L'Extase Dorée

Le soleil avait fui par-delà les sommets. Le ciel dessinait quelques boucles cramoisies mais le regard mort de l'archiforgeron ne pouvaient en goûter les parfums. Unique indice des ombres à venir, la symphonie du monde s'était éteinte dans les montagnes. La fraîcheur du soir avait renversé l’arôme de résine des forêts au creux des vallons violets. Peu à peu, la terre ne fût plus que contours.
Un pas résonna. C'était Pilgrim. Le vieux naugrim, se redressa, aidé de son élève et d'une marche patiente, ils regagnèrent la mine et ses galeries infinies. En franchissant le pont de Khazad Dûm, Hanzok tendit l'oreille. La lanterne de Feämenels tintinnabulait doucement, cristalline et emplie d'une mélancolie indicible. L'âme du forgeron plongea un instant dans l'abîme, non celle des obscurs vertiges alentours qu'il ne pouvait percevoir, mais vers les profondeurs du souvenir où séjournent les nostalgies du temps révolu et des êtres chers.
Parvenu dans ses loges troglodytes, l'archiforgeron se trouva le souffle court. Aussi il gagna sa couche sans même prendre le temps de souper. Les nourritures charnelles n'étaient plus pour lui qu'une astreinte vitale. Uniques appétences impérieuses : l'intellection quotidienne et l'exercice mnésique jusqu'à ce que toute réminiscence s'agrège minérale. Les méandres de l'intuition coulaient ainsi dans sa pensée fertile irriguant les racines idéales qui se multipliait et faisait croître l'arbre de ses connaissances.
Comme chaque soir avant de prendre momentanément congé du monde, l'érudit interrogea son disciple un moment.

-Qu'as-tu appris aujourd'hui ?
-J'ai consulté le Traité des Roches Sélénites afin de comprendre les subtilités qu'elles nécessitent lors de gravures runiques.
-Lecture prenante n'est-ce pas ? Néanmoins le caractère rustique des pierres de lune  limite leur usage, excepté lorsqu'elles supportent des tracés d'ithildin. Mais tu es encore bien loin d'en pratiquer l'art . Peut être devrais-tu jeter un œil sur le troisième Manuscrit de Nogrod...
-Je l'ai parcouru. Cependant il y est davantage question des propriétés de l'ambre et de l’Écho d'or.
-Le principe de réverbération des gemmes diurnes découle de son duallisme nocturne.  La fleur de Telpérion possède des formes plus nuancées que le fruit de Laurelin et bien que son tintement soit plus diaphane, celui-ci peut être adjoint à de multiples procédés stellaires. On les nomme Réflexion diamantine, degré suprême dans l'art de la ligature runique. Tu trouveras dans ce manuscrit nombre d'indices qui te permettront de mieux saisir les contraintes qui jalonnent le scellement des cirth. Est-il quelques points que tu voudrais éclaircir ?
-Pas exactement un point, mais une question plus générale. L'enchantement des Angerthas a-t-il quelques similitudes avec celui des twengar ?
-Presque aucune malheureusement. C'est un sujet d'étude encore plus vaste et son raffinement est tel, qu'il te faudrait t'y consacrer une décade pour en saisir les bribes les plus superficielles. Tu es encore bien jeune et le temps viendra où ton esprit abordera les merveilles secrètes et infinis de ce monde.


Après une révérence, l'élève se retira et laissa le silence imprégner le vieux maître. Hanzok patienta alors dans le désert du silence et des ténèbres, éclairé des seules étoiles de la pensée. Il y avait entamé  la confection virtuelle de globes écarlates, capables de contenir la chaleur des brasiers et de la restituer en une plaisante diffusion. Aulë lui apparut bientôt, venu visiter l'un de ses enfants les plus adroit et astucieux. Il appela Hanzok par son nom secret et l'emporta dans un périple à travers la Moria.
Le forgeron traversa les vastes cavernes du royaume aussi vite qu'une brise, guidé par les pouvoirs d'Aulë. Ils franchirent les piliers de la grande salle, dépassèrent la chambre de Mazarbul, puis gagnèrent les profondes galeries menant aux puits de mithril. Sa course se hâtaient sans cesse, mais rien ne semblait freiner son haletante ruée qui l'emporta bien vite dans des gorges ténébreuses où peu de naugrims avaient jamais pénétré.

-Ici se rejoignent les racines du Barazinbar, du Zirakzigil et du Bundushathûr. Leurs roches et leurs joyaux se mêlent et lancent leur veines brillantes tout du long des monts brumeux.

Les ténèbres se dissipèrent alors. Les roches parurent s'animer doucement. À mesure que les ombres s'éteignaient, la pierre devenait plus luisante, comme si chaque enclave des cavernes s'animait du chant singulier d'un cristal propre et demeuré dissimulé jusqu'à ce jour.

-Contemple donc l'essence du monde!

Alors lui apparût un spectacle grandiose que sa longue existence et ses maints périples ne lui avaient encore jamais donné l'opportunité d'apprécier. Les pans brisés des cavernes furent saisis d'une lueur grandissante. Le cœur de la montagne s'éveilla, dévoilant une lumière qui s’accroissait sans cesse à mesure que ses veines de métal étincelaient comme saisies d'éclairs. Toute pierre semblait rayonner de mille flammes claires, tandis qu'un halo d'or baignait chaque interstice de l'espace. Au creux de ses pupilles auréolées de feu, l'archiforgeron buvait cette perspective merveilleuse, étanchant la soif propre aux gens de son peuple. Bientôt, cette clarté pure et omniprésente, éclat suprême, l'envahit pleinement et alors l'érudit fut saisi d'un sentiment de quiétude. Le flamboiement devint absolu, et le maître des métaux se sentit accaparé par la splendeur brûlante et sa douce propagation. Dans une ultime coruscation blanche sson être entra dans la lumière tandis qu'il prononçait le nom de son dieu « Mahal ». Puis ce fut le silence et la sérénité retrouvée.


Au petit matin, lorsque Pilgrim vint porter sa collation à son maître, il le trouva plongé dans le sommeil sans retour, paisible, allongé sur sa couche. Il s'en était allé, sans souffrances, au milieux de ses rêveries solitaires, où un monde plus vaste et sans lois déroulait ses vallées aux crépuscules continus habités de grands oiseaux qui jamais ne se posent, voltigeurs éternels.