(provenance: voyages de Fincalad)
Le Sirion s’écoulait avec vigueur vers les bois de Brethil, ses flots gonflés par leur proximité avec les montagnes de l’Echoriath. De temps à autre Fincalad, qui menait sa monture par la bride, tendait l’oreille à l’incessant murmure des eaux, car il lui semblait parfois percevoir le rire argentin des ondines, servantes d’Ulmo… Il s’interrogeait alors, se demandant si ses rêveries trompaient ses sens, ou bien si effectivement le Maître des Eaux était réellement à l’écoute des faits et gestes des habitants des Terres du Milieu. Ses pas le menèrent sous les frondaisons de la forêt. Les troncs lisses et blancs des bouleaux de Brethil, qui avaient donné son nom à la forêt, s’élevaient autour de lui…
Fincalad était habillé de vêtements gris, habilement tissés par les tisserands de Gondolin; sa pèlerine, grise elle aussi, semblait par moment adopter les couleurs de son environnement; une simple boucle d’argent en forme de fleur étoilée fermait sa cape sur son épaule gauche. A son flanc, un fourreau de cuir huilé enveloppait sa courbe lame, qui oscillait au rythme de ses enjambées. Il allait tête nue, sa chevelure argentée de temps à autre soulevée par une brise légère. Sa mine était sévère, presque triste; ses yeux d’azur pâle semblaient distants, emprunts de tourments intérieurs. Pour ceux qui auraient pu le croiser en cet instant, il avait l’apparence d’un seigneur elfe, grand et triste, solitaire.
Bien des années avaient passé, et il parcourait de nouveau la sente qui l’avait conduit à son trépas, plus loin dans la forêt. Il lui semblait entendre les sanglots des enfants, il pouvait revoir les silhouettes faméliques pourchassées par les orcs, le regard implorant des mères, prêtes à tout pour sauver leur progéniture…
Fincalad secoua la tête, chassant ces pensées… Aujourd’hui Brethil était un royaume prospère, à ce qu’il avait entendu dire… Et les guetteurs de Brethil maintenaient une vigilance constante. Il se mit à fredonner les paroles d’une chanson, puis sa voix enfla, car cette chanson s’accordait à son humeur présente. Son esprit était empli d’interrogations; son seigneur Turgon lui avait parlé de sa destinée, dont lui même ignorait tout, mais la route vers cet avenir lui était cachée. Fincalad n’était point barde, mais il possédait la belle voix de ceux de sa parenté, et sa claire voix portait loin, et c’est ainsi que les guetteurs de Brethil l’entendirent, bien avant de le voir:
« I Râd ui-renia lim a lim
dad od annon ial heriant.
Si palan-'wenniel nâ Râd,
a boe anim bo den padad,
aphadol den na-dail verai,
na-den ten ertha râd annaer
ias raith a lynd lim gevedir.
A na-man hi? Ú-bedithon».
« La route continue encore et encore
Depuis les portes d’ou elle naquit
Maintenant au loin s'en est allée la Route,
et il me faut marcher
La poursuivant avec des pieds impatients,
Jusqu'à ce qu'elle s'unisse avec une route plus grande
Où les pas et les traces s'unissent.
Et maintenant? je ne saurais le dire».