d'esprits, mais se voyait très vite perturbé par les éveillés. Ce que notre orc entendait par éveillé, était ces êtres ayant compris que l'individualisme  primait, et que chacun naissait Dieu. Non pas dans un sens de force et de puissance magique, mais dans la liberté d'agir et de penser. C'était à cause de ce même éveil que notre orc avait énormément de mal avec la hiérarchie et les ordres supérieurs. Il dissimulait son individualité au quotidien, du moins quand il le fallait, il était un solitaire dans l'âme, et il le savait, du mois sur les terres du Mordor. Personne pour comprendre son entreprise, cette envie irrésistible d'explorer le monde exterieur, tellement vaste. Cependant, il ne pouvait s'empêcher d'idéaliser un groupe d'aventurier, venu de tous les coins du monde, respectueux des races, et ayant ce même objectif. Sa concentration retourna vers la discussion, quand il comprit que cette femme ne cherchait qu'à installer sa domination au sein de la discussion et à le décrédibiliser. Si sa venue ne présageait que ça, et qu'il n'avait rien à en tirer, autant fallait-il abréger, il n'avait pas que ça à faire et les commandes ne s'organisaient pas seules.

« Serviteur implique la notion de service. Je sers et crée ce que désire mes clients. A ce titre, et avec toute l'humilité que je leur dois, je suis un serviteur. Et est-ce que je dois préciser qu'avant d'être forgeron, je suis un soldat ? »

Si il y avait bien une chose qu'on leur avait apprise, c'est qu'avant d'être considéré comme maître d'une spécialité, ces orcs n'étaient que des pantins, et qu'ils devaient vouer obéissance et allégeance au Divin Sauron. Ce que, bien entendu, il ne comprenait absolument pas.

« Moins ouverte d'esprit que je ne le pensais, vous ne voyez dans la plaisanterie que fanfaronnade. »

Son visage avait perdu tout sourire, ou once d'expression, il était plus qu'agacé par cette discussion.

«Je réitère ma question : Que puis-je faire pour vous ? »

Il n'en perdait néanmoins pas sa politesse habituelle, et allait mettre un point d'honneur à clore cette discussion avec un semblant de dignité si elle continuait à afficher clairement ce dédain conversationnel.