En Mer

Le voyage démarra, plutôt paisible, car les eaux n'étaient pas ronchonnes. Tulkor resta longtemps seul, avant de revenir à la rencontre de ses deux hôtes, Sefir, le venimeux, et ce vieux sage atteint de cécité, que Tulkor ne négligeait pas... Il doutait que le vieux était d'Harad, par son teint, par son verbiage, et voulait en savoir beaucoup plus sur ses attentions de venus en Umbar.

Dis moi vieillard, ton visage semble marquer par l'âge, tu ne m'en tiendra pas rigueur, et je parierais chere à dire que l'Arda entier t'as vu fouler terres et forêts. Je me trompe ? Si c'est bien le cas, pourquoi avoir décidé de venir en Umbar, la simple finalité de ton errance ? Je n'y croirais guère, je miserais bien plus sur le fait, que tu avais là, un but bien précis.

[MJ]

Amusé de l'intérêt qu'on lui portait soudainement, lui qui n'avait toujours inspiré sur son chemin que crainte et rejet devant cet être répugnant et si anormal selon le bon sens commun, le vieillard n'éprouvait pas moins autant d'intérêt pour cet intérêt et pour l'homme intéressé.

" Votre regard est trompé, bon Seigneur, par ce que vous croyez vrai. Et lorsque cela ne l'est pas, j'ai l'intime conviction que cela vous paraît au moins juste. Hélas je n'ai jamais pu touché de mes pieds la terre des royaumes elfiques au Nord, ni même senti l'odeur des mines naines, ou entendu l'écoulement des Chutes de Rauros au-delà du Gondor. Mais oui l'Harad n'est point ma contrée mais un arrêt dans mon périple. Je ne peux voyager rapidement car de mon chemin je ne vois rien, vous le savez, je suis aveugle. Mais vous devriez aussi savoir ceci, bon Seigneur, qu'un vieillard tel que moi sénile et incapable n'a pas d'autre but lorsqu'il entreprend un long voyage que de trouver les dernières émotions encore non ressenties avant de mourir. Car je vais mourir, très bientôt. Je le sais, je l'ai vu dans un rêve. Je ne peux que profiter de mes derniers instants... rien de plus. "

Le vieillard esquissa un sourire bien frêle et bref, apparemment perturbé par ses propres dires, mais il semblait sincère et n'avait sûrement, après tout, aucune raison de mentir ainsi et de manière aussi grave.

Sans nul doute Sefir fut-il le premier à réagir aux propos du vieillard. Lui qui était resté assis sur une des caisses amarrées au pont, en tailleur, et avait plus ou moins (plutôt moins, disons) bercé l'équipage à l'aide du raclement d'une pierre à aiguiser sur un de ses poignards, jusqu'à la rendre aussi tranchante qu'un rasoir, sortit soudainement en brièvement de son silence mortel pour laisser s'échapper par ses lèvres un "Pfff!" qui signifiait clairement son mépris pour le vieillard.
Car il était de ses hommes qui ne croient pas au destin. Pour lui, la vie, et donc la mort, étaient déterminés par le choix. N'importe qui avait le choix de ramasser quoi que ce soit qui puisse faire office d'arme, et de tuer. N'importe qui pouvait un jour se retrouver sur son chemin. Et l'hasharîn lui-même avait le choix de tuer ou non cette personne.
Et, surtout, Sefir était déjà mort. Et il ne le vivait pas trop mal.

"Vous parlez de destin, vieil homme... Vous parlez de votre mort comme si vous la connaissiez... Mais qu'en savez vous... N'importe qui peut vous abattre s'il lui en prend l'envie... Et vous ne verriez rien venir, que ce soit en rêve ou dans la réalité... Je ne nie pas que vous puissiez avoir certains talents de compréhension du monde et des personnes qu'il contient..."

Il observa une pause dans son discours, et remit son stylet dans son fourreau. Parler ainsi le blessait d'autant plus que cela faisant saigner son cœur, pourtant mort et pourrissant dans sa poitrine... La perte de Maya l'avait tué. Il ne vivait plus maintenant que pour combattre, recherchant dans l'exaltation de la bataille une joie qu'il ne pouvait plus éprouver autrement... Trouvant dans la vision du sang un peu de couleur dans un monde devenu terne...
Ce fut d'une voix plus faible, non pas moins sûre pour autant, qu'il posa une simple question au vieillard:

"Dites moi ce que vous savez de moi..."

Qui aurait vu sa mort venir ainsi? Sefir s'était vu mourir au combat, au milieu des corps de ses ennemis. Si son corps, mû encore par une dernière volonté de vie, mourrait de la sorte, il ne ressentirait pas la même satisfaction. Mais il rejoindrait sa bien-aimée...

[MJ]

Une fois de plus, il n'éprouva aucun intérêt pour cet homme, qu'il trouva fort théâtral, et peu enclin à écouter. De toute évidence, il préférait se battre. Le conflit était sa motivation, son but, sa finalité. Il était aussi morbide, et insolent. Peut-être était-il aussi quelque peu prétentieux... Le vieillard ne tourna qu'une seule fois la tête vers lui, mouvement qu'il voulut ferme mais vide de sentiments tels que la haine ou l'amour, le mépris ou le respect, le rejet ou l'admiration, qui pouvaient en effet transparaître dans un seul geste. Et ce fut tandis que ses yeux vides portaient un regard inexistant sur Sefir qu'il formula une réponse, tel que l'attendait l'hasharîn.

" Vous n'êtes rien. "

Le même sourire, exactement à l'identique, qu'il fit une minute auparavant, réapparut sur son visage et il ne dit rien d'autre. Il n'avait rien d'autre à dire, car tout était déjà dit. Lui qui avait donné l'impression d'être fort bavard avait trouvé en quatre mots tout ce qu'il voulut bien répondre, et détourna sa tête de l'endroit où, grâce à son ouïe, il supposait Sefir.

" Le voyage sera-t-il long, Seigneur ? Mes vieux os ne sont guère habitués au balancement de la mer... "

Il parut effectivement souffrir du dos, se frottant avec force pour chasser la douleur, une grimace hideuse sur son visage ridé et sale.

"Rien...? Je dois avouer que je suis surpris... Et c'est tout à fait vrai... Je ne suis rien, et c'est pour ça que je suis aussi dangereux... Car n'étant rien, je n'ai rien à perdre, logique, non?"

Tout cela sur le ton égal de qui échange des banalités... Si le vieillard avait pu croire à la transparence d'une quelconque émotion dans les paroles précédentes de Sefir, il avait été dupé... Car la voix de l'assassin était une arme redoutable, capable de se faire chaleureuse ou froide, capable de convaincre facilement... Un atout pour s'approcher d'une cible dont poisons ou lames auraient vite raison...
Il lâcha ensuite dans un murmure:

"C'est la différence entre nous... Je ne suis rien, mais vous... Vous êtes quelque chose qui n'est capable de rien..."

Puis, à haute voix:

"Mon Roi..."

Avant de se lever, pour se diriger vers le château arrière, proche de Krator, qui tenait fermement la barre... Comme ils avaient changés... Peut-être était-ce une conséquence de son union avec Maya, ou bien de sa vie mouvementée, mais il ne se sentait pratiquement pas atteint par l'âge... Il porta son regard alentours, cherchant navire ou terre...
Ce voyage promettait d'être long... Si le vieil homme n'en réchappait pas, il ne serait pas pleuré par l'Hasharîn, que son visage ridé et sale ne dégoûtait pas, il avait vu bien pire, mais donnait l'envie de frapper... De taillader... Il y avait quelque chose de faux, d'hypocrite dans chacune de ses paroles et chacun de ses actes...
Quel avantage Tulkor avait-il à emmener un tel débris... Un accessoire inutile...

Tulkor regarda la théâtrale opposition de ses deux hôtes comme un enfant regarde un théâtre de marionnettes, il riait donc niaisement aux joutes verbales rythmées par une sophisterie houleuse, et se disait qu'il venait de saisir que quoi qu'il en soit, il n'avait pas chargé le bateau pour rien en amenant ces deux là : il avait trouver là une pièce de vaudeville des plus hilarantes, et il se contenta d'admirer ces acteurs avec un oeil malin et attentif, il applaudissait même parfois, à chaque répartie de l'un comme de l'autre.

Entracte Messieurs...

Dit-il avant de s'avancer vers eux d'une démarche assurée. Il se positionna tout à fait entre les deux, évitant ainsi les crises de lames dont pourrait être tenter le faible Sefir. Il le pensait bien plus faible qu'il ne l'avait déjà été : il l'avait pensé faible lorsqu'il voulu jadis empoisonner un homme de hiérarchie, il l'avait trouvé plus bas que poussière de se dépoussiérer le derrière au plumage du Cygne tenus par Aragorn le Petit, et ne pensait guère autre chose que ce vieillard au sujet de l'Hasharin. Sefir faisait de nouveau preuve d'une ferveur fanatique de l'arme qui en décontenancerait surement les meilleurs hommes de guerre, proche d'une furie bestiale qu'on allouerait typiquement aux peuplades barbares, ou aux animaux, sans cervelles.

Il ne nous faudra pas attendre longtemps vieillard, nous embarquons pour le Nord des Mers d'Arda, au loin des côtes qui bordent les terres Hobbits sur les cartes, au tout près de l'Angmar. J'y vais récupérer mon dût, la couronne de Khand, caché par mon père.

Tulkor mentait, mais il savait qu'il le fallait, et le fit rudement comprendre d'un regard insistant à Sefir, qui ne manquerait sûrement nullement d'analyser ce comportement. Au fond, il ne savait pas pourquoi il avait demander à ce vieux de l'accompagner, il lui était totalement inconnu, peut être même serait-il un obstacle des plus majeurs quant à la tâche que Tulkor se voulait d'accomplir, et c'est en ce sens, par pure mesure de précaution, qu'il se décidait à lui mentir, désireux de ne pas bêtement ôter tout espoir de réussite.

Je me souviens d'une vieille légende que mon père me contait dans ma jeune enfance, une légende Kandish, vieille comme Arda. Il disait qu'un des plus grands seigneurs du Khanat de Khand était aussi l'un des plus puissants soldats que la terre du milieu ait connus. Mais ce que ce héros avait de particulier c'est qu'il était atteint, comme vous vieillard, de cette maladie bénie des Dieux qu'est celle de ne pas voir. Il tuait, grand guerrier qu'il était, sans même cibler ses victimes, la transcendance qui guidait son bras, jusqu'à la pointe de son sabre, frappait toujours juste, et avec une précision qui n'avait d'égale. Il était craint de tous, mystifié, jusqu'à ce qu'on se rende compte plus tard que ce n'était que subterfuge, et que de ces yeux dit Albinos, il se faisait croire atteint de cécité. Les guerriers qu'il affrontait le craignait autant qu'il craignait les dons de ses quatre autre sens. C'est mon père qui lui arracha les yeux pour venger le Khanat entier de cette sombre entourloupe. Mais vous n'avez à craindre, je ne sais dépareiller les orifices oculaires, et puis... vous ne me mentez pas n'est ce pas ?

On retrouvait bien là tout ce qui faisait le caractère de Tulkor, la provocation et son zeste d'humour. Le Seigneur des Terres du Sud, paraissait toujours grave, à quiconque pouvait percer son visage, mais il l'intéressait de se voir enfin analyser par un cerveau plutôt que par des yeux. Lui, c'était son rêve, il aurait voulus être ce guerrier de Khand. Avec ou sans la duperie, ce type l'avait fasciné durant toute son enfance et continuait encore.

Horizon à bâbord mon Lord !

Tulkor avança chaloupant ses pas comme le bateau sur les vagues, il chuchota quelque chose à l'oreille de Krator qui lâcha un petit rire masqué, que Sefir put tout à fait voir. Tulkor insistait du regard sur Sefir, et voulait lui faire comprendre qu'il fallait, coute que coute, mentir aux croûton pour s'éviter tout ennuis.

Nous... Nous allons faire escale une petite heure, d'ici... moins d'un jour de navigation, nous n'avons pas été guidé correctement par les vents, et nous prendrons une nuit nécessaire aux abords d'un petit îlot que le Capitaine Krator, le plus grands de tous les Pirates, nous à débusquer à travers le large...

Gardant toujours ce regard insistant sur Sefir

... Nous prendrons pieds sur plage avec Sefir, à la recherche de quelques fruits mûrs pour subsister. Ma soudaine envie de prendre le large m'a fait perdre toute commodité quant aux emports de vivre, et... veuillez m'en excuser. Vous resterez à bord avec Krator, qui veillera spécialement à votre sécurité, comme à la sienne.

Il laissa un grand vide, cherchant dans le regard de Sefir, l'indice d'une onde de compréhension quant à une machination orchestrée de main de maître - ou pas -

Après quoi nous repartirons pour les côtes du Nord, nous pourrons si vous le souhaitez vous accoster prêt des territoires des pieds poilus... Ils se dit qu'ils aiment particulièrement les vieux barbus.

Sefir surpris, alerte qu'il était, le regard plus qu'insistant de Tulkor... Voilà qui indiquait qu'un ordre habilement dissimulé dans les paroles de Tulkor allait lui être transmit... Il se rapprocha en conséquence, toutes oreilles dehors. Il comprit bien vite que cette histoire de couronne n'était qu'un subterfuge... Qui parlait toutefois d'arracher les yeux... Sur son visage s'étala un court instant une expression perplexe, avant qu'il ne tire d'un de ses brassards de cuir une lame et de sa poitrine un soupir. L'acier glissa sans bruit contre son écrin de soie, puis... Le souverain de Harad reprit la parole.
Comprenant qu'ou bien il y avait eu un changement de programme, ou bien il s'était trompé, l'assassin fit disparaître l'objet tranchant dans sa cache... Attendre d'avoir accoster? Si telle était la volonté de Tulkor, mais Sefir avait toutefois du mal à comprendre l'intrigue sous-jacente à tout ce flot verbal...
L'Empereur du Sud parla ensuite d'accoster, et de partir, avec Sefir pour seule compagnie. L'assassin comprit alors... Tulkor, se méfiant du vieillard, le tenait éloigné de l'action...

"Et, tant que nous sommes sur cette île, nous pourrions également tenter de capturer un quelconque gibier pour agrémenter le repas... Si telle serait votre souhait, monseigneur, je vais de ce pas vérifier l'état des arcs, et préparer les carquois... Bien que le temps imparti sur l'île soit court..."

À son tour, l'assassin tentait de faire comprendre à son roi qu'il s'agirait là d'une excellente excuse pour le cas où leur absence serait, pour quelque raison que ce soit, prolongée. Les sachant en chasse, l'équipage ne s'inquiéterait pas outre mesure de ne pas les voir revenir à l'heure dite...
Puis il se mua de nouveau dans le silence, le visage impassible. Ce que Tulkor pensait de lui n'était pas faux. Mais dans le cas présent, cet amour du combat pouvait se révéler des plus utiles...

[MJ]

" Je crains n'avoir guère de capacité à vous aider. Aussi... je vous attendrai là. Et oui, cela me paraît fort bien que de se rendre chez nos amis les pieds poilus, comme vous dites... Voilà longtemps que je ne les ai pas vu. "

Le vieillard eut un mouvement de surprise alors qu'il achevait de parler, et partit d'un rire rauque comme gêné par de la crasse.

" Que je ne les ai pas vu... Amusant. C'est étrange comme la langue peut nous faire dire des choses insensées... Des expressions toutes faites qui ne correspondent en rien à la réalité. Réalité, d'ailleurs, elle-même trompeuse. Mais cela n'est pas si gênant que cela, n'est-ce pas mon bon Seigneur ? Mentir... cela ne coûte que très peu. Parfois même rien. "

Et il se tut avec un dernier sourire, massant encore son dos de ses vieilles mains usées par les voyages et le temps.

Tulkor tourna la tête sur le côté - comme le font les chiens - et s'avançait doucement vers le vieillard, tournant autour de lui comme un vautour.

Qu'est ce que mentir ! Écrire ! Écrire c'est mentir ! C'est fausser, on est jamais ô grand jamais exacte dans l'écriture, toujours guidé par la volonté de palabrer dans un verbe vertueux, on ment, on se ment. S'expliquer ! S'expliquer c'est mentir ! Alors je n'essaierais guère de m'expliquer d'avantage, mais toutefois, le développement est souhaitable, et intéressant à mon goût. N'importe quel sot peut dire la vérité, mais il faut que l'homme soit un minimum censé pour savoir mentir. Mentir, moi ? Jamais ! La vérité m'est tellement amusante ! Nul besoin de pimenter ma vie à l'orage du mensonge, nul besoin de mentir, il n'y a aucun intérêt, sinon un réel plaisir, et je n'ai pas besoin d'un zeste supplémentaire de plaisir en vue de toutes les fanfreluches de fifrelins freluquets férus de farandoles fringuantes que vous, vieux évasif victime des vicissitudes de la vie, et son admirable jeune de vaudeville, suppôt de la guerre et des gaudrioles de guignols m'offrez à chaque seconde de vos joutes jubilatoires sur ce raffiot.

Il se tourne vers Sefir, et lui fait une théâtrale courbette, les deux pieds noués en l'air dans un petit saut aussi acrobatique qu'intéressant artistiquement. Toujours dans ses allures clownesques, il se tourne d'un coup et ajoute d'une voix svelte et amusée :

Je crois que tu mens vieillard, et du fait que jadis tu t'es affirmé à moi comme un illuminé fieffé fou me confirme en ce sens. Je te sens aussi sage que fou - la sagesse est une folie me diras tu, comme la folie peut s'avérer sagesse, tout est alors affaire de subjectivité - et alors, je te considère assez sage pour penser à pareil stratagème, celui de se faire passer pour atteint de cécité par exemple. Qu'elle folie !!!

Il se tourne de nouveau, s'avançant à la barre pour y retrouver Krator, qui regardait dans sa longue vue cet îlot au loin : il y voyait deux gros rochers taillés en écriture nanique, la terre recherchée.

Et si le doute m'ensevelie, alors je tracerais un trait sur une partie de mon passé et de celui de Sefir, lui demandant alors d'user de ses talents : si tu mens petit vieillard, je réparerais ton mensonge, pour le rendre vraisemblablement véridique.

Si le vieillard mentait effectivement, et qu'il posait les yeux sur Sefir, alors il pourrait être effrayé. L'assassin était quelqu'un de complexe. Quelqu'un qu'on avait abusé maintes fois. Quelqu'un qui ne pouvait plus penser comme un être normal. Il avait gardé de son séjour au Harad l'habitude de compter plus sur lui que sur les autres. De son séjour en Gondor un sens de la loyauté...guidé vers lui-même et vers son idéal plus que vers quelqu'un d'autre. Et de son séjour au Mordor une logique impitoyable et sadique...
Car c'était bel et bien ce qui s'affichait présentement sur son visage. Ses dents à moitié dévoilées en un rictus carnassier, ses cheveux retombant autour de son visage en cascades désordonnés, filets de noirceur personnifiée, son regard fou, porte ouverte sur la consciente insanité de son esprit, tout chez lui semblait conçu pour réveiller l'instinct primaire le plus ancien chez l'homme. La Peur. Il était une machine à faire peur. Sa main écarta un pan de la courte jupette de cuir qui ceinturait sa taille aux trois quart, ouverte à l'avant et l'arrière pour garantir une plus grande liberté de mouvements, et dévoila une série d'instruments brillants, bien entretenus, et tranchants comme le fil de la légendaire Noire Épée. La plupart comportaient de nombreuses excroissances qui ne les rendaient bons qu'à un unique but: infliger de la douleur. Et à en juger par la façon impatiente qu'avaient les mains de l'assassin de pianoter non loin des instruments, nul doute qu'il avait très envie de s'en servir... Un œil attentif aurait cependant noté la présence de l'Œil de Sauron sur une bonne partie des lames...
Mais de la part de quelqu'un qui portait cette même marque marquée au fer rouge sur le bras, étais-ce réellement étonnant? De la part de quelqu'un que le discours sur le mensonge auquel se livrait Tulkor faisait intérieurement doucement rigoler, l'était-ce? De la part de quelqu'un si habitué à jouer la mascarade, pouvait-on s'en étonner?
Mais les instruments disparurent de la vue de tous assez vite, quand la main leste de Sefir rabattit le pan de cuir sur eux. Le regard de l'assassin se tourna ensuite vers les îles qui approchaient maintenant. Toute trace de sadisme avait disparu de son visage, qui affichait maintenant l'expression déterminée, sombre et résolue, de celui qui a une tâche a accomplir... La main gauche de l'Hasharîn disparût dans une bourse pendue à sa ceinture, y serrant comme un talisman... La pierre était si lisse au toucher, si parfaite... Il retira sa main prestement, puis, sur un ton égal:

"À moins que vous n'ayez besoin de mes services, mon Roi, je vais préparer le nécessaire pour notre escale sur ces îles..."

Et il disparût dans les entrailles du navire, s'occupant de la besogne qu'il avait à y accomplir pour que tout se déroule comme prévu...

Sauron, être des plus puissants de la Terre du Milieu, observait l'ensemble des mouvements agitant le continent. Perpétuellement en éveil, son esprit jamais au repos, très peu de faits d'importance échappaient à son attention, le tout renforcé par les mines d'informations rassemblées par ses espions disséminés en tout lieu.

C'est ainsi qu'en posant son oeil sur les faits de Tulkor, seigneur des Haradrims, il perçut quelque chose d'assez surprenant. On le serait à moins car sur le navire conduisant le roi du Harad, Sauron percevait la présence de deux laens. Pourtant, il était persuadé que Tulkor n'avait pu s'en fournir un autre. Explorant la question, son esprit empli le laen inconnu, surprenant un

Sefir avait fini rapidement ses préparatifs guerriers. Pour un homme tel que lui, cette tâche ne durait pas plus de cinq minutes. Rassuré sur sa capacité à intervenir rapidement, il s'était laissé aller et n'avait pu résister à la tentation de caresser cette mystérieuse pierre rouge, souvenir d'une vie passée. Si Sefir était réapparu au monde des vivants, une part sombre de l'assassin était toujours présente et à l'oeuvre dans l'esprit de l'Haradrim. Et ce fut lors de ce bref moment d'inaction que Sauron frappa...
Submergé par la douleur, ce ne fut que son entraînement qui lui permis de ne pas sombrer dans l'inconscience et de se retenir d'hurler. Sefir n'était plus habitué à ce genre de contact qui était très loin d'être agréable... Ne voyant plus et n'entendant plus qu'une seule chose, les yeux hagards, Sefir était complètement à la merci d'un esprit supérieur...



Sauron sourit intérieurement lorsqu'il reconnut la marque du porteur: Khaedril. Une pièce pour le moins amusante et qui avait joué son rôle à la perfection. Certes, il avait trahi, mais cela ne perturbait en rien les plans du maiar. Si l'assassin s'était révélé pratique, il n'était pas indispensable. Mais dans le même temps, l'éliminer de la partie manquait de perversité. Utilisant son intelligence retorse, le maiar s'adressa ainsi à Sefir:

"Mais ne serait-ce pas notre très cher ami Khaedril? Un homme en qui j'avais toute ma confiance... Sais-tu quelle blessure tu m'as infligé en quittant ainsi mon service? Moi qui avais tellement d'espoir pour toi..."

En même temps que ces paroles atteignaient l'esprit de Sefir, une nuée d'images de toutes sortes se présentèrent, représentant Sefir en grand général reconnu par tous, des femmes jetant des fleurs sur son passage et au milieu, le visage désolé du maïar, dégoulinant de tendresse et de tristesse.

Effondré, au sol, Sefir semblait battu... Dans de douleur dans son corps et son âme... Son être meurtri au point que le toucher du sol, des vêtements, en devenait douloureux... Son visage se crispa dans un effort qu'on n'aurait pas attendu de lui. Sa main droite serrant toujours sa pierre, il la leva, la força à toucher le sol... De même avaec la main gauche. Et contracta ses muscles, se relevant bientôt, tendant le bras devant lui pour regarder dans la pierre...
Et un sourire apparu sur son visage qu'éclaira une beauté féroce qui chez lui n'apparaissait que rarement... Et sans que ses lèvres ne bougent, ce fut par la pensée qu'il communiqua avec Sauron.

"Très impressionnant... Mais malheureusement, je ne suis pas un général... Je ne l'ai jamais été... Quant à être reconnu... C'est dans mon cas peu souhaitable..."

De toute évidence, quelque chose avait changé en l'assassin. Sauron ne s'en rendait pas compte, mais la force mentale de l'assassin avait grandie, à la manière de celle d'un enfant qui devient adulte. Mais pour un esprit tel que celui du Seigneur Noir de Mordor, la différence était à la limite de l'inconstatable...
Il y eut un instant de "silence" durant lequel l'assassin contempla le flot d'images se déversant devant lui. Aucune ne semblait vraie. Aucune ne semblait fausse... Mais Sefir avait désormais un léger avantage: il n'était subjugué par personne...

"Votre espoir pour moi n'est nullement mal placé... Certes, je vous ai fui... Certes, j'ai tué certains des hommes que j'avais moi même formé... Mais ce n'était là qu'un simple remerciement pour tous les mensonges qu'on m'a servit... Je ne sais pas encore qui je suis, mais au moins, je sais ce que j'ai fait... Et je sais très bien que je n'avais jamais servit en Mordor avant qu'on ne m'enlève..."

L'assassin n'avait pas bougé, mais la concentration se lisait sur son visage. Que Sauron décide de le briser, et ainsi en serait-il. Nul n'avait le pouvoir de résister à al force d'un tel esprit, hormis peut-être les plus grands sages...

"Je me suis souvenu de cette vie... Et je me suis souvenu de ma bien aimée. Maya... Elle est morte sûrement... Et au vu du temps qui s'est écoulé depuis sa fuite, je n'en retrouverai probablement jamais rien! C'est pourquoi je suis parti. Pour exercer ma revanche sur l'unique responsable: Tulkor de Harad! Sans lui, j'aurais pu vivre..."

La concentration cédait peut à peu place à la fatigue sur le visage de Sefir. L'entraînement de l'assassin couplé à l'habitude de la douleur prise lorsqu'on le torturait pour en faire un suppôt de Sauron lui avait jusque là permit de résister... Mais pour combien de temps encore? Le Maïar devrait bientôt relâcher quelque peu son étreinte, ou voir son interlocuteur trop épuisé pour continuer l'échange.

"Mais allons... J'ai un marché à vous proposer... La tête de Tulkor, ainsi qu'une des Lames, en échange de la vérité sur moi-même... Je pense qu'il s'agit d'une proposition honnête, non?"

Et il se tût, attendant la réponse du Seigneur Noir. D'elle dépendait sa vie. La seule chose qui lui resta vraiment à chérir... Son fils était mort. Sa femme l'était très probablement... Et s'il n'avait pas aussi peur de sa propre mort, il les rejoindrait volontiers...

La pression sur l'esprit de Sefir s'allégea peu à peu et un instant, il crut que le noir maïar s'était retiré. Ce soulagement fut de courte durée car alors que Sefir pouvait à nouveau se relever, une fine voix, sifflante et sinueuse, venant de partout à la fois et de nulle part l'emplit tout entier, faisant vibrer chaque fibre de son corps.

"Tututu, Sefir, Sefir... Que dis-tu donc là? Quelles peuvent donc bien être les inepties qui te traversent l'esprit? Pourquoi me proposer quelque chose que je peux avoir sans effort? Je n'ai pas besoin de ce que tu essaye de marchander. Car, vois-tu, contrairement à toi, je sais exactement qui je suis et ce qu'il me faut, et ma vision voit bien plus loin que ce que ton simple esprit peut imaginer..."

Retombant au sol, l'esprit de Sefir survola les plaines et vallées de la Terre du Milieu en un instant, contemplant l'oeuvre des Morts. Un frisson d'horreur le submergea sans qu'il n'y puisse rien. Puis, il fixa à nouveau l'oeil sombre et terrifiant de son ancien seigneur et maître. Dépouillé de toute protection face à sa justice implacable, il était incapable d'émettre le moindre son.

"Ton caractère est rebelle et indomptable Scorpion. Mais ne te méprends pas. Si tu vis encore, c'est par caprice de ma part. Une pensée de moi et tu mourras sans en savoir plus... Mais, il est bien plus amusant de te regarder te débattre avec les affres de ta mémoire. Je te laisse encore une chance Scorpion. La prochaine fois que nous nous rencontrerons, j'espère que tu auras compris qu'il n'existe qu'une seule voix pour toi..."

Puis, après un dernier viol des pensées, le Seigneur des Ténèbres s'en alla pour de bon...

Le voyage s'était éternisé, la mer s'était faite capricieuse et même la grande expérience de Krator n'avait pas empêché au navire de dévier de sa course. Loin de l'île, et attendant que le vent daigne redonner son accord, Tulkor partis dans la cale se reposer, suivis de prêt par ce petit vieillard.
Je ne connais point les détails de ce que s'étaient dit les deux hommes dans la cale, pour sûr, le Seigneur d'Harad avait lancé un tsunami de questions à l'aïeul. Histoire de découvrir qui il était vraiment.

Tue le ! Fout le moi à la flotte ! Ou garde le donc en vie et arrache lui les yeux, ça lui apprendra à jouer l'aveugle.

Cria Tulkor en sortant de la cale alors que Krator et Sefir était déjà debout, s'afférant tous deux à accoster le bâteau au petit îlot où Tulkor devait se rendre, qui n'était maintenant plus qu'à quelques centaines de mètres.

Hier soir, il a cligné des yeux, trahissant sa fatigue. Et lorsque je lui ait jeté un rat éventré aux pieds, pour le réveiller, ses vieux yeux ébahis et dégoutés, m'ont trahis sa vue. Menteur...

Sefir réagit alors à la manière d'un automate bien huilé. Il pivota souplement sur ses jambes, et sauta à bas du château avant sur lequel il s'affairait, roulant avant de se relever et de courir vers la cale. Ses bottes de cuir souple se posaient avec légèreté sur les planches, puis s'en décollaient avec une grâce féline. Passant fort près de Tulkor, il murmura:

"Considérez son destin scellé..."

Un bond l'amena dans la cale. Sombre. Trop sombre. Ses sens en alerte, il se mit à avancer silencieusement vers le lieu où il savait que Tulkor et le faux aveugle s'était entretenu la veille... Il parvint bientôt auprès de ladite salle.
Y pénétrant, il y trouva le vieil homme, paisiblement endormi...une main posée sur son bâton. Méfiant, Sefir prit la parole.

"Vous voici à destination, vieil homme..."

L'intéressé fut sur ses pieds en un clin d'oeil, bâton à la main.

"J'ai entendu les cris de rage de Tulkor... Est-ce un mal de se faire passer pour aveugle afin de mieux voir le coeur des hommes? Allez-vous réellement exécuter un vieillard sans défense? Vous êtes un homme meurtri, mais vous n'êtes pas mauvais au point d'exécuter publiquement quelqu'un comme moi..."
"Non... En effet... Je ne suis pas de ce genre là... Je n'exécute pas publiquement, mais n'en reste pas moins bourreau... Considères comme un honneur de mourir des mains du Danseur de Mort..."

La lueur qui passa un instant dans les yeux du futur décédé confirma à Sefir les propos de son roi. Il marcha sur le vieillard, qui poussa un "Non!" de terreur. Il chercha à mettre une table entre lui et sa Nemesis, sans se rendre compte à quel point il était futile de tenter une telle manoeuvre. L'assassin bondit aisément par dessus. Sa main gauche se referma sur le bâton du vieillard. Et, presque dans le même mouvement, les cinq doigts tendus de sa main droite arrachèrent un des yeux du menteur.
De douleur, celui-ci en lâcha sa maigre arme et tomba au sol, poussant un hurlement de douleur. Il ne releva la tête que pour voir Sefir s'approcher, laisser tomber l'oeil au sol, et se pencher vers lui.

"J'ignore les raisons qui t'ont poussé à jouer l'aveugle... Mais saches qu'on ne ment pas à un Roi... Je ne suis pas intéressé à connaître tes motivations, car rien ne te sauvera de toute façon... Maintenant..."

Ceux qui étaient restés sur le pont entendirent clairement le cri de douleur du vieillard, qui était désormais réellement aveugle. D'ailleurs, Sefir ressorti bientôt de la cale en le portant sur son épaule. Sa main droite, ensanglantée, tenait la paire de globes oculaires.
Il laissa tomber l'aveugle comme on laisse tomber un sac rempli de chiffons sur les planches, ainsi que les yeux désormais inutiles, puis força l'homme à s'agenouiller. Il dégaina ensuite un sabre court, à la lame large. L'autre resta à sa ceinture, comme il considérait sa cible indigne de subir la morsure d'une arme aussi raffinée.

"Ses yeux ne lui appartiennent plus, désormais... Voulez-vous que je mette fin à ses jours, mon Roi?"

Il accompagna ses paroles d'un moulinet de sabre, avant de venir poser ce dernier sur son épaule. Au vu des positions respectives de Sefir et du vieillard, un mot de Tulkor, et l'assassin n'aurait même pas besoin de se déplacer pour décapiter l'escroc. Un mouvement de bras suffirait...

Tulkor lança un regard complice à Sefir, le Seigneur d'Harad se laissait envahir par son sadisme. Tulkor était en quelque sorte un sadique contrôlé, voir refoulé. Dans un petit rire grinçant il lança, sec :

Déshabille-le

Comprenant d'avance l'incompréhension que susciterait cette réflexion chez Sefir, il répéta.

Déshabille-le...

Il descendit dans la cale, et lança un peau de miel à Sefir.

Enduit-lui le corps... Assomme le ça sera plus pratique. Et enduit le bien... partout.

Ils accostèrent sur un petit îlot, avant de descendre, Tulkor lança à Sefir une longue corde.

Attache le à un arbre... prêt... prêt d'une fourmilière tient...

Lâchant un énorme rire débordant de sadisme

Je m'adore ! Vraiment...

Le haussement d'un sourcil fut la seule marque extérieure du désarroi de l'assassin face à l'ordre pour le moins étrange qu'il venait de recevoir. Il hésita, mais la deuxième injonction fut plus que suffisante pour pour que le jeune homme, entraîné à obéir, ne pivote souplement sur lui-même pour asséner un coup du plat de sa lame sur la tempe du vieillard, qui s'effondra, assommé. Faisant disparaître le sabre court, il tira de sa cache le stylet, du bout duquel il découpa prestement les frusques du vieillard et exposant son corps sénile aux affronts du soleil et du temps, au demeurant fort peu capricieux en ce jour. Tulkor revint alors de la cale, porteur d'un pot au contenu encore inconnu.

"Enduit-lui le corps... Assomme le ça sera plus pratique. Et enduit le bien... partout."

Sefir fit sauter le bouchon de grès, révélant le miel qui se trouvait à l'intérieur. Toujours aussi perplexe, il obéit néanmoins à la consigne, se servant d'un linge pour achever d'étaler le nectar. Le navire accosta alors. Sefir, sur la consigne de Tulkor, débarqua le vieillard en le traînant par une cheville, comme on tirerait une bête morte.

"Attaches-le à un arbre...près...près d'une fourmilière, tiens..."

L'étendue du sadisme de Tulkor apparut alors comme cristallin aux yeux de l'assassin. Il contempla un instant deux arbres non-loin d'une fourmilière, la corde et le vieillard, avant d'obéir, usant d'une moitié de la corde pour lier les poings à un arbre, et les pieds à l'autre. De fait, la victime se trouvait désormais immobilisée, allongée entre deux arbres.
Bientôt, et sitôt que l'assassin se soit éloigné, quelques fourmis commencèrent à monter sur le corps du vieil homme, tandis que des mouches, attirées par les plaies sanglantes des yeux, venaient y faire leur repas et y pondre leur descendance. Le jeune homme leva un regard assez horrifié vers Tulkor. Il n'avait pas été élevé de la même façon que la population de Harad en général, et la violence était pour lui quelque chose de naturel. Il ne montrait aucune répugnance à torturer quiconque lui était désigné, à tuer quelqu'un... Mais la mort du vieillard dépassait sa compréhension, tant elle ne cadrait pas avec les principes des Hasharii, au demeurant capables de bien des atrocités...
Il se rapprocha de son seigneur, se postant à ses côtés tel un automate bien réglé.

"Et maintenant, Mon Roi, avez vous d'autres ordres pour moi?"

Il se tint ainsi, bras croisés sur sa poitrine, légèrement en retrait, patientant jusqu'à ce que le Roi de Harad daigne lui exposer la suite de son plan...

Tulkor plissa le regard, il s'étonnait lui même de l'ampleur de son sadisme, et détestait quand sa part de violence prenait pas sur sa sagesse si reconnue. On à tous sa part d'ombre. L'homme qui avait assassiné l'ancien Sultan de Dor Bozisha, lâchement, c'était lui. L'homme qui avait massacré toutes les femmes de son Harem, pour prouver à sa femme sa fidélité, c'était lui aussi. Qu'y avait il derrière son visage d'argile, ses yeux rayonnant de sagesse, ses paroles si enjouées quand il s'agit de chanter des poèmes, ou de s'offrir à la joute verbale : toujours triomphante. N'y avait il pas un simple barbare. Un barbare qui mesure ses paroles lorsqu'il est en assemblée, mais lorsqu'il est seul, ou entouré d'autres barbares, n'est pas plus qu'un modeste amas de fèces sans raisons. Une larve, guidé par le sang... un orc.

On rembarque...

Il remonta à bord, regarda Krator dans le blanc des yeux et lui murmura - comme sortis d'entre les dents avec rage - qu'il ne devait en aucun cas en parler en Harad. Au même moment, un autre bateau d'Umbar montrait ses voiles au large, et ne se fit pas prier pour avancer. Les pirates du navire n'était pas seuls, accompagnés par le précepteur de Tulkor, le vieux sage et philosophe qui l'accompagnait souvent. Il lui annonça que le Mordor déchaînait sa colère, et que les hordes d'Orcs s'en prenaient aux villages alentours à Umbar. Tulkor resta stoïque, choqué, il s'était toujours vu protégé par sa neutralité, mais comprit que ce genre de position ne plaisait jamais à quiconque. Il rétorqua sèchement....

Dites leurs que je chie sur Aragorn, Elessar ou qu'importe son nom, que son successeur est une larve, que je ne connais même pas de dynastes Elfes - car parler constamment de musique ne m'intéresse pas - et que je préfère les hommes de l'ouest morts. Dites leurs...

Je n'aurais pas le temps, je serais déjà mort.

Alors ne leur dite pas, ils le découvriront bientôt. Repartez juste en Umbar, et emmenez toute la flotte en mer, avec le plus d'homme à bord possible, des armes, et ma fille.

Cela signifie que vous abandonnez Umbar ?

On abandonne jamais quelque chose qui nous appartient pas n'est ce pas ?

Le vieux sages ordonna aux pirates d'obéir, le navire quitta rapidement l'horizon pour accomplir sa mission. Le navire de Tulkor, lui, allait à l'endroit du duel avec le Nain Hanzok, comme convenus, et cette fois, sans perturbateur aveugle à bord. Alors que le navire affrontait les vagues et s'approchait de l'îlot concerné, Tulkor sortis de son mutisme et apostropha Sefir.

Ça te fait quoi d'être à bord du navire du plus grand Roi de tous les temps, abandonnant lâchement sa ville-royaume à une armée d'Orc ? Tu trouves cela lâche ? Ou comme moi tu es persuadé que j'ai une idée derrière la tête ?

Sefir était resté plus silencieux encore qu'une tombe durant cet échange, s'étant contenté de vérifier les sangles qui maintenaient son armement attaché à son armure. Il regarda Tulkor dans les yeux après que celui-ci lui eut demandé comment il se sentait. Avec un mince sourire, l'assassin répondit, de son ton habituel:

"Si vous aviez été un autre souverain de Harad, ça ne m'eut fait ni chaud ni froid. Si vous aviez été un de ces chiens de l'Ouest, vous auriez pu me compter dans la liste des personnes dangereuses pour vous. Mais vous n'êtes ni l'un, ni l'autre. Je vous connais... Vous n'abandonneriez pas votre peuple à un tel fléau. Comptez sur moi quand l'heure de riposter sera venue..."

Sur ces paroles, l'assassin se mura à nouveau dans le silence, contemplant la masse rocheuse de l'îlot vers lequel le navire se dirigeait, et qui grandissait à chaque instant.

"Si ça n'est pas outrepasser la connaissance à laquelle je peut prétendre avoir accès, mon Roi, qu'allons-nous faire sur cet îlot? Et qu'avez-vous prévu pour la suite, pour envoyer ces larves de Mordor dans les ténèbres de la mort?"

Tulkor esquissa un petit rire démoniaque, enlacé par des traits de visage de démon gentil. Il fit quelques pas de danse à la Fred Astaire et finit par bondir sur les marches menant à la barre. Il s'exclama :

Ce dont je suis certain mon bon Sephir, c'est que par mon magistral et rocambolesque stratagème, je vais me porter au rang du plus impitoyable - ou pitoyable, qu'importe son bord idéologique et son camp - seigneur de ce monde. Je ne sais si tu as entendus parler de ces morts, grouillant partout, semant désolation et peur sur nous autres pauvres vivants. Aujourd'hui... Tulkor d'Harad fait partis de ces morts, Tulkor Hayoaty, Seigneur d'Umbar, devient Seigneur d'Arda entière et des limbes, car il détient en sa possession le destin croisé de notre terre, et de celle des outre-tombe. Crois moi, ce que tu vas voir, entendre, vivre, et savoir... Est une expérience plus existante encore que de porter sur son cul les plumes du Cygne de Dol Amroth que tu as servis longtemps comme un petit servant de "Mon Seigneur Elessar", le plus faibles des faibles.

Il redescendit de son pieds d'estale d'une cabriole théâtrale

Il me reste simplement à savoir comment rentrer en contact avec ces morts... Et ça, j'avoue en avoir véritablement aucune idée. Pas même un soupçon, ce qui est fort fâcheux je le conçois, et qui plus est, risque de ne pas faire avancer notre histoire. Je pense que nous trouverons ! Commençons un livre ! "Tulkor ou l'optimisme" ! Préfacé par Sefir Le Bon... je te dois bien ça.

Sefir ne fit que soupirer aux extravagances de Tulkor, desquelles par ailleurs il était désormais coutumier. Voir ainsi un Roi sauter à bas de son piédestal... Sans doute Tulkor était-il le souverain le plus rocambolesque que la Terre du Milieu eut jamais porté...

"J'ose espérer que votre altesse n'était pas sérieuse quand elle parlait tantôt d'un ouvrage préfacé par ma personne... Je manie les lames et le poison, pas la plume... Et aux dernières nouvelles, je ne pense pas que ma verbe vous ai laissé un très bon souvenir, puisque vous sembliez alors penser que j'y distillait du venin..."

Il avait son regard toujours fixé vers cet îlot, intrigué par les paroles de Tulkor...

"Quand à ces morts, vous m'en apprenez l'existence... J'ai bien croisé quelques villages détruit en m'enfuyant d'Angmar, mais je ne m'y suis pas aventuré... J'avais d'autres préoccupations, ma survie entre autres..."

L'assassin observa un instant de silence...

"Mais vous parlez d'entrer en contact avec eux... Des éléments me manquent pour entendre ce plan dans son entièreté, et je ne vous ferez pas l'affront de les demander, puisque vous n'avez pas jugé utile de me les communiquer lors du premier exposé que vous en fîtes."

Caressant doucement le pommeau de son arme fétiche, la longue dague accrochée à son dos, il ajouta:

"Ne voulez-vous pas que je me mette en quête du chef de ces Orques? Je les connais, j'ai vécut dans leur royaume... Il me sera aisé de parvenir jusqu'à leur tête et de la trancher net..."

Sefir semblait assez impatient de repartir en mission. Quand bien même les facultés d'adaptation qu'on lui avait inculqué pouvaient lui permettre d'être tour à tour seigneur et assassin, assassin et garde du corps, garde du corps et interprète, il n'en restait pas moins quelqu'un qui ne trouvait plus guère de plaisir ailleurs que dans la traque, et le meurtre. Il en était ainsi depuis qu'il avait perdu sa bien-aimée. Encore trop bercé par l'espoir de la revoir vivante pour se donner la mort. Encore trop habile pour tomber au combat.

"Vos ordres sont un arc, Mon Roi, usez de la flèche que je suis pour abattre cet ennemi!"

Tulkor détacha la longue corde qui entourait deux petites barques en bon état et les jeta sur l'eau avec l'aide de Krator. D'un geste subreptice et maladroit - manquant d'assommer Sephir - il jeta deux pagaies dans chacune d'elle. Dans le ciel, se dessinait la belle silhouette de ses deux faucons pèlerins, qu'il siffla. Les beaux rapaces vinrent se percher sur leur maître, l'un sur l'épaule - Tulkor esquissant un mimique de douleur - et l'autre dans son gant de cuir. Il en tendit un au Scorpion.

Tu te rappelles de jadis, et de la façon dont nous communiquions ? Ces rapaces sont liés comme des frères, et capable de se retrouver sur des kilomètres. C'est par ce biais que je te joindrait des directives.

A ce moment précis, Tulkor semait surement l'incompréhension dans les yeux de Sefir, ou du moins la surprise. Il continua.

Tuer le chef de ses orques me plaît bien. Use de tes dons d'Hasharin, faufile toi dans sa tente crasseuse et décapite le. Fait alors livrer sa tête dans une petite caisse de bois, au Seigneur du Gondor. Ne signe pas. Ne déclare pas cela comme l'acte d'un soldat de Tulkor. Laisse les penser ce qu'ils veulent. Ils comprendront sûrement, et je l'espère, que je remercie mes frères de l'Ouest pour leur précieuse protection....

Il marqua une pause.

Entre dans cette barque, et navigue jusqu'à Umbar, là bas, tu diras à mon précepteur et ami philosophe de vider la ville, totalement, que tout le monde partent vers le Sud, dans leurs familles. Que les pirates et les meilleurs soldats d'Harad et de Khand embarquent en mer, et y restent, jusqu'à recevoir l'ordre de revenir dans le port.
Lorsque tu recevras le faucon, considère toujours mes dires, et ne te dévies pas de mes directions. Si je te demande d'effectuer une autre mission avant celle en cours, alors que tu touches au but, tu l'effectueras selon mon vouloir.

Il monta à son tour dans une barque, et commença à pagayer vers l'îlot où il s'était jadis combattus avec Hatori Hanzok. Il ordonna à Krator de l'attendre ici... Alors que sa barque s'éloignait du bateau et de la barque de Sefir, il lança au Hâsharin quelques dernières directives.

Surtout, Ô grand surtout, ne te laisses jamais prendre. Égorge simplement l'orque, et repart... Pour trouver leur campement demande au chef de mes gardes royaux, nul doute qu'ils ont déjà commencés à réunir des informations sur l'activité de ces racailles.

Sefir fut, il faut l'avouer, surpris par la maladresse dont fit preuve Tulkor lorsqu'il lança les rames dans les chaloupes: il manqua de peu d'esquinter l'arcade sourcilière de l'assassin, qui en eut été fort gêné par la suite.
L'Hasharîn écouta attentivement les instructions de Tulkor, et reçut le faucon, avant de déclarer sur un ton à la limite de l'enjouement:

"N'ayez crainte, Monseigneur! J'accomplirait votre volonté à la lettre, quelle qu'elle soit!"

Sur ces paroles, l'Assassin royal s'assit dans la barque, dégrafa sa cape, et attrapa les rames, se mettant à les actionner énergiquement et régulièrement, faisant rapidement avancer son embarcation en direction d'Umbar.
Bien que son embarcation soit fort fragile, la mer était calme, et en longeant la côte, il serait bientôt arrivé à la cité.

Le seigneur d'Umbar, la Cité des grands voiliers, là, ramant, dans une modeste et miteuse barque : ou l'imagerie même du déclin.

Tulkor avait mis une bonne vingtaine de minutes pour parvenir à accoster sur le fameux îlot, et Krator, de son navire, voyait bien que le pauvre Kandish n'avait plus toute sa force : fruits mêlés de la charmante vieillesse qui grisonne les cheveux et la barbe, et du voyage en mer, long et épuisant.

Qu'importe le temps qu'il mit à l'ouvrage, qu'importe le blanc qui s'introduisait, hirsute, dans sa barbe, qu'importe même la cale inconfortable du bâteau dans lequel il avait fait tant de chemin... Il y était, et mit pieds à terre, heureux comme un gosse.