Alors que le comte Beldorn était au loin à discutailler avec tous les plus grands seigneurs des Terres du Milieu, le général Sandar lui, ne chômait pas. Après avoir participé activement à l’entraînement des hoplites, il s’était brièvement entretenu avec ses trois chefs de faction. On lui avait rapporté des attaques d’ours qui se multipliaient dans une région située à quelques kilomètres au sud-est d’Anuminas. Ces attaques avaient commencées quelques semaines auparavant et la population était terrorisée. D’après les dires des paysans, un ours d’une taille gigantesque, près de quatre mètres pour deux de large, s’en prenait à leurs troupeaux.
Le général était inquiet. S’il doutait qu’un ours puisse atteindre cette taille, il savait en revanche les paysans d’Arnor très au fait de ce qui se passait sur leurs terres. S’ils incriminaient un ours, c’était qu’un ours était impliqué. Or, cela faisait des années qu’on n’avait pas vu un seul de ces animaux en Arnor. Ils restaient d’ordinaire dans les montagnes. Pourquoi diable étaient-ils descendus si bas dans les plaines ?
Alors qu’il discutait de tout cela avec ses subalternes, un soldat les interrompit en venant se mettre silencieusement au garde-à-vous devant le général.
-Mon général, Gorlois est dans le hall. Il désire s’entretenir avec vous.
-Merci soldat, je vais le voir tout se suite.
Puis, les remerciant d’un bref signe de la tête, il congédia les chefs de faction avant de se diriger vers le hall. Gorlois tombait à pic. En temps que chef des rôdeurs du nord, il devait sans doute être au courant de ce qui se passait dans les campagnes au sud-est d’Anuminas. Il pressa donc le pas pour aller accueillir le visiteur. Il le trouva debout dans le hall, droit comme un piquet, le regard sombre. Gorlois avait toujours le regard sombre, en toute circonstance. Grand, maigre, âgé d’à peine plus de trente ans, il n’en avait pas moins les cheveux gris qui lui tombaient le long d’un long visage en lame de couteau. De grosses cernes soulignaient ses yeux gris, tombant presque jusqu’à son nez cassé. Il était vêtu à la manière traditionnelle des rôdeurs : des habits de couleur neutre, une côte de maille légère, ainsi qu’une cape vert sombre.
Mais Sandar savait qu’il ne fallait pas se fier à l’allure générale du bonhomme. La vivacité de Gorlois était légendaire et Sandar était heureux de ne plus le compter parmi ses ennemis. Car peu de temps auparavant, alors que le tyran Herunumen régnait sans partage sur tout l’empire d’Ouistrenesse, Gorlois avait été à la tête d’une résistance paysanne organisée contre ce souverain illégitime. Sandar lui, combattait déjà en temps que hoplite et servait fidèlement l’empereur. Lorsque Herunumen avait disparu, Sandar avait eu peur que son univers tout entier ne disparaisse. Il avait donc tout fait pour que le corps des hoplites perdure malgré la disparition de son fondateur. Il en avait prit la tête par son intelligence, sa fermeté et son charisme. Il avait fait la paix avec les rôdeurs du nord, et avec leur aide, avait unifié le pays qui menaçait d’éclater en mille morceaux. Gorlois et lui-même avaient été d’accord pour décider que la guerre civile était la pire des solutions. Pourtant, cette unification restait précaire et vacillait à chaque fois qu’un seigneur quelconque montrait un peu plus d’ambition que son voisin. Sandar avait espoir que l’arrivée du comte Beldorn empêcherait cette fin qui paraissait inéluctable.
-Gorlois, soyez le bienvenu, fit-il en serrant la main fine de son homologue. Je suis heureux de vous voir de nouveau à Anuminas.
-Merci, répondit le rôdeur. En réalité, j’espérais voir le comte Beldorn avant son départ pour Rivendell. Il est partit plus tôt que ce que je pensais. Comment est-il ? Je n’ai pas eu la chance de le rencontrer.
-En effet, fit Sandar, il est partit hier.
Le général ne s’étonnait même pas du fait que Gorlois soit déjà au courant de ce voyage. Gorlois était au courant de tout ce qui se déroulait en Arnor. Il reprit :
-Quand à savoir comment est-il… Cet homme est encore une énigme pour moi. Il est jeune et plein d’espoir pour l’Arnor. C’est une bonne chose j’imagine. Sa fougue et son enthousiasme donne espoir aux civils, et ils en ont bien besoin. C’est un homme sérieux et entreprenant. Je pense que son cœur bat du bon côté mais j’ai l’impression qu’il ne sais pas encore ce qu’est une guerre… Qui sait comment il se comportera lorsque l’Angmar débordera sur nos frontières ?
-Hum… je vois ce que vous voulez dire général, dit Gorlois pensif. Enfin il semble intelligent et digne de confiance. Il peut garder notre pays uni sans pour autant devenir un dictateur. La guerre sera notre souci. Vous et moi général Sandar, nous savons ce qu’est une guerre. Nous saurons la mener si nécessaire.
-Nous verrons, répondit Sandar. Mais pour l’instant, j’ai un problème plus immédiat. Vous avez entendu parlé des attaque d’ours au sud-est d’Anuminas ? Quel est votre sentiment à ce propos ?
-Les rôdeurs traquent cette bête depuis quelques jours, sans succès. Il y a quelque chose de peu naturel dans le comportement de cet animal. Les traces qu’il laisse me laissent perplexe. Par moments, c’est comme s’il était enragé. Il tourne en rond, s’arrête, hurle à la mort, tue et dévore le bétail à proximité, courre à nouveau… Puis, subitement, il reprend un train plus régulier. Il marche droit, s’assied sur son séant pendant plusieurs minutes, avant de repartir. Croyez moi, ce n’est pas le comportement normal d’un ours. Mais le plus intriguant, c’est que plusieurs fois, nous avons perdu sa trace. Une bête de cette taille n’est pas difficile à pister. Et pourtant, à plusieurs reprises, les traces laissées par l’ours s’arrêtaient brusquement. Et la nuit suivante, on entendait parler d’attaques à plusieurs kilomètres de l’endroit. Ce qui signifierait que l’animal se déplace également de jour. Mais il n’a jamais été vu en plein jour...
-Vous croyez à une créature surnaturelle Gorlois ?
Le ton du général Sandar était presque amusé.
-Je crois que la situation est grave, répondit le chef des rôdeurs en grimaçant. Ne me faites pas l’offense de penser que les rôdeurs manquent à leur devoir en laissant cette bête s’échapper. La vérité, c’est qu’elle doit se trouver à présent très proche d’Anuminas. Les attaques n’ont cessé de se rapprocher de la ville depuis qu’elles ont commencées.
Le demi-sourire de Sandar disparut aussi rapidement qu’il l’avait esquissé.
-Je vais faire doubler les patrouilles nocturnes à l’intérieur des murs de la cité. Tâchez de localiser cette bête. Dès que c’est chose faite, mes hoplites viendront vous prêter main forte pour nous en débarrasser.
-Je crains que nous ne puissions pas faire beaucoup plus que cela, en effet général.