Les tribulations du danseur de mots à Edoras

[HRP : ici, par commodité, seront rassemblés tous les posts du danseur de mots lorsqu'il agit à edoras, sous réserve de devoir visiter un lieu déjà créé]

Une seul pensée venait au danseur de mots à chaque fois qu'il entrait en une cité imposante...

L'âme des chefs est envahie
d'ambitions, de conquêtes et d'envies.
Aucun poète ne peut les adoucir.
Juste faire réfléchir

(Petite pensée rédigée pour remercier les admins du droit qu'il m'ont donné, merci à vous)

Egard Cairn avait l'âme maussade en pénétrant dans cette cité par le passé si bouillonnante de joie. Quelque chose avait changé. Comme tout retour après une longue absence, même les couleurs des choses semblaient différentes.
La cité paraissait morte...Pas autant que son courage. Quitter Fangorn avait constitué un déchirement qu'il commençait juste à mesurer. Plus encore, le voyage avait révélé combien la fée avait bouleversé sa vie. Il n'aurait pas imaginé une telle issue. Et déjà, le barde regrettait ces doux instants auprès d'elle. L'expérience le poussait vers l'acceptation de cette souffrance mais...à ce point...
D'une certaine façon, l'époque bénie de ses délires intimes avait enfoui en lui la saveur du rêve. Mais affronter la brutalité du manque constituait un défi autrement complexe pour notre homme. Les premiers regards féminins qu'ils croisa confirmèrent deux choses. Le charme des artistes fonctionnait toujours. Dans le même temps, lui n'éprouvait plus aucune attirance pour une autre. Seule sa fée comptait...
Par quoi commencer ? Ou trouver trace d'elle ? Ayant réfléchi longuement, il avait listé les pistes possibles en la capitale des seigneurs des chevaux : les registres, s'ils existaient ici, pourraient peut-être l'aider. Les écuries aussi car on n'oublie guère une bête comme celle de Louve... Et puis les guérisseurs. Une dernière possibilité, comme toujours, était celle des rumeurs d'auberges, aussi nombreuses que peu sûres...
Comme il aurait voulu pouvoir la tenir dans ses bras en ces heures terrifiantes. Lui ne s'imaginait pas ce qu'elle vivait, comment aurait-il pu le savoir ? Elle en tout cas ne pouvait mesurer le malaise que générait en lui son absence. Il lui fallait toute son expérience, le poids des autres douleurs de sa vie pour parvenir à contenir la peine. Il regrettait.
Parce qu'il fallait bien se restaurer et avoir un lieu ou dormir, il entra dans une auberge, "La taverne de la Dame Blanche", pour y établir son quartier général. Sa connaissance des lieux l'avait conduit là car c'était l'un des rares endroits que la Compagnie des Crocus fréquentait lors de ses rares passages en la capitale. Et comme il y était un peu connu, cela aiderait...qui savait...
L'ambiance de cette fin de soirée était enfumée, plutôt calme. Tant mieux.

La taverne commençait à se vider de ses bruyants convives. Les plus jeunes étaient venus écouter un musicien en herbe qui semblait débuter devant un public acquis à sa cause et plutôt tolérant face aux nombreux canards qu'il produisait. Egard avait engagé la conversation avec la serveuse, une femme sans âge mais aux cheveux impeccablement ordonnés. La chevelure...Le danseur de mots y avait toujours attaché une grande importance. Que quelqu'un se soigne et c'était un a priori positif. L'inverse...Il attendait pour voir ; mais les présages ne sont jamais à ignorer quand ils sont un avertissement.
Jeva (prononcer Ieva) l'avait renseigné sur les dernières nouvelles politiques, et notre homme avait bien du mal à reconnaître son pays. Si tant fût qu'il s'intéressa vraiment au sens que tout cela pouvait avoir. Plusieurs années s'étaient passées depuis la dévastation de la compagnie des Crocus par une horde de worgs. Et ces années accumulées dans Fangorn l'avaient coupé du monde presque définitivement. Comme un hors la loi, il ne voyait pas l'intérêt de toutes ces luttes pour la domination sur les autres. Pour le reste, la serveuse aux cheveux bruns parfaitement agencés lui avait donné le nom de deux guérisseurs. Et d'après elle, de registres il n'y avait pas en Rohan. En tout cas pas au-delà de la cité elle-même...

-De toutes façons, il te suffit de demander le droit d'accéder aux archives, Egard, ils ne te le refuseront pas si tu leur chantes une berceuse !

Eclatant d'un rire revigorant, elle s'en était allée rechercher de l'eau. Puis, s'asseyant face à lui, avait repris plus sérieusement la conversation.

- Alors comme ça, tous les crocus y sont passés. J'ai de la peine mais c'est ainsi. Le mal triomphe souvent en écrasant tout sur son passage...Mais dit moi, comment t'en es-tu sorti toi ?

Il n'était pas qustion pour lui de parler de la fleur de son coeur. Il trouva une façon sage de taire la vérité. En tout cas de la modifier pour que cela soit toujours la version qu'il donnerait.

- J'ai été salement amoché, c'est vrai. Mais j'ai pu me réfugier dans Fangorn. Et la nature a décidé de soigner mes blessures, si je te disais comment, tu me prendrais pour un fou.

Comme Jeva ne le questionna pas davantage, il put s'en tenir à cette issue nébuleuse...
Désormais, il ne restait plus que lui à table. Les derniers clients venaient de s'en aller. Et les autres étaient montés se coucher. Il avait demandé une chambre simple, la plus simple possible. Mais quand il demanda à Jeva la clé de celle-ci, la femme lui répondit.

- Tu sais, tu n'es pas obligé d'occuper une chambre de serviteur. J'en connais une plus accueillante...

Dans son ton, aucune vulgarité. Egard avait bien saisi. Et son regard sur elle n'en fut pas changé. Jeva était encore attirante et si elle s'avérait directe, elle n'en était pas moins respectable. Après tout, deux adultes ont le droit d'être ce qu'ils veulent être sans avoir à répondre de quoi que ce soit. Mais lui ne pensait qu'à sa fleur.

- Pas ce soir...dit-il simplement, évitant ainsi de la blesser.

Elle ne sembla pas plus étonnée que cela, comme si la fatalité des années qui érodent le pouvoir de séduction l'avaient habituée àces refus polis.

-...mais je veux bien payer mon dû en animant quelques soirées si tu veux. Pas des chants, juste des histoires contées...

La proposition avait un intérêt aux yeux de la femme qui en parlerait sans aucun doute à son patron. Sur ce, le danseur de mots prit sa clé. Et demanda une dernière chose à Jeva. Qui fut étonnée mais accepta sans difficulté.

Cette nuit-là, Egard fut agité par des rêves surprenants pour qui le connaît bien. Des courbes élégantes commencèrent par le titiller. Puis un mélange de couleurs noires et brunes mais lorsqu’il cherchait à se repérer dans cet enchevêtrement, le danseur de mots perdait ses repères. Comme si la chose faisait en sorte de ne pas être découverte…se refusait à lui. Et pourtant, les mains de notre homme naviguaient dans les basses vallées, remontant le cours d’un torrent frénétique, terminant leur course au cœur d’un champ de blé prêt à la moisson. Le danseur de mots, esclave de ses pensées défendues, agissait comme un automate, goûtant à pleines dents aux éperons rocheux d’altitude, provoquant des secousses à chaque morsure. Et toujours l’évanescence au moment de capter le regard de ce spectre nocturne. Le débit de la rivière augmentait, il imaginait une main recherchant le nuage. Plus que d’imagination, c’était de réalité qu’il était question, il en eut la conviction. Car les sensations étaient si réelles, la force de ce qu’il ressentait si puissante…L’environnement venait de changer. Des edelweiss noires innombrables, un champ de fleurs…les ents comme spectateurs indiscrets de cette danse lascive, une…cérémonie. Et ce qui n’était qu’un rêve d’adolescent devient un rituel. Ce qui intrigue le dormeur n’est plus la compagne de cet accouplement mais bien la situation. Les ents aux yeux rouges comme des baies du Nord. En cercle, autour de ces corps emmêlés. Alors le barde tente, sans arrêter les pas de danse, de comprendre ce qui se passe. Est-ce une réminiscence ? Une vue possible de l’avenir ? Lorsqu’il veut dévoiler le visage de sa partenaire, ce dernier se dérobe à lui. Mais en des instants de fugace confrontation, les yeux apparaissent, bleus intenses, au centre d’un visage qui ne leur correspond pas. Une branche s’est insinuée vers eux. Elle capture un membre. Puis un autre. Bientôt, elle est comme ligotée tandis que lui, plus libre que jamais, poursuit son chemin…Alors que deux ne font plus qu’un, il entend ses râles, sans être certain d’en être la cause. Les branches craquent toujours plus, bruissements de feuilles et cris étouffés. Il pleut. Le nuage tonne et les ents grondent. Fumée, explosion. Lumière assombrie. Cendres. Le noir se répand et bientôt, il est seul. Nu. Posé. La scène passée est effacée. Des milliers de voix accablent l’homme. Sans rien comprendre, il gît au milieu du tribunal. Car c’est de son procès qu’il est question. Qu’a-t-il fait ? Que n’a-t-il pas fait ? Toujours des questions, jamais de réponses. Un sentiment proche de la folie s’empare de lui. Panique, incompréhension. Isolement. Le corps fatigué réapparaît. Tâché de rouge, celui des découvertes nécessaires. Une fleur sans pétales. L’homme essaye de cueillir la fleur mais un halo brise sa perception.


La fumée s’envole.
Reste la tâche sur le sol.

Pauvre danseur de mots assailli par ses démons. Que pouvait-il comprendre dans ce désordre parfait ? Lui qui n'avait jamais désiré autre chose que la tranquillité d'une vie en forêt ? Loin de toute cette agitation. Comme on cultive son jardin on en récolte les fruits. De ses délires naissait une vapeur acide enivrant les sens. Drogué, en manque de cette liqueur ancestrale, Egard perdait heure après heure la lucidité qui seule lui aurait permis de se détacher de la peine. Centré sur elle comme un enfant sur le jouet qu'il ne peut avoir, il se condamnait à l'enfer.
Chercher à interprêter ces visions ? Mais selon quels codes linguistiques ? Entique et humain s'entremêlant, rien ne prenait le sens accessible à la logique. Vouloir la retrouver relevait de l'instinct de survie. Mais il comprenait peu à peu que sur le chemin, les dangers intérieurs seraient des obstacles plus grands que toutes les armées du Mordor réunies.
Comme si d'un coup il acceptait d'errer à jamais dans cette traque chimérique.
Sans envie, il descendit prendre le petit déjeuner.

Lait bouilli aromatisé avec des épices étranges, peut-être des racines noires...fruits et viande séchée. Frugal fut le repas du matin mais cela convenait à notre homme. Dans tous les cas, il fallait se réhabituer à la nourriture commune, l'estomac est parfois capricieux.
Il ne vit pas son amie la serveuse ce matin là, peut-être n'était-elle pas encore levée, peut-être était-elle déjà en chemin pour le compte de l'auberge.
Egard sortit bientôt et se mit en quête d'un forgeron. Reprenant ses habitudes de crocus, il devait miner sa chambre de petites choses aptes à repousser les voleurs.
Ainsi dégota-t-il un jeune artiste du métal, plein de fougue et de muscles, auquel il demanda si quelques vieux clous rouillés ne trainaient pas dans la poussière de l'atelier. Des clous rouillés, aussi fins que possible. Mais usagés, pour que cela ne coûte rien. Il en obtint assez, en échange d'une petite ritournelle ryhtmique, comme les aiment ceux qui travaillent à l'aide des battements du fer contre le fer.
Son sac de clous rempli, il restait à trouver des bouts de bois solides mais dans un tronc de petit diamètre. S'il devait conserver ses puces le plus longtemps possible, il devait bien les construire. Bois léger mais solide...
Une heure de recherches pour ses ingrédients. Et une heure frutueuse car gratuite ; c'était le but...
Ensuite, il prit la direction du lieu où il pensait que des archives pouvaient exister. Illusoire quête en Rohan. Noter sur papier quoi que ce fut n'était pas dans l'âme des seigneurs des chevaux. Peut-être ce genre de pratiques avaient-elles une réalité en gondor, à Minas tirith...mais à Edoras. Pourtant il chercha mais ne trouva rien, sauf à aller au palais. Et encore, les deux érudits qu'il rencontra, chacun dans une échoppe digne de ce nom, l'en avaient dissuadé. Temps perdu. Surtout pour une personne de petite lignée...
Il tenta sa chance malgré tout. Et se présenta à l'entrée du palais d'or de Médusel.