Vers l'Ouest

C’était le dégel. En aval, les basses terres avaient recouvré leur pelage hâlé où les mèches d’herbes sèches bruissaient au gré des vents. Les cols pelés n’avaient pas encore révélé leur tonsure pierreuse, mais, ça et là, la corne de stèles ponctuant les sentiers étroits de la montagne dressaient leurs facettes cryptiques où s’emmêlaient des lignes runiques. Les épaules couverts d’un manteau de renard tacheté, Artaxerxias sillonnaient une combe escarpée, ayant depuis quatre jours entamé son périple vers le sud. Il avait préféré partir seul, étant un marcheur hors paire et ne souhaitant pas s’encombrer d’une escorte, suffisamment confiant dans ses capacités martiales en cas de mauvaise rencontre. Son unique compagnie avait été l’ombre d’un corbeau planant cent coudées au dessus de lui.

Esseulé au milieu de l’immensité blanche, il avait franchit deux cols depuis sa sortie à la porte Occidentale du Royaume. Le paysage le frappait sans cesse de son incandescence blanche et une bande de laine noire grossièrement tressée protégeait ses pupilles de la morsure du soleil. Le silence absolue de la montagne n’était troublé que par le le grincement de la neige à chaque foulée du haradrim. Sa trace, depuis le versant opposé, avait dessiné un long serpent dans le vallon.  Artaxerxias espérait franchir la Brèche de Gamil Zirak, ultime haute passe avant d’entamer la redescente depuis les monts brumeux vers les forêts d’Eregion. Les contours de son goulet pierreux enserré entre eux pics d’argent, luisaient du givre bleuis accroché par le cinglement des brises humides de l’Ouest. S’accordant un instant de repos, le duelliste leur jeta un regard qui troubla sa bonne humeur : quelques pâles langues de brume s’accrochaient aux pointes saillantes. Un présage nébuleux et de mauvaise augure.

Artaxerxias pressa sa marche. L’ascension lui parut soudainement plus pénible. L’altitude rendait son souffle plus court. Et bientôt ses craintes se firent évidence. Une chape laiteuse enferma tout lointain et même les dents de pierre disparurent à sa vue. Puis ce fut la neige qui brouilla davantage tout repère. Le voyageur se trouvait pris au piège. Il eu quelques jurons, mais se ressaisit bien vite. Il avait vaincu des tempêtes hivernales plus terribles, et même parvenu à un âge vénérable pour un bretteur, il conservait quelques forces enfouies.

Tirant son épée,  il sonda le pied du versant les plus pentu jusqu’à ce que sa lame s’enfonça au-delà de la garde. Il déposa alors son bagage et dénoua son large bouclier ovale. En usant à la manière d’une écope, il excava dans le névé une loge de la taille d’un homme assis. Puis il coiffa l’ensemble de son écu auquel il noua les pans d’une toile cirée afin de clôturer l’accès. Enfin il s’installa dans l’abri de fortune, emmitouflé dans ses fourrures, et dîna de quelques victuailles : viande séchée, pain de voyage, fromage cuit. Peu à peu la brise cessa d’agiter la tenture faisant office de porte, signe que la neige avait recouvert sa cavité. Puis le sommeil le pris.

Le froid l’éveilla. Il ignorait l’heure qu’il pouvait être. Il agita doucement la garde de son arme, dans le flanc de son repère, ménageant une petite ouverture. Au dehors c’était la nuit. La tempête avait passé et la lune haute illuminait la neige d’une lueur opaline. Il décida de poursuivre sa route. Renversant sa toiture précaire, il renoua son bagage et se remit en chemin à la clarté glacée des astres. Il distinguait alors parfaitement les cimes édentées de Gamil Zirak. Il ne s’en trouvait qu’à moins d’une heure d’ascension.

Lorsque l’aube mêla ses rayons à l’éclat de cette nuit d’argent il avait déjà franchit le col et entamait la redescente depuis un bon moment. Les premiers arbres n’étaient plus qu’à quelques encablures et il espérait atteindre le cœur des forêts d’Eregion au soir. En somme, la tempête lui avait finalement accordé un repos prématuré et il n’en avait que d’avantage précipité son départ. De plus franchir une neige fraîche et glaciale avant le lever du soleil valait bien mieux que d’affronter une croûte détrempée qui eut mouillé ses vêtements et rendu par là sa progression bien plus pénible. Alors que le jour n’était pas encore à son midi, il avait quitté les coteaux enneigés de la montagne et se trouvait alors dans des pistes serpentant au milieu des chevrons venus échouer leurs vagues granitiques  contre les écueils des Monts Brumeux. L’odeur des essence résineuses envahi bientôt ses narines et l’air se fit plus doux et humide. Bientôt il emprunta une gorge bruyante où un torrent en éveil mêlait les eaux transpirées en amont en un flot joyeux qui battait la roche grise. Humant cette atmosphère mouillée de sève et de lichen, Artaxerxias sentit l’ivresse de l’altitude l’envahir et le pousser toujours plus loin sur la route sans fin.