Leçons particulières (PV Elrohir)

Depuis que nous étions arrivés à Imladris pour le mariage de mon oncle Elladan, je me sentais quelque peu isolée. Non pas que l'on me mît de côté intentionnellement. Bien sûr. Cependant, chacun avait fort à faire et j'étais à cet âge où je n'étais point encore une adulte faite, mais où l'on ne pouvait plus vraiment m'associer aux enfants non plus. Un âge ingrat, sans nul doute. Je n'appréciais guère d'avoir ainsi l'impression de n'être à ma place nulle part. Je comprenais évidemment que mes parents profitent de cette occasion pour renouer avec d'anciennes connaissances. Mon frère quant à lui avait virtuellement disparu en compagnie d'autres jeunes elfes et on ne le voyait plus qu'aux repas. Mon oncle Elladan, comme on pouvait s'y attendre, n'avait d'yeux que pour son épouse et n'était pas précisément disponible pour moi. Grand Mère Galadriel semblait être assaillie par tout ce qu'Imladris comptait de personne d'importance et bien qu'elle m'eut laissée l'accompagner, je m'étais rapidement ennuyée de l'entourage de ces gens qui foulaient déjà ces terres avant que mon arrière grand père paternel ne soit né. J'avais bien fait quelques rencontres intéressantes, mais rien que me gardât l'esprit suffisamment occupé pour que les journées sembles raisonnablement longues.

De façon assez inattendue, la réponse à mon ennui me fut offerte par la jeune mariée. Je remarquai rapidement qu'elle faisait avec son frère usage de l'ósanwë, tout comme mes oncles le faisaient également entre eux. Jusque là, je n'y avais jamais réellement accordé d'attention : c'était quelque chose entre eux, et il n'y avait rien de plus à en dire. Ma mère, à ma connaissance, n'en faisait guère usage. Grand Mère n'en n'avait jamais parlé non plus. Cependant, le fait de voir quelqu'un d'autre s'en servir m'avait soudain fait réaliser qu'il était fort possible que j'en sois moi même capable... Pour peu que l'on m'apprenne comment faire. J'avais donc résolu de demander à mon oncle Elrohir, qui semblait le plus disponible pour le moment, de m'enseigner cette discipline.

Je me dirigeai donc d'un pas sûr vers ses appartements, décidée à obtenir une leçon particulière au plus tôt. Hélas, une fois sur place, ma tante Lalwendë m'apprit qu'il était parti régler une affaire en ville et qu'elle ignorait quand il serait de retour. Décidée à ne pas me laisser démonter par un petit contretemps, je me fis indiquer le lieu où il se rendait et décidai de l'y rejoindre. D'une part, cela m'occuperait quelques temps et d'autre part, cela me donnerait un argument afin de souligner le fait qu'il serait plus commode que je sache moi aussi utiliser ce moyen de communication. Du reste, il n'y avait qu'une petite demie heure de marche et un peu d'exercice me ferait le plus grand bien.

Arrivée à mi chemin, je regrettai quelque peu de ne pas avoir attendu. Il y avait du monde et on n'arrêtait pas de m'interpeler afin de me saluer ou de s'informer de la santé de telle ou telle personne de mon entourage. J'essayai de me montrer aussi polie et aimable que possible, mais je perdis un temps fou en bavardages avec des gens dont je n'avais même pas retenu le nom. Qu'importe ! Lorsque j'arrivai enfin à hauteur de mon oncle, celui-ci était en pleine discussion avec un homme qui ne me disait rien de plus que la dizaine d'individus avec lesquels je venais de converser. J'attendis néanmoins patiemment qu'oncle Elrohir en ait terminé avant de l''informer de mon projet.

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Parmi les cité elfiques, Imladris faisait office de petite bourgade. En effet, elle n’avait rien de comparable en taille ou même en prestige avec les grandes cités elfiques du Beleriand telles que Gondolin, Nargothrond ou encore Menegroth. Malgré cela, cette petite cité d’Eregion n’en demeurait pas moins un lieu régi par un fonctionnement politique, entre autres assuré par des intendants répondant directement aux décisions des maîtres des lieux : Elrohir et Elladan. Les fils d’Elrond avaient hérité de cette responsabilité lorsque leur père avait choisi de quitter la terre du milieu. Depuis lors, les frères jumeaux s’appliquaient à gérer cette cité du mieux possible, avec une volonté de lui conserver une dimension très modeste et à l’état d’esprit très familial.

C’est donc pour toutes ces raisons qu’Elrohir était en pleine discussion avec l’un des intendants de la cité qu’il était parvenu à trouver, non sans peine, au détour d’un chemin. Préoccupé par le mariage d’Elladan et tout ce qui en découlait, il n’avait guère eu le temps de s’entretenir avec les intendants et toute mise au point était bonne à effectuer pour anticiper au mieux les besoins de la belle Imladris.

Au beau milieu de la discussion, Elrohir remarqua du coin de l’œil que sa jeune nièce Estelwen venait d'apparaître et semblait comme attendre la fin de la discussion pour l’interpeller. Malgré la cérémonie et les festivités, il n’avait eu que très peu d'occasions pour discuter avec elle ou même avec Eldarion et c’était à regret car les occasions pour discuter avec ses neveux et nièces n’étaient que trop rares. Alors, bien décidé à ne pas laisser s’échapper une occasion, Elrohir écourta la discussion dès que l’occasion se présenta et salua son interlocuteur avant de tourner le regard vers la fille d’Arwen.

Un sourire s’afficha sur son visage tandis qu’un regard complice naissait dans le bleu azur de ses yeux. Estelwen tenait désormais plus de la jeune femme elfe que d’une enfant et malgré sa condition de semi-elfe, elle semblait changer très, voir trop vite aux yeux de son oncle. Tout en approchant, le seigneur d’imladris s’exprima :

- Estelwen ! Comment vas-tu ? Tu me cherchais semble-t-il ?

Heureusement, la discussion ne s'éternisa pas. Les deux elfes se séparèrent et j'en profitai pour approcher de mon oncle d'un pas sûr et confiant. J'avais bien sûr remarqué qu'il m'avait repérée, puisque son regard s'était posé sur moi à plusieurs reprises sur la fin de sa discussion. Nous nous sourîmes et nous rapprochâmes, manifestement aussi satisfaits l'un que l'autre de nous trouver.

- Estelwen ! Comment vas-tu ? Tu me cherchais semble-t-il ?

Je m'inclinai rapidement en guise de salut et répondis d'une voix tranquille :

"En effet mon oncle. Je me porte comme un charme, merci. J'espère qu'il en est de même pour vous. "

On m'avait appris à me comporter avec respect et dignité en public, aussi prenais je soin de vouvoyer mes aînés en public, quoi que nous ne nous embarrassions pas nécessairement de telles considérations en privé. Cependant, j'avais une idée en tête et je n'appréciais guère de perdre du temps. J'enchaînai presque aussitôt, sans vraiment lui laisser l'occasion de répondre :

"Je suis venue vous trouver afin de demander votre aide dans une entreprise qui, je le pense, pourrait s'avérer des plus utiles à l'avenir."

Je tentai de caler mon pas sur le sien tandis que nous prenions la direction par laquelle je venais d'arriver. Hélas, ses enjambées bien plus grandes que les miennes ne m'aidaient pas vraiment à rester à sa hauteur aussi devais-je jongler habilement afin d'atteindre un compromis acceptable entre la hâte et la grâce qui seyait à mon rang. Le tout sans risquer de trébucher, car il serait pire encore de m'étaler pitoyablement au milieu de la rue que de devoir le forcer à ralentir pour que je puisse suivre.

"Ainsi donc, je voudrais vous demander de m'enseigner la manière de faire usage de l'ósanwë. C'est une discipline qui, comme vous le savez, n'est pas précisément répandue à la cour de mon père. Je ne puis trouver de professeur chez nous et bien que nombre de nos parents soient rassemblés ici à cet instant, rares sont ceux qui disposent d'un peu de temps à me consacrer."

Je n'avais pu masquer tout à fait la pointe d'amertume qui teintait ces paroles. Je n'appréciais guère de me sentir à l'écart et j'étais en quelque sorte blessée dans mon amour propre. Cependant, je n'avais aucune envie de discuter de mes états d'âmes aussi poursuivis-je un peu précipitamment afin de masquer mon sentiment à ce sujet :

"Je vous ai vu en faire l'usage à d'innombrables reprises et je n'ai pu manquer de constater que dame Astriel et son frère l'utilisent aussi. Je ne sais si je pourrai faire preuve d'un talent quelconque en la matière mais je ne puis m'empêcher de penser que le fait d'être capable de communiquer de la sorte, tant avec vous qu'avec oncle Elladan, grand mère Galadriel ou quelque autre initié pourrait s'avérer des plus utiles pour le futur. "

De fait, la communication à longue distance pouvait avoir aussi bien un usage récréatif que tactique ou diplomatique. Quoi que ma priorité à l'heure actuelle soit de me sentir plus intégrée et proche des membres elfiques de ma parentèle, j'étais convaincue de trouver bien des usages plus terre à terre de cette technique ultérieurement.

Elrohir ne s’y était pas trompé. La présence de sa nièce dans les environs ainsi que son attente légèrement en retrait signifiait bien que celle-ci avait quelque chose à lui demander.
"Je suis venue vous trouver afin de demander votre aide dans une entreprise qui, je le pense, pourrait s'avérer des plus utiles à l'avenir."

Voilà qui était bien intriguant pour le fils d’Elrond. En quoi pouvait-il aider sa nièce mieux que ne l’auraient pu ses propres parents ? En tous les cas, ce statut de personne que l’on venait consulter pour son savoir ou son expérience était assez récent dans la longue existence d’Elrohir. Cela avait commencé depuis qu’il était marié et était devenu père, mais ce statut c’était surtout confirmé depuis que son père lui avait légué les responsabilités de la cité d’Imladris. Lui qui s’était toujours considéré comme élève avait soudainement acquis le statut de maître et, comme son père jadis, il était aujourd’hui considéré comme quelqu’un dont l’avis, le jugement et les conseils étaient très importants.

"Ainsi donc, je voudrais vous demander de m'enseigner la manière de faire usage de l'ósanwë. C'est une discipline qui, comme vous le savez, n'est pas précisément répandue à la cour de mon père. Je ne puis trouver de professeur chez nous et bien que nombre de nos parents soient rassemblés ici à cet instant, rares sont ceux qui disposent d'un peu de temps à me consacrer."

L’osanwë ! Ce moyen de communication télépathique pouvait s’avérer très pratique bien qu’il requierait une certaine maîtrise et quelques prédispositions pour être pratiqué, mais il ne faisait aucun doute qu’Estelwen en tant que semi-elfe possédait les qualités nécessaires pour ce genre de pratique.

"Je vous ai vu en faire l'usage à d'innombrables reprises et je n'ai pu manquer de constater que dame Astriel et son frère l'utilisent aussi. Je ne sais si je pourrai faire preuve d'un talent quelconque en la matière mais je ne puis m'empêcher de penser que le fait d'être capable de communiquer de la sorte, tant avec vous qu'avec oncle Elladan, grand mère Galadriel ou quelque autre initié pourrait s'avérer des plus utiles pour le futur. "

Elrohir ne s’attendait pas à une telle requête mais il était tout à fait disposé à enseigner cette capacité à sa nièce et éprouvait beaucoup d’enthousiasme à cette idée. Il se sentait même honoré de pouvoir lui dispenser un tel enseignement et se réjouissait de la perspective de pouvoir approfondir la complicité qu’il entretenait avec sa nièce. Les occasions avaient toujours été trop rares pour lui de passer du temps avec Eldarion ou Estelwen et c’était là une parfaite occasion d’honorer son rôle d’oncle.

- Effectivement c’est une capacité très intéressante qui requiert beaucoup de concentration et de pratique pour bien fonctionner…

Avait il prononcé de manière très neutre, sans véhiculer d’émotions particulières comme le faisaient les elfes de façon très régulière. Mais c’était volontaire pour contraster avec la bienveillance de ses prochaines paroles et taquiner quelque peu la princesse d’Arthedain. Ainsi, il s’approcha grandement de cette dernière en maintenant le contact entre leurs regards. Une main délicate vint se poser sur la fine épaule d’Estelwen tandis qu’un sourire des plus chaleureux animait désormais les propos d’Elrohir :

- Je serai honoré de pouvoir t’enseigner la pratique de l’osanwë, et je suis certain que tu y parviendras ! Suis-moi, je connais un lieu idéal pour cela.  
Il reprit alors sa marche en avant, il fallait s’éloigner de ce lieu très fréquenté de la cité pour rejoindre les bâtiments destinés aux appartements. Là, au détour d’une petite esplanade, un escalier descendait en colimaçon le long de la roche jusqu’au lit de la rivière qui s’écoulait au fond de la vallée. Mais leur destination n’était pas celle-là. Après quelques mètres de descente, un pallier s’offrait à eux, donnant sur une entrée gardée par une épaisse porte de bois. Elrohir poussa la porte et invita Estelwen à en faire de même. A l'intérieur, une toute petite pièce sombre qu’Elrohir éclaira en allumant les bougies qui se trouvaient sur les côtés. Au fond de cette pièce s’enfonçait un couloir dans une obscurité qui chancelait selon les mouvements des flammes du bougeoir. Le couloir n’était pas très long mais il était sinueux, comme si l’on avait cherché à désorienté celui qui l’empruntait. Enfin, une deuxième porte se dressait devant eux avec une clef directement posée dans sa serrure. Le seigneur d’Imladris s’en saisit et ouvrit la porte qu’il referma à clef juste derrière sa nièce.

La pièce qui s’offrait à eux était nettement plus grande que l’entrée. Elle était creusée à même la roche mais avec beaucoup de soin. L’ambiance y était tamisée, presque même sombre avec la lumière qui y pénétrait depuis l’extérieur par de très fins interstices qui étaient en plus occultés par de fins rideaux gris dressés sur les parois. Elrohir alluma quelques bougies parmi celles qui étaient disposées tout autour de cette pièce à la forme presque hexagonale. Sur le sol se trouvaient de grands tapis assez épais et il n’y avait presque rien d’autre hormis une petite table de pierre juste à côté de l’entrée. En cette saison, la pièce offrait une fraîcheur agréable . Un silence assourdissant baignait cet endroit et ne fut brisé que par la prise de parole du semi elfe :

-Cette pièce à été conçue pour la méditation profonde. Elle est creusée au cœur d’une épaisse roche et le couloir sinueux qui la dessert permet de la couper de tout bruit. La lumière très faible et le silence qui y règne permettent une grande concentration avec la garantie de ne pas être dérangé par des éléments extérieurs. C’est ici même que je venais avec Elladan pour apprendre à maîtriser l’osanwë…

La lueur dans le regard de mon oncle m'apprit avant qu'il n'ouvrît la bouche qu'il approuvait l'idée. Ce qu'il ne tarda pas à confirmer :

Effectivement c’est une capacité très intéressante qui requiert beaucoup de concentration et de pratique pour bien fonctionner…

Je n'avais aucune crainte pour ce qui était de la concentration : j'avais appris à en faire preuve à de multiples reprises. J'avais d'ailleurs rapidement compris qu'il était impossible de viser juste en maniant l'arc si l'on ne sait se focaliser sur ce que l'on fait : non seulement la cible mais aussi la flèche, la tension de la corde, le sens du vent... Mon oncle s'approcha de moi et déposa doucement la main sur mon épaule, dans un geste que je lui avais déjà vu avec ma mère ou d'autres membres adultes de la famille. Je pris cela comme un compliment et me rengorgeai, me tenant bien droite et fière tout en répondant à son sourire.

- Je serai honoré de pouvoir t’enseigner la pratique de l’osanwë, et je suis certain que tu y parviendras ! Suis-moi, je connais un lieu idéal pour cela.  

Je répondis d'un sourire satisfait en emboîtai le pas au Seigneur d'Imladris, courant à demi pour rester à sa hauteur. Le trajet dura plus longtemps que je n'aurais cru et nous empruntâmes des chemins inattendus, nous éloignant de plus en plus du centre de la ville, jusqu'à quasiment longer le lit de la rivière. L'endroit semblait peu fréquenté, et quelque peu rustique comparé au reste de la cité. Je le suivis à travers une porte en bois un peu vieillotte, le regardant allumer des bougies avec perplexité. Je grimaçai légèrement lorsqu'il me mena dans un couloir très sombre qui me mettait mal à l'aise. Je restai soigneusement dans son sillage, légèrement angoissée. Le fait qu'il y ait une clé pour accéder à un endroit aussi isolé était curieux en soi mais je gardai ma curiosité pour moi. L'endroit était sombre sans pour autant sembler oppressant, et je le balayai du regard avec intérêt. C'était une pièce particulièrement épurée et je devinai sans peine qu'elle servait à la méditation : aucune distraction apparente, isolée de l'extérieur. Je n'entendais rien si ce n'était le son des respirations et le battement de mon propre cœur.  

-Cette pièce à été conçue pour la méditation profonde. Elle est creusée au cœur d’une épaisse roche et le couloir sinueux qui la dessert permet de la couper de tout bruit. La lumière très faible et le silence qui y règne permettent une grande concentration avec la garantie de ne pas être dérangé par des éléments extérieurs. C’est ici même que je venais avec Elladan pour apprendre à maîtriser l’osanwë…

Je hochai la tête, comprenant fort bien.

"Je conçois qu'il s'agisse d'un lieu privilégié dédié à cet usage seul. Je suis honorée de pouvoir à mon tour bénéficier de cet apprentissage ici. "

Bien que j'aie quelques notions de méditation, j'ignorais totalement le type d'exercices que mon oncle comptait me proposer mais j'ajoutai avec curiosité :

"A quel âge avez vous débuté cet apprentissage, mon oncle ? Qui vous l'a enseigné ?"

La question posée par sa nièce fit instantanément voyager Elrohir dans ses plus lointains souvenirs. Il avait beau être âgé de près de trois mille ans, il n’en conservait pas moins quelques souvenirs presque intacts de sa jeunesse, à l’époque où tout n’était que légèreté, amusement et insouciance. Or il se souvenait plutôt bien des premières tentatives qu’ils avaient entrepris, lui et Elladan, pour tenter de faire usage de cette capacité. Ils voulaient faire comme les grands, et étaient plus qu’enthousiastes quant à la possibilité de pouvoir communiquer l’un et l’autre, à distance,  sans que personne d’autre ne puisse entendre leurs conversations.

- Nous étions très jeunes, Elladan et moi même, lorsque nous avons décidé d’apprendre cette capacité qui paraissait si incroyable à nos yeux… Je pense que nous étions à peine à l’aube de notre vingtième année lorsque nous nous entraînons à communiquer de la sorte.
Nous étions convaincus que notre lien gémellaire nous conférerait une certaine précocité et une grande facilité d’apprentissage. Ca n’était pas totalement faux car nous sommes parvenus à établir nos premières connexions télépathiques par nous-mêmes. Mais cela restait très fragile alors nous avons demandé à notre père de nous apprendre l’osanwë de manière plus conventionnelle. Et c’est ainsi que je découvrais cette pièce si intrigante.

L’évocation de ce souvenir d’enfance avait fait naître un grand sourire sur le visage du fils d’Elrond. Il était assez nostalgique des premières décennies de son existence et de cette innocence qu’il avait perdu en vieillissant. Cependant, il pouvait revoir cette étincelle dans le regard de ses propres enfants qui étaient encore assez jeunes pour voir la vie avec toute l’insouciance possible, ravivant des sensations qui en lui s’étaient longtemps éteintes et qu’il pouvait désormais apprécier en tant qu’observateur.

Le seigneur d’Imladris prit place au centre de la pièce et s’assit en tailleur sur l’épais tapis qui recouvrait le sol. D’un geste de la main, il invita Estelwen à faire de même et attendit qu’elle s'exécute pour reprendre la parole.

- Pour commencer, je vais tenter de te communiquer un simple mot par la pensée et lorsque tu parviendras à l’entendre dans ton esprit, tu auras réussi ta première forme d’ossanwë. Il faudra faire preuve d’une grande concentration pour les premiers temps,  afin que ton esprit puisse plus aisément se conditionner et développer cette capacité.

Pour cela, tu dois tout d’abord fermer les yeux et respirer lentement. Te concentrer sur le silence qui ne se brise qu’au rythme de ta respiration.

Il prit le temps d’observer sa nièce et lui laissa quelques minutes avant de poursuivre ses instructions.

- A présent, toujours en fermant les yeux, essaie de penser à ton interlocuteur, autrement dit concentre ton esprit sur la voix de ton oncle préféré et essaie de visualiser mon image ou de te remémorer un souvenir particulier dans lequel je t'apparais très précisément…

Elrohir avait failli laisser s’échapper un rire en se qualifiant lui-même d’oncle préféré d’Estelwen. A vrai dire, ce petit trait d’humour allait peut-être déconcentrer sa jeune nièce mais il pouvait aussi, au contraire, lui permettrait de clairement se concentrer sur l’image de son oncle.
Il demeura ensuite silencieux pendant de longues minutes, murmurant régulièrement dans ses pensées à destination d’Estelwen un seul et même mot qu’elle allait peut-être percevoir.

Spoiler:

La question sembla plonger mon oncle dans ses souvenirs et il répondit sur un ton attendri par la douceur de ces réminiscences :

- Nous étions très jeunes, Elladan et moi même, lorsque nous avons décidé d’apprendre cette capacité qui paraissait si incroyable à nos yeux… Je pense que nous étions à peine à l’aube de notre vingtième année lorsque nous nous entraînons à communiquer de la sorte.
Nous étions convaincus que notre lien gémellaire nous conférerait une certaine précocité et une grande facilité d’apprentissage. Ca n’était pas totalement faux car nous sommes parvenus à établir nos premières connexions télépathiques par nous-mêmes. Mais cela restait très fragile alors nous avons demandé à notre père de nous apprendre l’osanwë de manière plus conventionnelle. Et c’est ainsi que je découvrais cette pièce si intrigante.

Oncle Elrohir souriait. Je comprenais à demi son sentiment : j'étais probablement trop jeune pour réellement saisir la pleine notion de ce qu'il mentionnait mais j'avais déjà l'impression que les années d'insouciance totale de ma petite enfance s'éloignaient doucement. Je ne pouvais tout à fait comprendre le lien que mes oncles partageaient, mon propre frère étant mon aîné de plusieurs années.

Lorsque mon oncle s'assit en tailleur au centre de la pièce et m'invita à faire de même, je m'exécutai aussitôt. C'était relativement confortable, mais sans plus. Je caressai du bout des doigts les poils de mon siège improvisé, m'amusant qu'il soit à la fois si rugueux et si agréable au toucher... Probablement dû aux longues années qu'il avait passé là. Je m'amusai intérieurement à l'idée que mon interlocuteur s'était probablement trouvé à ma place, si longtemps auparavant. Un léger sourire flotta sur mes lèvres, ne s'effaçant que pour laisser place à une intense concentration tandis que mon oncle m'expliquait la démarche à suivre.

- Pour commencer, je vais tenter de te communiquer un simple mot par la pensée et lorsque tu parviendras à l’entendre dans ton esprit, tu auras réussi ta première forme d’ossanwë. Il faudra faire preuve d’une grande concentration pour les premiers temps, afin que ton esprit puisse plus aisément se conditionner et développer cette capacité.

Pour cela, tu dois tout d’abord fermer les yeux et respirer lentement. Te concentrer sur le silence qui ne se brise qu’au rythme de ta respiration.

Je hochai la tête en réponse, obéissant sans attendre. Pour une fois, l'insistance de ma mère à me faire subir d'interminables séances de méditation ne me serait pas inutile. Bien qu'elle eût insisté sur ce point dans l'espoir que je puisse mater mon caractère enflammé, ça n'avait pas eu grand effet. Cela dit, l'exercice m'était familier aussi m'y replongeai-je sans peine.

- A présent, toujours en fermant les yeux, essaie de penser à ton interlocuteur, autrement dit concentre ton esprit sur la voix de ton oncle préféré et essaie de visualiser mon image ou de te remémorer un souvenir particulier dans lequel je t'apparais très précisément…

Le sourire auparavant effacé reparut sur mon visage, tandis que je me figurais très précisément l'image de mon oncle dans ma tête. C'était d'autant plus facile qu'il était proche. J'entendais sa respiration, je sentais son parfum, je ressentais en quelque sorte sa présence. Le silence n'était pas vraiment pesant. C'était plutôt agréable, à dire la vérité. De plus, j'entendais distinctement la respiration d'oncles Elrohir, ce qui me facilitait la tâche afin de me concentrer sur lui.

Il fallut de longues minutes jusqu'à ce que je perçoive soudain quelque chose de... Bizarre. Je n'avais pas bien saisi, à peine un murmure qui m'avait surprise. Je rouvris brutalement les yeux, fixant mon oncle en m'attendant à ce qu'il ait ouvert la bouche. Mais non. Je fermai à nouveau les yeux, me concentrant à nouveau, de façon plus ciblée : je savais à présent peu ou prou ce que je devais "chercher". Après quelques instants supplémentaires, j'entendis plus distinctement la voix de mon oncle. Très légèrement, d'abord. A la manière du clapotis léger d'un ruisseau dans le lointain : on sait de quoi il s'agit, mais on ne peut en saisir la mesure avant de s'approcher. Je tentai de me saisir de ce son, ou bien de cette impression, je ne savais vraiment comment le décrire. Puis soudain, cela me sembla aussi clair que si mon oncle avait murmuré au creux de mes oreilles... Ou plutôt, directement dans ma tête.

"Imladris ?" demandai-je simplement en levant un sourcil.

Après avoir murmuré et répété plusieurs fois le même mot à l’attention de sa nièce, Elrohir rouvrit les yeux. Il observa d’un œil attendri le visage d’estelwen en pleine concentration qui devait sans doute chercher à établir cette connexion psychique. Soudain, la fille d’Arwen ouvrit un œil et demanda :
- Imladris ?

Un léger sourire de satisfaction apparut sur le visage du seigneur d’imladris avant qu’il ne confirme d’un signe de tête la réponse de sa nièce. Pour une première tentative, c’était plutôt une franche réussite. Il n’était pas donné à tout le monde de pouvoir acquérir les premières bases de cette capacité si rapidement, même dans des conditions idéales…

- Très bien, maintenant que tu sembles maîtriser la concentration nécessaire pour établir un lien dans ces conditions, il faut que tu t’exerces à initier à ton tour la conversation. Garde la même méthode pour établir le lien avec moi, conserve ta concentration et essaie de me communiquer un ou plusieurs mots à ton tour !

Il referma alors les yeux, non pas qu’il en eut besoin pour cet exercice mais il ne voulait pas être influencé d’une quelconque manière, en voyant par exemple les lèvres de sa nièce murmurer involontairement le ou les mots qu’elle voulait formuler. Plongé dans l’obscurité imposée par ses paupières, le fils d’Elrond ajouta d’une voix paisible ses dernières consignes.

- Comme tu viens de le faire, essaie de me visualiser et de m’atteindre tout en murmurant avec conviction dans ton esprit, ce que tu souhaites me dire. Encore une fois, ne songe pas à la réussite ou à l’échec, concentre toi simplement sur ce que tu entreprends.

Mon oncle confirma d'un geste que j'avais effectivement capté le mot qu'il essayait de me partager. C'était une bonne chose, et j'étais satisfaite d'y être parvenue si facilement. Cependant, il y avait tout un monde entre le fait d'entendre un léger murmure dans le calme de cette pièce et pouvoir mener toute une conversation au quotidien.

- Très bien, maintenant que tu sembles maîtriser la concentration nécessaire pour établir un lien dans ces conditions, il faut que tu t’exerces à initier à ton tour la conversation. Garde la même méthode pour établir le lien avec moi, conserve ta concentration et essaie de me communiquer un ou plusieurs mots à ton tour !

J'hésitais un instant. Je n'étais pas sûre d'en être capable, et j'avais peur de ne pas être à la hauteur des attentes de mon oncle. Que penserait-il de moi si j'échouais ? Serait-il déçu de mes performances ? Je me grattai nerveusement l'avant bras. C'était essentiel pour moi d'honorer ma famille et de ne pas être un vilain petit canard. Cependant, c'était difficile car la plupart de mes parents plus ou moins proches avaient tous fait preuve de talents qui les avaient quasiment élevés au rang de légendes. Quant à moi... Eh bien, je n'étais que moi.

- Comme tu viens de le faire, essaie de me visualiser et de m’atteindre tout en murmurant avec conviction dans ton esprit, ce que tu souhaites me dire. Encore une fois, ne songe pas à la réussite ou à l’échec, concentre toi simplement sur ce que tu entreprends.

Mon oncle avait-il deviné la pression que je me mettais à ce sujet, ou bien disait-il cela par hasard ? Peut être avait-il eu le même ressenti, à l'époque ? Ou bien oncle Elladan ? Je m'éclaircis la gorge, mal à l'aise. Je gigotai sur le tapis, essayant de retrouver une position confortable. J'avais une drôle de sensation dans la jambe droite, une sorte d'engourdissement. Malgré tous mes efforts, je peinais à m'installer aussi confortablement que la première fois. Des milliers de questions se bousculaient dans ma tête et malgré tous mes efforts, je ne parvins pas à retrouver un état de méditation qui me sembla correct. Je finis donc par demander, nerveuse :

"Pourquoi murmurer ? On ne m'entendrait pas plus facilement si je criais dans ma tête ? Et la proximité physique a-t'elle une influence sur la facilité avec laquelle on parvient à joindre quelqu'un ? Que se passe-t'il si la personne à qui l'on veut parler est occupée ? Peut on discuter avec quelqu'un que l'on n'a jamais rencontré physiquement ? J'ai cru comprendre que c'était plus facile s'il s'agissait de quelqu'un qu'on connaît bien... Peut-on parler ainsi à quelqu'un qui n'a pas appris à le faire s'il en a la capacité, ou est-il obligatoire que les deux partis sachent pratiquer l'ossanwe ? "

J'angoissais. Le silence, jusqu'ici agréable et confortable me semblait à présent oppressant. J'avais bien conscience que mon oncle ne serait pas dupe et qu'il comprendrait que je cherchais juste à gagner du temps. Bien que j'affiche la plupart du temps une façade sûre de moi, je souffrais en réalité d'une écrasante peur de l'échec. Je me sentais souvent inférieure, particulièrement lorsque mon frère aîné accomplissait quelque chose. Bien sûr, on ne me faisait pas directement remarquer qu'il était meilleur que moi. Cependant, je n'étais pas sotte. Je constatais bien que tout ce que je faisais, il l'avait fait plus vite, ou mieux. Pour ce que j'en savais, je pourrais fort bien annoncer ce soir ce que j'avais fait, seulement pour m'entendre dire que lui l'avait appris à dix ans tout seul dans une grotte au milieu de la forêt... J'exagérais un peu, bien sûr, mais à peine. Avec mon ascendance, les gens s'attendaient à ce que je sois naturellement exceptionnelle. Pourtant, je ne savais encore utiliser quasiment aucune magie, je n'étais pas spécialement talentueuse pour les arts du combat, ou d'agrément. Je ramenai les genoux contre ma poitrine et les enserrai de mes bras, le cœur battant.

Elrohir observa attentivement sa nièce, Estelwen, lisant les émotions qui traversaient son visage et ressentant la tension qui se propageait dans la pièce. Il savait à quel point il devait tenter de guider et de soutenir sa nièce dans son cheminement d’apprentissage et devinait les tourments qui traversaient son esprit. Avec une grande compassion, Elrohir lui adressa un sourire encourageant. Il pouvait comprendre les doutes et les craintes d'Estelwen qui posait malgré tout des questions tout à fait légitimes sur la technique de communication. Seulement, le fils d’Elrond se doutait que sa jeune nièce n’attendait pas forcément une suite de réponses à ses interrogations, mais que cette manœuvre était destinée à gagner du temps pour sans doute tenter de retrouver une confiance qui s’égrenait peu à peu.

- Ma chère nièce, cela fait beaucoup de questions à la fois… répondit-il d’un ton légèrement taquin, avant de venir poser ses mains avec délicatesse sur les épaules d’Estelwen pour la rassurer. Il plongea son regard dans le sien et lui adressa un tendre sourire plein de bienveillance. Le but était de la rassurer et de lui faire comprendre qu’elle n’affrontait pas une épreuve sur laquelle elle serait jugée, mais que ces peurs et ses doutes étaient tout à fait légitimes.

“ Si cela peut t’aider, je peux prendre soin de répondre à toutes les questions qui traverseront ton esprit. Mais saches quoi qu’il en soit que tu n’as pas à avoir peur de l'échec. Tu as réussi, du premier essai, à entendre ma voix, c’est loin d’être le cas pour tout le monde… Fais toi confiance, inspire profondément et ne t’impose aucune obligation de résultat. Cette technique nécessite du temps pour être maîtrisée et je n’ai aucun doute sur ta réussite à long terme.  ”

Il sourit doucement à Estelwen, laissant ses paroles s'ancrer dans l'esprit de sa nièce. Il savait le sentiment qui pouvait l’animer car lui aussi l’avait souvent ressenti dans sa jeunesse, la peur de l'échec, la pression de la réussite lorsque l’on souhaite se montrer digne des siens. Le concernant, il appréciait de s’amuser d’une situation qui le mettait mal à l’aide pour lâcher la pression et pouvoir se reprendre, alors il tenta de détendre l’atmosphère en usant d’un peu d’humour et une petite déclaration d’amour à sa nièce qu’il portait si haut dans son coeur.

“ Tu vas réussir Estelwen ! Aujourd’hui, demain, dans une semaine ou dans des mois, mais tu vas finir par maîtriser cette technique !  Et une fois que tu maitrisera l’ossanwë, je n’aurais de cesse de venir t’interrompre et de t’embêter où que tu te trouves, car je reste un oncle toujours aussi attaché à sa petite princesse aux cheveux d’or, qui ne laissera passer aucune occasion de pouvoir lui faire la conversation ” acheva-t-il avec un large sourire, savourant cet instant privilégié avec Estelwen.