Partners in crimes [Ismay]

C’était une journée sombre, un jour où le ciel s’était paré d’un épais manteau de nuages gris pour couvrir les alentours d’une certaine obscurité. En ce début d’après-midi, la petite cité du Rhudaur qui ne se trouvait qu’à quelques hectomètres de la frontière avec le Cardolan, était plongée dans un certain calme. Des conditions idéales pour ce rendez-vous très spécial auquel s’était rendu le prince Elphérios. Le lieu de cette entrevue officieuse qu’il avait initiée, se trouvait être la boutique d’un ami caviste qui habitait ce village frontalier. Pour s’y rendre, le jeune numénoréen avait fait preuve de discrétion afin de ne pas être repéré. Il ne s’agissait pas d’être reconnu, ici au rhudaur, en train de fomenter une quelconque réunion secrète. Cela paraitrait louche, et à juste titre d’ailleurs…

Assis sur une chaise faite de bois et d’osier, Elphérios était songeur et quelque peu prompt à la nervosité. Il ignorait si elle viendrait, ou si elle choisirait de l’ignorer ou même pire, de le trahir… Elle ? C’était Ismay, la princesse du Rhudaur, que notre prince avait contacté voilà quelques semaines, en lui transmettant un message écrit de sa main. Ce message avait été transmis par un messager capable de faire la liaison entre les deux royaumes, et dont la mission avait été de transmettre en main propre le précieux courrier à la fille du Roi. Voici ce qu’il contenait :

Pincesse Ismay,
Vous serez dans doute étonnée, pour ne pas dire surprise, voir même choquée choquée de recevoir un message de ma part, mais je souhaiterai m’entretenir avec vous de façon quelque peu officieuse au sujet de certains projets que j’aimerai vous exposer et vous proposer en détail et de vive voix. Cela va vous paraître étrange et quelque peu douteux, mais je vous assure que je ne souhaite nullement vous nuire, bien au contraire. Je vous attendrai le dernier vendredi de ce mois, dans l'après-midi, au village d’Allimir à l’échoppe de caviste du village qui est un ami fiable. J’y serai seul et sans escorte. Je vous reconfirme que mes intentions sont honorables et que vous ne risquerez rien à écouter ce que j’ai à proposer. Cela pourrait fortement vous intéresser…
Dans l’espoir de vous y retrouver,
Mes salutations,
Elphérios, Prince du Cardolan

Le propriétaire des lieux était un ami de longue date que le prince du Cardolan connaissait depuis des années. Grand amateur de vin, il arrivait souvent qu'Elphérios le convie à Tharbad pour lui acheter ses meilleurs vins. Il avait donc accepté contre une petite somme d'argent de lui laisser sa boutique pour la journée. Ça n'était pas une grande bâtisse, la pièce d'accueil contenait simplement un comptoir et quelques étagères. Sur la gauche en entrant, se trouvait une porte qui donnait sur un escalier en colimaçon qui s'enfonçait sous terre pour déboucher sur une grande cave où se trouvaient les fûts et les tonnelets contenant les boissons alcoolisées. La cave aurait pu être un lieu idéal pour parler en toute discrétion, sous terre et isolé de tout. Mais les soupirails qui étaient là pour aérer le sous-sol offraient un accès propice aux oreilles indiscrètes pour écouter la conversation… Non, Elphérios avait trouvé plus judicieux que la rencontre ait lieu dans une petite pièce sur la droite de la pièce principale, qui faisait office de bureau pour le maître des lieux. Il n'y avait plus qu'à attendre l'éventuelle arrivée d'une princesse du Rhudaur…

Les affres de santé de la reine possédaient quelques avantages… Il devenait plus aisé de se charger de certaines tâches et de s’en servir comme couverture afin de se déplacer plus aisément. Par ailleurs, il ne lui était guère difficile d’organiser ses déplacements et rendez-vous officiels sans que son père, fortement occupé ces derniers temps, ne s’en préoccupe. Les rares avantages à n’être qu’une femme avaient, en cette occasion, une certaine utilité… Visage couvert par une large capuche, vêtements d’un noir habituel, surmonté d’une cape contre le froid, air clos et distant, son apparence ne détonait guère, dans ce paysage monotone. Il avait été simple de se déplacer seule en ces lieux mais cela ne signifiait guère, pour autant, qu’elle y venait sans aucune protection. Armée et fin prête à se défendre, si le besoin se faisait ressentir, elle comptait autant sur la vitesse que sur la force physique, acquise par l’entraînement. Tandis qu’elle chevauchait, son esprit était hanté par de multiples questions… Une aussi curieuse invitation incitait à la méfiance, bien entendu, mais aussi à une forte curiosité. L’espoir de tenir, enfin, une opportunité, aussi puissant que la lassitude et les pensées que tout cela ne mènera à rien d’intéressant.

Ses précédents préparatifs lui avaient permis de se rendre ici en toute discrétion, bien qu’étant préparée au pire. Il était évident qu’elle n’accordait encore aucune confiance au prince du Cardolan… Ils s’étaient rencontrés à de rares occasions, au cours de brefs échanges entre leurs deux royaumes. Des échanges toujours assez stricts et figés, par ailleurs, laissant planer une ambiance glaçante, quoi qu’ils n’étaient pas en guerre. Rien de tout cela ne lui avait permis de connaître ce garçon, puis l’homme qu’il était devenu, bien qu’il avait su, aujourd’hui, attiser sa curiosité. Elle laissa sa monture en un lieu sûr, avant d’avancer à pied et se rendre au lieu convenu. Bien peu de personnes parcouraient les rues du village, à une telle heure, la plupart des habitants travaillaient dans les champs ou leurs échoppes, sans se soucier des quelques passants. Le froid et le vent régnant sur le pays poussaient bon nombre à se couvrir le visage, ce qui l’aidait à ne pas se trahir. L’échoppe désignée pour la rencontre ne payait pas de mine… Quoi que discrète, en effet, c’était ce qui comptait le plus.

Une petite clochette résonna, lorsqu’elle poussa la porte d’entrée de la boutique. Sur un intérieur dont les fenêtres étroites n’aidaient que peu à faire passer la lumière du jour. Un comptoir de bois, ayant connu des jours meilleurs, des étagères rempliées de bouteilles, de verres, de carafes et de quelques ustensiles pratiques ou de simples décorations, agrémentés du sceau du propriétaire… Ismay attendit d’être bel et bien face à face avec son interlocuteur et de s’assurer qu’il s’agissait bien de lui, ainsi que de sa solitude, avant d’abaisser la capuche couvrant ses cheveux roux, noués en une longue natte. Bien que leur précédente rencontre datât d’il y a déjà quelques années, il ne semblait guère avoir changé. Un teint légèrement plus mat que le sien, ce qui n’avait d’ailleurs rien de difficile, des yeux plus sombres, des cheveux mêlant blondeur et couleur châtaigne. L’observer lui ramena en mémoire ce que disait parfois sa mère, la dignité d’un homme, ainsi que sa force, doivent se remarquer dès la première rencontre. Des qualités dont Ismay n’avait cure, leur préférant l’intelligence.

"Mes salutations," débuta-t-elle d’un ton neutre. "Voilà de longues saisons que nous ne nous étions plus rencontrés."

Et cela serait demeuré ainsi, sans son initiative… Curieuse… Elle défit la cape de voyage qu’elle portait, laissant apparaître des vêtements de teintes tout aussi sombre, une robe grise et noire, dont le col couvrait entièrement son cou, ainsi que des gants.

"De quoi souhaitiez-vous parler ?"

En ce genre de circonstances, il lui semblait nécessaire d’entrer dans le vif du sujet, plutôt que perdre du temps en pérégrinations et ronds de jambes. Le protocole habituel ne pouvait s’exercer ici.

Le craquement de la lourde porte en bois suivi du tintement de petites clochettes vinrent briser le silence qui régnait à l'intérieur de la boutique. Ni une, ni deux, Elphérios se rendit dans la pièce d'accueil et salua son invitée d'un signe de tête avant de se précipiter vers la porte pour en rabattre le loquet et ainsi bloquer l'accès depuis l'extérieur pour être certain que personne ne viendrait les déranger si jamais la pancarte indiquant "fermé" ne suffisait pas à dissuader les clients les plus tenaces.

Le prince porta alors son attention sur la princesse qui semblait elle aussi le dévisager. Rien d'anormal étant donné qu'ils ne s'étaient pas vu depuis quelques années et que les souvenirs de leurs visages plus jeunes n'étaient que très légers. Elphérios avait toujours trouvé cette jeune princesse froide et peu avenante mais les rencontres entre leurs familles n'encourageaient pas vraiment à plus de chaleur entre les différents membres des deux familles.

- Cela fait longtemps effectivement, je vous remercie d'être venue.

D'un geste du bras, le prince du Cardolan désigna la petite pièce sur la droite pour inviter son invitée à y entrer. Désormais, ils pourraient parler à l'abri des oreilles indiscrètes et sans être visible de qui que ce soit. La jeune femme lui demanda sans détour quel était l'objet de sa présence ici.

- Eh bien je vous ai fait venir pour vous demander votre main…

Avait il répondu pour faire un trait d'humour., laissant s'échapper un rire très bref. Il se doutait que la nouvelle ainsi annoncée, aurait de quoi surprendre la princesse, et pour qu'elle ne prenne pas tout ceci pour une vaste plaisanterie, il reprit d'un ton plus sérieux tandis qu’il s’appuyait contre le bureau en bois.

- Formulé de manière plus sérieuse, je pense que nous pourrions trouver un intérêt commun à établir un plan visant à ce que nos pères respectifs en viennent à abdiquer en notre faveur si nous venions à leur présenter les intérêts d'un mariage entre vous et moi. Mais avant de parler d'un quelconque plan, ou même d’évoquer la difficulté plutôt élevée de cette perspective, je voudrais savoir si cette idée pourrait vous intéresser ?

Il était inutile de s’étaler sur le sujet si la princesse était complètement opposée à cette perspective… Elphérios n’espérait pas que cela soit le cas, car cela le mettrait dans une situation délicate où il pourrait être accusé de conspiration. Cela dit, il avait bon espoir quant à l’approbation de la princesse car cela représentait tout de même une opportunité de prendre le pouvoir, ce qui ne lui était certainement pas destiné en tant que femme.

"Eh bien je vous ai fait venir pour vous demander votre main…"

Très amusant… Elle ne réagit ni à ça, ni au petit rire qu’il lâcha dans la foulée, peu sensible à l’humour d’une manière générale et d’autant plus dans ce genre de circonstances. Il s’appuya sur le bureau, recouvrant un air plus sérieux, tandis qu’elle se plaçait près de la petite étagère dans le coin, les bras croisés, en attendant qu’il daigne discuter de la véritable raison de cette rencontre secrète. S’attendant surtout à ce qu’il lui parle d’un complot établi par son royaume, le sien ou même l’Arthedain. Venant de ces derniers, cependant, ça ne l’étonnerait guère, ils n’étaient que peu réputés pour leur côté humble et diplomate… Une opinion sans nul doute fortement influencée par celle de sa famille, mais qui ne l’avait jamais choquée pour autant. Cela dit, les trois contrées ne possédaient guère de relations amicales, bien que le tout demeure, en surface, cordial. On pouvait s’en agacer mais les affaires n’évolueront pas si aisément. Pour sa part, elle estimait tout cela comme un frein. Bloqués dans leurs domaines respectifs, la situation ne progressait jamais.

"Formulé de manière plus sérieuse, je pense que nous pourrions trouver un intérêt commun à établir un plan visant à ce que nos pères respectifs en viennent à abdiquer en notre faveur si nous venions à leur présenter les intérêts d'un mariage entre vous et moi. Mais avant de parler d'un quelconque plan, ou même d’évoquer la difficulté plutôt élevée de cette perspective, je voudrais savoir si cette idée pourrait vous intéresser ?"

Si elle demeura de marbre, intérieurement, la surprise fut grande. Elle crut tout d’abord qu’il parvenait à bien se payer sa tête, puis réfréna son envie de l’envoyer balader, bien que lui brûlant les lèvres. Ne jamais répondre impulsivement… Ces quelques mots éveillaient en elle certains de ses désirs les plus brûlants, pour autant, elle ne pouvait être sûre qu’il ne s’agissait pas d’un simple appât, destiné à l’amener dans un piège. Il était un homme et à ce titre, elle devait se méfier de lui, par défaut. Le pouvoir principal leur appartenant, ils n’en cédaient pas une miette, ils pouvaient devenir si vicieux et agressifs pour écarter toute velléité de s’en emparer. La prudence était de mise. Jusqu’alors, elle avait imaginé de nombreux chemins plus… radicaux… La possibilité d’une telle alliance ne lui avait pas traversé l’esprit, pour la simple raison qu’elle ne s’était pas imaginé s’associer avec un homme. Ces derniers refusant qu’une femme ait la possibilité d’accéder à leur pouvoir.

"La situation actuelle, si figée, de nos royaumes, est un frein, c’est un fait. Je le réprouve, sans doute autant que vous. Ceci étant, de telles idées ne doivent pas être prises à la légère."

Voilà un autre point pouvant inquiéter… Car elle ne le connaissait que très peu, pour ne pas dire pas du tout, et avait une nature à se méfier d’instinct des personnes capables de débuter un tel sujet en riant. Même si cela avait été très bref. Était-il sérieux et fiable ? Avait-il les épaules nécessaires pour suivre ce genre de plan ? Pouvait-elle véritablement se permettre d’engager une alliance de cette nature ? Au fond, elle savait qu’il s’agissait là d’un des rares chemins fiables pour accéder à ses objectifs. Néanmoins, ça ne signifiait qu’elle allait s’y engager en courant.

"Un mariage d’intérêt est effectivement une porte d’entrée vers d’autres actions, pouvant à terme effacer ces années de stagnation," reprit-elle, à peine moins raide que tout à l’heure. "Il va néanmoins de soi que ces aspirations ne vont pas s’accomplir sans peine… Quels sont vos véritables objectifs ? Je ne compte pas être un simple objet à utiliser."

Mieux valait que les choses soient parfaitement claires, dès les premiers instants. S’il avait besoin d’une simple poupée pouvant faire bonne figure à son bras, il ne s’adressait guère à la bonne personne.

Le petit trait d’humour n’avait provoqué aucun soupçon de réaction chez la jeune princesse. Aucune surprise, aucun rire, elle demeurait impassible à cette annonce pourtant surprenante. Voilà qui était pour décevoir quelque peu Elphérios qui appréciait les gens pouvant faire preuve d’humour ou de décontraction… Ca n’était manifestement pas le cas pour la demoiselle qui semblait bien différente de lui à ce niveau-là.
«  La situation actuelle, si figée, de nos royaumes, est un frein, c’est un fait. Je le réprouve, sans doute autant que vous. Ceci étant, de telles idées ne doivent pas être prises à la légère »

Voilà donc un point sur lequel leurs opinions convergeaient. Tout comme lui, la princesse du Rhudaur semblait convaincue par le fait qu’un rapprochement des deux royaumes était une étape pratiquement obligatoire pour qu’ils puissent gagner en puissance. Cela prouvait entre autre que nos deux protagonistes étaient capables de se forger leurs propres opinions politiques sans s’être laissé influencer par leurs pères qui se complaisaient dans le maintien du statu quo entre les royaumes qui composaient l’ancien Arnor unifié.

«  Il va néanmoins de soi que ces aspirations ne vont pas s’accomplir sans peine… Quels sont vos véritables objectifs ? Je ne compte pas être un simple objet à utiliser »

Les doutes et la méfiance qu’exprimait la princesse au sujet d’un tel plan étaient aussi légitimes que normaux. Après tout ils ne se connaissaient pas et rien ne lui garantissait qu’Elphérios n'était pas un homme prêt à tout et dont le seul objectif était à terme de gouverner seul en révoquant son épouse une fois le pouvoir suprême acquis. Pourtant, ça n'était pas dans son caractère. Il avait certes de l’ambition et une soif de pouvoir, mais il ne convoitait pas pour autant un pouvoir absolu et pour lui seul. A l’heure actuelle même, il était davantage excité par la mise en œuvre de son plan que par la finalité de celui-ci.
Le prince était néanmoins rassuré de voir la princesse ainsi se méfier des possibilités de se faire manipuler dans cette histoire. Cela prouvait qu’elle n’était ni niaise, ni crédule, ce qui ne pouvait être que positif pour mener à terme une manœuvre politique aussi complexe en sa compagnie…

- Je comprends tout à fait votre méfiance et je dois dire qu’elle me rassure… J’ai des garanties à vous apporter pour vous convaincre, et ce seront d’ailleurs les mêmes que je compte utiliser pour convaincre votre père de vous léguer le pouvoir.

Il reprit une position debout en se détachant du petit bureau qui lui servait d’appui. Puis, il marcha quelques pas très lentement tandis qu’il évoquait les garanties qu’il pouvait apporter à sa potentielle complice
- J’ai songé au fait que notre mariage devrait être régi par un contrat stipulant que l’abdication de nos pères s’appliquerait seulement envers leurs enfants respectifs. En d’autres termes, le pouvoir d’autorité sur le Rhudaur ne serait attribué qu’à vous-même tandis que j’obtiendrais celui du Cardolan. Cela ne nous empêchera pas de gouverner ensemble, mais c’est une garantie pour vous comme votre père que tout ceci n’est pas une manœuvre destinée à  ce que je récupère tous les pouvoirs. D’ailleurs je pense qu’il faudra stipuler que si le mariage est rompu ou même bafoué par vous ou par moi, alors ces accords deviendraient caducs. Cela peut suffire à vous prouver que je ne compte pas vous utiliser mais que j’ai vraiment l’intention de partager équitablement ce pouvoir.

"Je comprends tout à fait votre méfiance et je dois dire qu’elle me rassure… J’ai des garanties à vous apporter pour vous convaincre, et ce seront d’ailleurs les mêmes que je compte utiliser pour convaincre votre père de vous léguer le pouvoir."

Qu’il veille à ne pas faire le moindre mouvement un peu brusque et menaçant, tandis qu’il s’approchait lentement de quelques pas… Toujours prête à un sale coup, elle n’hésiterait pas à les lui rendre au centième près. Quant à ses garanties… Cela était à voir… Car si elle devait s’accompagner d’une personne pour progresser plus rapidement et efficacement, celle-ci ne devait être ni un simplet, ni un rat des villes. Cela posé, il était tout de même parvenu à capter son attention, suffisamment pour qu’elle ne reparte pas d’ici aussi vite qu’elle était venue ou qu’elle n’ait pas envie d’hurler à tous qu’il se comportait comme un fauteur de troubles ou un traître. Un exploit suffisamment élevé pour le souligner, de la part d’un homme. Son existence l’avait rendue misandre et il lui était ardu de se détacher de ses jugements de valeur.

"J’ai songé au fait que notre mariage devrait être régi par un contrat stipulant que l’abdication de nos pères s’appliquerait seulement envers leurs enfants respectifs. En d’autres termes, le pouvoir d’autorité sur le Rhudaur ne serait attribué qu’à vous-même tandis que j’obtiendrais celui du Cardolan. Cela ne nous empêchera pas de gouverner ensemble, mais c’est une garantie pour vous comme votre père que tout ceci n’est pas une manœuvre destinée à ce que je récupère tous les pouvoirs. D’ailleurs je pense qu’il faudra stipuler que si le mariage est rompu ou même bafoué par vous ou par moi, alors ces accords deviendraient caducs. Cela peut suffire à vous prouver que je ne compte pas vous utiliser mais que j’ai vraiment l’intention de partager équitablement ce pouvoir."

De telles clauses seraient en effet rassurantes… Cependant… Cependant, cela ne pouvait s’appliquer tel cas et certainement pas dans les conditions actuelles. Elle prit une très légère inspiration, en le regardant droit dans les yeux, avant de répondre. Ils avaient beau être seuls et isolés, la prudence demeurait de mise… Jamais elle n’avait parlé de ses projets les plus sombres à qui que ce soit, bien entendu. Le faire ici était devenu de moindre risque, après ce que le Prince avait lui-même engendré. En cas de conflit, parole contre parole, il était douteux que leurs pères respectifs parviennent à démêler le vrai du faux. Dans le pire des cas, cela entraînerait une guerre entre leurs deux nations et elle estimait ce risque négligeable. D’une part, le chaos engendré pourrait lui permettre de faire progresser ses propres plans, d’autre part, cela laisserait une chance à son père de mourir dans une bataille ou une embuscade. Sachant qu’il serait même inutile que cette dernière soit officiellement organisée par le Cardolan. En période de guerre, un accident était si vite arrivé. Tous comme les empoisonnements intempestifs étaient si fréquents. Entraîner deux pays dans une guerre sanglante pour des objectifs de pouvoir personnel ne lui posait aucun problème de conscience. Bien au contraire.

"Vous êtes fils unique, je ne le suis guère. En cas d’abdication, le pouvoir reviendrait à mon frère aîné, puis à mon jeune frère. Un tel contrat, dans l’état actuel des choses, ne pourrait avoir quelque valeur, car mon père refuserait d’y adhérer. Pas alors que ses fils et de possibles futurs héritiers arrivent. Mon frère aîné s’est marié il y a peu. A moins qu’avant un mariage de cette nature, cette situation familiale se retrouve bouleversée."

Toujours aucune émotion ne traversait son visage, pas même en évoquant les décès de ses propres frères. Une idée comme celle-ci avait mûri en elle depuis bien longtemps, tout comme ce qui concernait ses chers parents. Elle savait qu’il n’existait pas d’autres chemins que celui-ci et songeait que son interlocuteur ne pourrait se formaliser d’une telle chose. Pas en parlant de ce sujet…

"Bien sûr, cela ne doit pas sembler suspect. Avez-vous une opinion sur ce type de méthodes ?"

Un fratricide, voilà à demi-mots ce que la princesse Ismay venait de suggérer… Le prince du Cardolan ne s’était pas attendu à ce que sa partenaire de manigances politiques soit aussi déterminée et capable d’envisager de telles actions dans sa propre famille. Cela ne faisait que démontrer la dangerosité de fomenter avec elle et sonnait pour Elphérios comme un rappel à la vigilance. Si lui possédait une certaine retenue à dispenser la mort selon ses besoins, il n’en était visiblement pas de même pour celle qui se trouvait en face de lui.

- A vrai dire, je pense qu’il s’agit là de méthodes pouvant se montrer terriblement efficaces pour faire place nette, mais atteindre son but par la seule violence vous expose à une situation dans laquelle vous risquez d’être, une fois au pouvoir, la cible de gens aussi… déterminés que vous à prendre ce que vous possédez. Et puis c’est tellement moins amusant de céder ainsi à la facilité des assassinats…

Elphérios n’était pas d’un naturel couard et peureux, mais il avait compris depuis bien longtemps que l’adage : Qui vit par les armes, meurt par les armes, était on ne peut plus vrai. Or la perspective de devoir vivre dans une constante paranoïa ne le réjouissait guère, lui qui aimait faire preuve d’insouciance et profiter des joies de la vie. Il n’était pas né de la dernière pluie et savait qu’un titre de roi d’un royaume unifié le mettrait quoi qu'il en serait dans une situation délicate, à la mercie des conspirateurs, mais il aurait préféré éviter d’être, potentiellement un jour, soupçonné d’avoir causé la mort de prince héritier du Rhudaur…

- Idéalement j’avais espéré que nous pourrions, par d’habiles manipulations, convaincre votre père que son plus grand intérêt, et surtout celui de votre peuple, serait dans le fait de vous donner les pleins pouvoirs très prochainement plutôt que d’abdiquer en faveur de votre frère dans quelques années. C’est entre autre par ce sentiment d’avoir le couteau sous la gorge que je compte convaincre mon père d’abdiquer en ma faveur…

Il était à deux doigts de dévoiler le subterfuge qu’il comptait utiliser pour convaincre son père. A vrai dire, ses manipulations reposeraient sur des fausses rumeurs qu’il aurait lui-même fait parvenir jusqu'à son père afin de le convaincre. Un bouleversement de hiérarchie basée sur des balivernes, voilà qui pourrait également s’avérer dangereux à l’avenir, si la vérité venait à se savoir, mais cela resterait beaucoup plus tolérable qu’un fratricide.

- Mais je m’en remet à votre jugement, si vous pensez qu’une manipulation serait vouée à l'échec et que la seule solution qui pourrait faire plier votre père serait celle d'éliminer la concurrence, alors je vous suivrai.

De toute façon, il ne pouvait pas vraiment reculer et annuler ses plans maintenant. Il s’agissait d’un plan qu’il devait construire avec la princesse de Rhudaur et lui faire confiance pour juger des choses à entreprendre de son côté de la frontière était primordial pour garantir la réussite de leur collaboration.

"A vrai dire, je pense qu’il s’agit là de méthodes pouvant se montrer terriblement efficaces pour faire place nette, mais atteindre son but par la seule violence vous expose à une situation dans laquelle vous risquez d’être, une fois au pouvoir, la cible de gens aussi… déterminés que vous à prendre ce que vous possédez. Et puis c’est tellement moins amusant de céder ainsi à la facilité des assassinats…"

Envisager une vie, qu’elle soit brève ou longue, à sans cesse regarder derrière soi jusqu’au jour où elle connaîtra effectivement le même sort ne l’émouvait guère. Néanmoins, ça ne semblait visiblement pas être le cas de ce jeune prince. Elle pourrait presque en sourire, ayant déjà noté ce petit « détail ». Les hommes étaient prompts à partir au combat, arme à a main, affronter fièrement l’ennemi arrivant face à eux, comme s’il s’agissait là du plus digne moyen de mourir. En revanche, rares étaient ceux à se sentir prêts à affronter une vie entière avec ce couperet au-dessus de la nuque. Bien sûr, il existait d’autres moyens, permettant de dégager le chemin, d’autant plus accessibles s’il n’était plus seule à devoir les mettre en place et en préparer les conséquences. Cela dit, contrairement à son homologue, elle ne jugeait pas les assassinats si simples, d’autant plus lorsqu’ils pouvaient vous procurer une telle satisfaction. Mais elle avait désiré voir la réaction de son interlocuteur avant tout. Il ne s’était pas mis à blêmir, à bafouiller, à reculer, c’était déjà un bon point en sa faveur. Dans le cadre d’une alliance, elle était disposée à accepter des concessions, dans la mesure où elle était certaine qu’ils parviennent à leurs objectifs, bien entendu. Les manipulations politiques étaient également efficaces, bien entendu. Plus longues… Et devant être assorties de conditions de sûreté.

"Mais je m’en remet à votre jugement, si vous pensez qu’une manipulation serait vouée à l'échec et que la seule solution qui pourrait faire plier votre père serait celle d'éliminer la concurrence, alors je vous suivrai."

Il savait bel et bien s’adapter à qui se trouvait face à lui, c’était un bon point également. Cela ne voulait évidemment pas dire qu’elle pouvait lui faire confiance, cette dernière se gagnant avec le temps et les moyens mis en œuvre pour, mais cela signifiait qu’elle pouvait se permettre de premières projections plus sérieuses dans cet avenir encore incertain.

"Les manipulations sont efficaces lorsqu’elles sont couplées à d’autres méthodes," enchaîna-t-elle paisiblement, détachée. "Notre père s’attachera à sauver l’honneur de ses fils tant qu’il ne se passera pas un acte touchant à ses convictions les plus ancrées. Ce qui pourra l’humilier, somme toute, au travers d’eux. Une grave défaite au combat, ce qui serait actuellement plus compliqué étant donné que le pays n’est pas ouvertement en guerre. L’incapacité à eux-mêmes obtenir des fils, ce qui peut, cette fois, mieux s’arranger… Quant à notre benjamin, s’il assumait sa préférence pour les hommes, plutôt que les femmes, ce serait un moyen aisé de l’écarter."

Elle n’avait découvert ce secret-là que très récemment, à vrai dire. Et y avait vu aussitôt un moyen de pression supplémentaire, leur jeune cadet ne pourrait faire accepter cela, quoi qu’il se passe. Dans d’autres circonstances, elle s’en serait moqué, mais ici… Si ce fait demeurait caché et que leur petit frère s’obligeait à épouser une femme et lui donner des héritiers, alors leur père tenterait tout pour étouffer la rumeur. Le mieux serait que le tout jeune homme ose s’affirmer ou qu’on l’y pousse. Elle ignorait encore l’identité de l’homme aperçu avec lui, il faisait alors trop sombre et cela avait duré bien trop vite. Le plus amusant serait qu’en sus, cet homme ne soit pas issu de la Noblesse.

"Je suppose que vous avez également déjà dut réfléchir à diverses méthodes."

"Notre père s’attachera à sauver l’honneur de ses fils tant qu’il ne se passera pas un acte touchant à ses convictions les plus ancrées. Ce qui pourra l’humilier, somme toute, au travers d’eux. Une grave défaite au combat, ce qui serait actuellement plus compliqué étant donné que le pays n’est pas ouvertement en guerre. L’incapacité à eux-mêmes obtenir des fils, ce qui peut, cette fois, mieux s’arranger… Quant à notre benjamin, s’il assumait sa préférence pour les hommes, plutôt que les femmes, ce serait un moyen aisé de l’écarter."

Cette dernière information était en effet fort utile car très facile à exploiter. Il suffirait de tendre un piège à ce jeune homme et de coupler cette action à des rumeurs lancées ça et là pour le décrédibiliser totalement. Mais le plus gros problème restait l’héritier légitime ainsi que le roi lui-même… En tout cas, il apparaissait désormais clairement à Elphérios que la princesse du Rhudaur avait déjà bien analysé la situation de son côté sur les moyens à mettre en œuvre pour accéder au pouvoir, sans cela elle n’aurait pas pu dresser un bilan aussi précis des failles à exploiter pour parvenir à ces fins. Manifestement, elle n’avait pas attendu le projet d’Elphérios pour songer à tous les filons qu’elle pouvait exploiter pour accéder au pouvoir, ce qui démontrait une fois de plus sa détermination et ses ambitions. Peut-être qu’il avait donc visé juste en misant sur cette partenaire qui semblait déterminée, lucide et intelligente mais dont il devait se méfier tant l’avidité de pouvoir semblait prendre le dessus sur toutes autres choses.

- Je suppose que vous avez également déjà dû réfléchir à diverses méthodes.

- Je ne savais pas comment aborder les choses concernant votre père car je ne disposais pas de toutes les informations. Mais j'admet avoir entretenu le faux espoir qu’une entourloupe comme je compte le faire avec mon père aurait suffit.

Elphérios était calme et serein au moment de dévoiler son stratagème. Il l’avait tellement imaginé dans son esprit et envisagé toutes les possibilités qu’il était convaincu qu’un simple mensonge étayé par de faux témoignages d’espion et son habileté à anticiper la moindre réaction de son père, suffirait au succès de cette manipulation. Et il était maintenant temps d’en dévoiler un peu plus à sa complice, ne serait-ce que pour la rassurer sur le fait que du côté du Cardolan, l’affaire était presque déjà ficellée.
- Pour vous la faire courte, le seul moyen de convaincre mon père serait de parvenir à le convaincre qu’il n’a pas d’autre choix que d’encourager et même d’initier notre mariage politique. Pour cela il me suffirait de le laisser croire, par diverses méthodes, que votre père compte faire un mariage arrangé de l’un de vos frère avec la fille du roi Aragorn… Il marqua une petite pose et ajouta  - Je sais, cela peut paraître gros comme mensonge, et il n’y croira pas immédiatement, mais cela fera naître en lui un doute. Doute que je transformerai petit à petit en peur…La peur de se retrouver dupe dans cette affaire ce qui le pousserait à vouloir bouleverser les plans établis et à vouloir faire le même genre de proposition à votre père en me mariant à vous. Il préfèrera s’allier au Rhudaur plutôt qu’a l’Arthedain ou pire encore au fait de se retrouver seul face à deux royaumes solidement alliés. Cela peut paraître bancal, mais je connais mon père… je sais que cela fonctionnera pour lui et qu’il ne découvrira pas la vérité.

Le roi du Cardolan se croyait bien trop malin et avait bien trop d’orgueil pour avouer à son homologue qu’il était au courant de ce qu’il penserait être la vérité. De plus, Elphérios ferait tout pour le convaincre de traiter lui-même avec les gens du Rhudaur ce qui éviterait tout risque que la supercherie ne soit soupçonnée. Et quand bien même, même si la vérité était dévoilée, il ne serait pas dans l'intérêt du roi de se retourner contre son fils en assumant donc de s’être fait berner si aisément par ce dernier… Il préférerai largement que tout ceci soit gardé sous silence.

- Cela me parait plus compliqué à mettre en œuvre pour votre père malheureusement. Alors oui, les failles que vous avez cité concernant votre jeune frère semblent intéressantes à exploiter. Mais la question de votre frère aîné demeure la plus délicate à gérer sans faire couler le sang, je vous le concède…

"Je ne savais pas comment aborder les choses concernant votre père car je ne disposais pas de toutes les informations. Mais j’admets avoir entretenu le faux espoir qu’une entourloupe comme je compte le faire avec mon père aurait suffit."

Si seulement… Plus jeune, elle avait effectivement entretenu ce même espoir, songeant alors que tout pouvait être si simple, une fois ces affaires lancées… La réalité avait été dure à admettre et observer bien en face. Mais soit. Elle l’écouta poursuivre sur ce qu’il avait imaginé, le dos appuyé contre le mur derrière elle, dans une position en apparence décontractée. La méthode présentée lui sembla tout d’abord saugrenue, comme il l’admit lui-même, le mensonge était bien gros. L’Arthedain ne traitait que bien peu avec leurs deux royaumes et ils étaient perçus comme… Disons, plus hautains et éloignés d’eux que d’autres royaumes plus éloignés encore. Ce qui n’était pas peu dire. L’ascendance de la famille royale de l’Arthedain les faisaient se sentir supérieurs et cela se ressentait, dans leur manière de vivre, de gouverner ou tout simplement dans les relations entretenues avec d’autres. Le père d’Elphérios pourra-t-il donc croire à pareille manœuvre ? Si oui, alors il était profondément naïf ! Ou manipulable… Son fils, dans tous les cas, était très confiant sur ce point, toute son attitude le criait. A lui d’en juger… Pour sa part, elle ne connaissait presque rien du souverain du Cardolan et ne saurait donc affirmer quelles étaient ses forces et faiblesses. Faire confiance à un autre était difficile, cela étant… Il le faudra bien.

"Cela me parait plus compliqué à mettre en œuvre pour votre père malheureusement. Alors oui, les failles que vous avez cité concernant votre jeune frère semblent intéressantes à exploiter. Mais la question de votre frère aîné demeure la plus délicate à gérer sans faire couler le sang, je vous le concède…"

Il était décidément de ces personnes si peu promptes à envisager des moyens plus radicaux… Elle devra s’y faire… Quitte à opérer seule si la situation l’exigeait… Ce qui sera, de toute manière, le cas pour ce qu’elle envisageait envers sa tendre fratrie.

"Mon aîné et son épouse peuvent vivre, là n’est pas le souci. Tant qu’ils ne peuvent engendrer d’héritier. Si Isabel était évincée, elle serait simplement remplacée. Il existe néanmoins des méthodes pouvant les rendre, tous deux, assez malades pour ne pas parvenir à engendrer un héritier valable ou que l’enfant ne puisse survivre dans le ventre de sa mère. Ce serait le plus simple, bien qu’il soit, de toute façon, fréquent qu’un nourrisson ne survive pas, les premiers temps de sa vie. Cette incapacité à fournir un héritier les écarterait. Tout comme notre benjamin le serait. Il suffirait alors que j’ai moi-même un fils."

Notons qu’elle faisait des efforts, admettant qu’il était possible que ses frères, et même sa belle-sœur si la vie lui offrait cette chance malgré les circonstances, restent en vie. Un pas vers ce nouvel allié… Leur petit frère serait le plus simple à écarter et ne serait-il pas un bonheur, pour lui, de pouvoir vivre librement avec l’homme qu’il aimait ? Et s’il n’osait franchir le pas, en tant que sœur aînée aimant et bienveillante, elle se fera une joie de l’y pousser et de le forcer à avouer ses penchants. Étant donné que cela faisait partie de ce que leurs parents réprouvaient le plus, le jeune homme sera contraint à l’exil. Il vivra heureux, avec son homme, débarrassé de toute contrainte, c’était certain. Quant à son aîné… Que ça soit en le touchant lui ou Isabel, il y avait de multiples substances pouvant altérer la santé et pire encore, celle d’une femme enceinte. Si fragile…

"Le plus aisé à atteindre sera mon benjamin. Moins confiant, moins prompt à aller vers le conflit, déjà si persuadé qu’il ne sera jamais roi car notre aîné vient de se marier et ne tardera pas à avoir des héritiers. Je découvrirai qui est l’homme qu’il aime. En combien de temps pensez-vous parvenir à distiller la peur dans l’esprit de votre père ?"

Bien que ce genre de plan prenne bien sûr beaucoup de temps et de manœuvre, elle comptait bien planifier avec soin chaque étape et mettre à profit les précieux jours à leur disposition. Afin de saisir la moindre occasion.

“ Mon aîné et son épouse peuvent vivre, là n’est pas le souci. Tant qu’ils ne peuvent engendrer d’héritier. Si Isabel était évincée, elle serait simplement remplacée. Il existe néanmoins des méthodes pouvant les rendre, tous deux, assez malades pour ne pas parvenir à engendrer un héritier valable ou que l’enfant ne puisse survivre dans le ventre de sa mère. Ce serait le plus simple, bien qu’il soit, de toute façon, fréquent qu’un nourrisson ne survive pas, les premiers temps de sa vie. Cette incapacité à fournir un héritier les écarterait. Tout comme notre benjamin le serait. Il suffirait alors que j’ai moi-même un fils."

L’évocation de ces “méthodes” pouvant porter suffisamment atteinte au couple princier fin naître en l’esprit d’Elphérios tout un tas d’idées et de combinaisons machiavéliques pour définitivement les écarter de l’accession au trône. Un léger rictus vint habiller ses lèvres, signe non dissimulé que le jeune homme estimait dorénavant à la hausse, les chances du succès de cette entreprise.

"Le plus aisé à atteindre sera mon benjamin. Moins confiant, moins prompt à aller vers le conflit, déjà si persuadé qu’il ne sera jamais roi car notre aîné vient de se marier et ne tardera pas à avoir des héritiers. Je découvrirai qui est l’homme qu’il aime. En combien de temps pensez-vous parvenir à distiller la peur dans l’esprit de votre père ?"

Elle parlait avec certitude et suffisamment de confiance pour assurer qu’elle trouverait le point faible de son jeune frère afin de le faire tomber. Désormais, la princesse demandait à son potentiel complice de faire de même, à savoir, d’assumer la confiance et l’assurance de ses propos en estimant avec précision combien de temps il lui faudrait pour convaincre son père d’abdiquer.
Il prit quelques instants pour y réfléchir, songeant à toutes les éventualités, pesant les possibles complications et mesurant le temps qu’il lui faudrait pour rendre la chose crédible avant de pouvoir mettre en œuvre la phase finale de sa manipulation. Sa main droite était posée contre son menton tandis que ses doigts effleuraient les contours de sa barbe, signe qu’il était plongé dans une réflexion profonde. Soudain, ses yeux jusqu’alors dans le vague s’orientèrent vers la jeune femme :

- Je pense que pour rendre la chose crédible et faire mûrir la peur et la fatalité dans son esprit, je dois compter au moins quatre mois. Et après cela j’aurais sans doute besoin de vous à mes côtés pour achever de le convaincre… Oui, quatre mois me semblent le minimum envisageable !

Assez de temps pour faire naître des rumeurs, soudoyer des espions et produire de faux documents. Suffisamment pour ensuite laisser l’esprit de son père s’embrouiller et se perdre dans la peur et le doute… Tout ceci pour ensuite parmi l’obscurité grandissante de ses tourments, la graine de l'espoir et la lumière d’une échappatoire qu’il n’aurait d’autres choix que d’emprunter.

- Pour votre frère aîné, je connais un ou deux apothicaires qui seraient susceptibles de pouvoir vous aider si besoin… disons qu’ils sont assez doués pour mettre au point des breuvages et potions destinées à vous rendre malade comme jamais, sans pour autant que votre vie ne soit en danger. Ils seraient tout à fait capables de rendre un couple infécond ou de les défigurer quelque temps avec de répugnantes maladies de peau… suffisamment pour laisser courir une rumeur que votre frère est maudit et qu’il n’a pas sa place sur le trône ! Appuyés par des pythies et des prophètes à notre solde, sans héritiers et loin de pouvoir se défendre publiquement de telles rumeurs sur sa malédiction et son infécondité, votre frère pourrait être suffisamment en mauvaise posture pour devoir se résigner… Car il n’aurait pas la possibilité de faire porter le chapeau à son épouse en la répudiant.

Elphérios s’était égaré à haute voix dans l’élaboration d’un plan mêlant une certaine forme d'empoisonnement et manipulation des foules pour arriver à ses fins.

- Pardonnez mes digressions…  J’ai toujours tendance à vouloir ajouter de la manipulation pour augmenter mes chances de réussite… Que dites-vous de tout cela ?  

Le jeune homme prit le temps de réfléchir, avant de lui fournir une réponse. Cela semblait raisonnable, en effet, bien que d’aucun craindraient que ça ne soit trop court. Pour sa part, elle jugeait cela suffisant. Ne serait-ce que pour faire espionner son jeune frère, dans un premier temps. Il était très précautionneux et prudent, certes, mais ça guère un problème longtemps. Elphérios poursuivit, cette fois en suggérant, avec plus de précision, une manière de procéder, contre l’aîné de leur fratrie et sa charmante épouse. Lui qui avait d’abord émit des réserves évidentes sur le simple meurtre, voilà qu’il se détendait et en arrivait à proposer des méthodes tout aussi radicales. Cela lui plut… Et la rassura, car elle n’avait nul besoin d’un partenaire n’osant pas se salir les mains comme il se doit. La méthode était bonne, car en effet, son frère pourrait trop facilement tenter de faire accuser son épouse à sa place. Tout comme leur père, par ailleurs. Ce serait rejeter facilement la faute et se dédouaner de toute responsabilité. Après tout, Arminel avait œuvré toute son existence pour rendre le roi fier et être digne de lui, se comporter comme l’héritier parfait. Il refusera sans cesse de reconnaître ses erreurs, ses tords ou ses échecs, tant qu’il lui restait la possibilité de les rejeter sur un autre.

"Pardonnez mes digressions… J’ai toujours tendance à vouloir ajouter de la manipulation pour augmenter mes chances de réussite… Que dites-vous de tout cela ?"

"C’est un très bon plan. D’autant plus que les croyances et superstitions locales aideront grandement."

Il y avait du bon, souvent, à gouverner une population dont la majeure partie, de simples paysans, étaient sous-éduqués et croyaient si facilement en tout ce qu’on pouvait leur raconter. Elle s’approcha enfin de son comparse, pour lui tendre la main, comme les hommes le faisaient habituellement en affaires. Bien que cela ne l’empêche guère de garder en tête toues les manières possibles de l’évincer et se défendre, s’il lui prenait l’envie de la trahir. Tôt ou tard.

"Le temps que vous répandiez ces rumeurs auprès de votre père, je trouverai l’amant de Jarrin et je les ferai exposer publiquement. Le scandale doit survenir au même moment que notre aîné commence à présenter des signes douteux. Dans cet esprit, nos deux royaumes doivent commencer lentement à se rapprocher, sans que cela n’éveille les soupçons. Cela peut être à l’occasion d’un tournoi, d’une fête ou encore un autre sujet. Une fois que vous aurez pu faire naître en votre peur assez de doutes. Tout comme nous devons, de même, nous rencontrer d’une manière, disons, plus officielle. Un tournoi peut être l’occasion d’initier tout cela, autant cette rencontre que débuter les expériences sur mon aîné."

Leurs deux peuples assistaient très régulièrement à de tels rassemblement, néanmoins, les plus gros tournois étaient plus rares. Étant donné la rigidité des rapports entre leurs nations, il était compliqué d’organiser une telle fête en incluant chevaliers, guerriers et amateurs des deux royaumes. Il faudrait, avant tout, attirer en sus des marchands importants et faire miroiter des bénéfices singuliers, pour chacune des deux parties, avant de les convaincre…

"Les Guildes de la région peuvent être un vecteur puissant, pour inciter un tel rassemblement. Les bénéfices qu’elles pourront y engendrer les attirent sans cesse, comme cela peut plaire aux caisses de nos royaumes respectifs."

L’argent, toujours l’argent… Un moyen reconnu et très efficace, une fois bien manié. Les marchands, combattants et autres forains participant à ces tournois devaient tous reverser une partie de leurs gains au royaume organisateur ou aux deux, lorsque c’était réalisé en commun. Toutes les parties y gagnaient financièrement, le peuple était ravi de cette occasion de s’amuser, que demander de plus.