Temps au calme

Le pétrichor envahissait l’air, suite au bref orage, exhalant des sols. Une pluie brève, d’une petite dizaine de minute seulement, ayant laissé place à un ciel traversé de fins nuages gris et de d’encore rares rayons de soleil. Le vent soufflait avec légèreté, sur ce paysage de plaines et de vallons, parsemé de quelques pans si réduits de bosquets. Tel un moment suspendu. Le crépitement du vint prendra la place du silence, ramenant l’attention de Maedhros vers son frère, accroupi à côté du foyer. Ils s’étaient installé près de l’une de ses bosquets, près d’une petite formation rocheuse. Sans chercher spécialement à se dissimuler. Peu de personnes vivaient dans cette région et ils n’y avaient pas d’ennemis déclarés. Quant aux orcs éventuels, s’ils venaient à passer, ils les verraient arriver de loin. Ils en avaient déjà croisé quelques uns, plus au Nord, au cours de leur voyage. Maglor s’assit à son tour, sur un des rochers, surveillant du coin de l’œil la cuisson des lapins attrapés tout à l’heure. La fumée voletait en douceur vers le ciel, décrivant quelques arabesques, avant de s’évaporer.

"Tu ne veux pas simplement en fabriquer une neuve ?" lança le rouquin en désignant la petite harpe brisée que travaillait son frère.

"Je tiens à celle-ci, j’y avais gravé tout du long la berceuse pour les petits."

"Rien ne t’empêche de le refaire."

"Ce ne serait pas pareil."

En quoi… ? Il haussa légèrement les sourcils mais ne fit aucun commentaire de plus, pas très convaincu par l’argument. Il se pencha pour attiser le foyer et rajouter une bûchette, à présent que le feu était bien lancé.  Au moins, son regard accrocha un peu de mouvement, des hommes à cheval, sans doute, qui disparurent bien vite à l’horizon. Même si ce pays s’était pacifié, on pouvait toujours s’attendre à tomber sur des types plus agressifs que la moyenne ou tout simplement des bandits. Là encore, il n’en faisait pas grand cas, tous deux pouvaient se défendre sans peine. Son épée restait posée à côté de lui, contre le rocher, tout comme son frère conservait la sienne à porter. Ces armes étaient devenues, avec le temps, des extensions de leurs propres bras. Vieilles mais toujours efficaces. Il s’imagina un bref instant mener une vie sans armes, en paix… Une idée… Étrange… Totalement irréalisable, avec ça. A l’inverse, son frère continuait de le souhaiter, alors même qu’ils n’en avaient pas la possibilité. Le brun tira quelques notes, une grimace aux lèvres, avant de baisser l’instrument contre ses genoux.

"Il faudra de nouvelles cordes, celles-ci sont trop usées. Si on trouve un village assez grand ou une petite ville, j’irai jeter un œil."

"Je ne sais pas s’ils sont très portés musique, dans la région."

"Dans le village de Lang, les habitants avaient beaucoup apprécié les chants et les spectacles de la caravane."

"Nous étions plus proches du Rohan que de Dun."

"Peu d’Humains détestent la musique. Lorsqu’ils ont assez de temps pour s’en soucier."

Là-dessus, il ne pourrait leur donner tord, il y avait beaucoup de moments où le cœur à écouter des chants n’y était pas. Il se releva et aller marcher un peu, en observant avec attention les alentours. Pour le moment, pas âme qui vive, en-dehors des animaux habitant ces contrées. Haut dans le ciel, un jeune aigle décrivait des arcs de cercle, devant être à la recherche d’une proie. Derrière lui, Maglor poursuivait son travail en chantonnant un vieil air, qu’il avait composé dès l’enfance. Tout était si calme… Il retourna s’asseoir, puis le temps que la viande cuise tranquillement, écouta simplement son frère chanter.

C’était le premier gros village qu’ils croisaient depuis longtemps… Ils avaient chevauché longuement, la veille, s’étaient brièvement arrêtés pour lui et avaient repris leur route à l’aube. Le tout sans croiser qui que ce soit, mis à part des chasseurs au loin et un autre voyageur à cheval, passé sans leur prêter attention, à vive allure. Le soleil avait eu le temps de s’élever avant qu’ils ne revoient des traces de vie. Des bourgs plus petits enfin, ce village, assez imposant. Les fumées des cheminées s’élevaient avec lenteur, dans un ciel toujours chargé. Quelques fermes s’étalaient sur des champs tout autour du village, pouvant presque passer pour une petite cité, par sa taille. La route principale menant au bourg était chaotique, enfoncée par les roues des charrettes et les piétinements des chevaux. Sur l’une d’elle, partant en sens inverse, il vit quelques Nains, riant et parlant fort entre eux. Il commençait à tirer son capuchon, par réflexe, pour couvrir en partie le visage, puis laissa tomber en se souvenant où ils étaient. Ça serait inutile… En revanche, ils avaient rabattu les pans de leurs capes de voyages sur leurs armes, pour ne pas se montrer agressifs ou menaçants.

Ils n’avaient pas vu grand-monde depuis un moment, également. Les rues étaient animées, bruyantes, encombrées… Les passants à pieds essayaient de repousser les chariots ou les personnes, plus rares, à cheval, d’autres slalomaient en courant entre tous. Les averses récentes avaient rendues les rues boueuses et il n’était pas si simple d’y circuler. D’autant plus que lorsque les étals et leurs marchandises débordaient largement. Ils avancèrent encore une centaine de mètres, avant d’arriver sur une grande place centrale et beaucoup de petits commerces. Maglor indiqua quelques enseignes, où il espérait trouver ce dont il avait besoin. A voir… Ils mirent pieds à terre non loin, amenant avant leurs chevaux boire. D’après les conversations entendues tout autour, il y avait l’air d’avoir autant de voyageurs de passage que d’habitants, sur la place. Quelques mètres plus loin, un artiste de rue, avec un jeune ours et des chiens, invectivait tous les passants, accompagné par un homme bien plus jeune jouant de la flûte. Maedhros était très peu adepte de ce genre de pratiques douteuses mais ne comptait pas faire un scandale au milieu de la ville.

Ils poussèrent la porte d’une petite échoppe, d’un luthier, une porte si basse que Maedhros dut quasiment se plier en deux pour la passer. Une ambiance bien plus feutrée les attendait en intérieur, plus poussiéreuse aussi. Le propriétaire des lieux, un Humain barbu et très âgé, aux cheveux blancs, était installé sur un tabouret derrière un comptoir, occupé à lustrer une harpe. Il sembla extrêmement surpris de tomber sur deux Elfes mais se ressaisit très vite. Pendant que son frère lui expliquait quel type de cordes il cherchait, l’aîné parcourut du regard les autres instruments exposés. Beaucoup de luths, des mandolines, deux harpes dans le fond de l’échoppe… Chaque instrument possédait la même marque, un M joliment gravé, discret. Le travail était très soigneux… Il en examina un de plus près, suivant distraitement la conversation derrière lui. Maglor avait pu récupérer ce qu’il cherchait et s’était mis à discuter des derniers troubles ayant agité la région. Sur des troupes de gobelins, notamment, qui auraient pillé un village, une nuit, à l’Est de l'Enedwaith. C’est lorsque le grand-père ajouta la localisation plus exacte que Madehros tiqua.

"Depuis quand les gobelins s’aventurent si loin des montagnes ?"

"Il n’y a ni troupes, ni patrouilles régulières, dans ces contrées-là."

Autrefois, il y avait bien les Nains qui… Enfin bref. Il écouta le marchand détailler un peu plus ce qui se racontait, sur cette attaque. Y mettant quand même une réserve, les histoires racontées de bouche à oreille se déformaient vite. Mais même si seulement la moitié était vraie, c’était inquiétant. Ils s’enhardissaient. Impossible, en plus de ça, de déterminer leur nombre exact. Certaines de ces montagnes étaient littéralement infestées. Le vieillard conclut en racontant que les survivants avaient fuit vers d’autres villages de l'Enedwaith, au Sud. Qu’ils n’avaient presque nulle part où aller, car les villages étaient peu nombreux. Maglor le paya et ils repartirent avec ces informations en tête, l’air plus sombre.

"Les gobelins ont encore dut se multiplier," grinça-t-il des dents dans leur langue natale, tout en flattant l’encolure de son cheval.

"Sans doute…"

L’envie d’aller vers l’Est était grande et dans le même temps, à seulement deux, ils ne pourront pas accomplir grand-chose. Ils pouvaient au moins tenter d’en apprendre plus sur ce qui s’était passé, en attendant…