La rencontre alpha

[Dernier topique : La taverne « A l'Oeil Sombre »]

Lentement, la Bête prenait forme humaine... D'abord, elle se releva et se tint sur ses deux jambes arrières, ses longs et puissants bras velus pendant encore aussi bas que ses genoux. La douleur de la transformation semblait gêner la créature qui exprimait de la colère sur son visage, ses babines retroussées et les plis de son front dirigées vers le chanfrein.


Sans que Blunvan et Dirk ne s'y attendent, une vive lumière leur frappa les yeux. Ils crurent un instant qu'une catastrophe ne s'était produit ou que l'influence de Sauron se soit assez affaiblie pour que le Soleil perce un des sombres nuages du ciel du Mordor et ne vienne parsemer les terres noires de sa bienfaisante lumière. Il n'en était rien, en vérité, car la lumière émanait de la Bête elle-même. Ils ne purent qu'un très bref instant (deux à trois secondes) entrapercevoir une vague forme humaine, peut-être elfique, d'une grande stature et d'une saisissante beauté.


Ils ne purent que croire avoir été victime d'une hallucination ou d'un effet secondaire à l'apparition de la forme humaine du Noir Seigneur tant il était absurde qu'un être de cette prestance apparaisse aussi inopinément, surtout au Mordor, surtout si près de Barad-Dûr. La lumière, enfin, diminua d'intensité et finit brièvement par disparaître. Blunvan en premier porta un regard empli de crainte sur l'être qui se présentait désormais à leurs yeux et ce qu'il vit lui fit mettre à l'instant même ses deux genoux à terre. L'homme, car c'en était bel et bien un, était impressionnant de charisme. Il était grand, fort et majestueux, d'une attitude et d'une contenance royales.

Les deux Numénoréens finalement à genoux, Sauron savoura le silence imposé par sa seule présence. Même les Orques, pourtant loin de là où tous trois se trouvaient, ressentaient que le Maître était en action, plus à proximité que d'habitude. Leur réaction était on-ne-peut-plus partagée : l'intensité du pouvoir alors plus réel plaçait Sauron sur un piédestal plus haut encore et à la fois le Seigneur de Barad-Dûr paraissait plus proche d'eux, plus "abordable". Bien que nul Orque ne se serait aventuré à interpeller le Maître s'il l'avait croisé mais qu'il aurait tôt fait de s'écraser si près du sol que la crasse de son corps aurait été lavé par les cendres...
Blunvan parvint à se ressaisir lorsque Dirk leva enfin les yeux sur Sauron. Tous deux virent alors combien le Métamorphe paraissait satisfait, son regard montrait une volonté sans faille et son sourire une assurance parfaite.

« Messires, relevez-vous. Vous qui venez de l'Île, montrez-moi combien la fierté légendaire de votre race coule dans vos veines. »

L'Île signifiait clairement Nùmenor que Sauron connaissait pour l'avoir déjà parcourue, il y avait fort longtemps. Les deux hommes sentirent leurs jambes agir d'elles-même à mesure que quelques secondes passaient après l'invitation de Sauron. Étrangement et non sans douleurs, elles leur parurent aussi légères qu'encombrantes. Tous deux, donc, se mirent debout qu'ils l'aient voulu ou non. Le Seigneur de Barad-Dûr les regarda longuement, tour à tour, sondant leurs esprits, leurs caractères, leurs pensées. Il afficha un nouveau sourire, empreint d'une certaine provocation, avant de dévoiler enfin ses intentions.

« Je serai aussi franc que bref, Messires. J'ai pris certaines décisions pour la gloire de notre Maître et j'ai besoin d'hommes intelligents pour exécuter ma volonté. Je vous ai choisi pour la valeur de votre peuple qui m'a déjà été maintes fois prouvé. Qui de vous deux saura persuader, tromper, trahir et qui saura diriger et combattre ? »

Deux ordres, deux missions, deux Numénoréens. Blunvan admira la logique implacable de son Maître autant que son sens pratique et son talent d'observation, car nul doute pour lui non plus que seuls les Hommes de Numénor savaient être assez talentueux pour mener à bien tout engagement. Ce dernier, donc, ressentit le besoin irrépressible de devancer Dirk, de "marquer des points" comme un enfant envers son tuteur.

« Seigneur Sauron, s'empressa-t-il de déclarer avec une grande fierté, j'attendais ce moment depuis si longtemps... Je maîtrise de nombreux langages et l'on me connaît pour mes talents oratoires autant que pour le maniement de ma lame. Je saurais manipuler qui vous m'indiquerez... Pour la gloire de notre Maître... »

Sauron feignit un air de surprise puis de satisfaction, il n'était en réalité que parfaitement maître de la situation. Lors du précédent regard porté sur Blunvan, il lui avait insufflé l'idée d'accepter la mission basée sur les supercheries et les mensonges et le besoin de répondre immédiatement à ses paroles. Ce n'était point la première fois qu'Il portait son attention sur les deux Numénoréens, en vérité...

« Vos intentions sont louables, sire Blunvan. Et vous, sire Dirk, saurez-vous mener des troupes d'Orques et de Trolls en mon Nom ? »

Malgré tant de manifestations de puissance et la réputation d'un immense savoir, le Seigneur de Barad-Dûr surprit Blunvan en connaissant leurs deux noms sans qu'aucun d'eux ne le lui ait jamais dit. Basique, certes, et pourtant...

Dès lors que ces deux Numénoréens parlaient, il était d'une facilité enfantine pour le Seigneur de Barad-Dûr de lire dans l'esprit de l'un comme de l'autre. En quelques regards, Il avait cerné leur caractère et décelé les grands évènements de leurs histoires. Blunvan, plus âgé, était aussi rusé que fourbe et savait pertinemment user des mots pour persuader et rallier des personnes à sa cause. Au cours de sa vie, il en avait trahi de nombreuses pour mieux asseoir sa puissance et sa domination. Il s'était profondément enorgueilli de ses talents oratoires mais cela ne lui avait pas encore suffi, aussi avait-il appris à manier avec brio l'épée à une main comme à deux mains. Chose que Dirk serait de toute évidence incapable... Mais Sauron ne doutait pas des capacités d'escrime du second Numénoréen : il percevait en lui l'instinct de meurtre. Cet instinct qu'Il cherchait dans ses capitaines, ses généraux. Shraknag, par ailleurs, remplissait ce rôle à merveille. Rien de comparable à la survie, nul autre que le désir irrépressible de prendre la vie, de l'arracher, de la mettre en pièces. Oui, le handicap de l'homme ne jouerait pas en sa défaveur... En vérité, Sauron avait déjà fait son choix bien avant qu'il ne se présente sous la forme d'une Bête aux alentours de la taverne. Tout allait dans un seul et unique sens : celui qu'Il dictait.

« Bien, et ces seuls mots prononcés par la voix élégante mais puissante du Seigneur Noir firent tressaillir Blunvan, vous m'avez convaincu. Ce que vous vous apprêtez à entendre ne saurait à l'avenir ressortir de vos bouches ou je me chargerai personnellement de les sceller... à jamais. »

Il eut un léger sourire sadique, de ceux qui pouvaient clairement sous-entendre : « Je n'attends que ça. »

« Sire Blunvan, venez. Vous êtes le premier auquel je m'adresserai. Comprenez que je ne me risquerai pas à expliquer à l'autre la mission de l'un, je ne cherche point la concurrence... Du moins pour le moment. Venez, donc. »

La joie du Numénoréen était immense et pour cause il était le premier choisi par Sauron ! Il ne manqua pas de manifester sa fierté à Dirk, lui décrochant un regard on-ne-peut-plus satisfait, quasi-méprisant, tandis qu'il s'éloignait en suivant le Seigneur de Barad-Dûr à une distance respectable... Ce qu'ils se dirent tous deux ne parvint aucunement aux oreilles de Dirk, bien que Blunvan ne s'exprima que bien peu mais admira grandement l'éloquence et la logique de son Maître. Le plan était parfait, la mission trépidante et difficile... La réussir serait non seulement source d'une grande fierté mais signe qu'il pouvait rentrer dans la plus haute estime de Sauron. Dirk, quant à lui, devait certainement ressentir quelque jalousie, voire de la haine envers Blunvan puisque celui-ci paraissait de toute évidence privilégié, tout du moins mieux parti que lui. Que se disaient-ils, tous deux, parlaient-ils de lui ?

De là où il était, le Seigneur de Barad-Dûr ressentait parfaitement le trouble dans l'esprit du Numénoréen. Il en était pleinement satisfait, en vérité, car c'était là ce qu'il cherchait à provoquer. Intimer l'ordre à Dirk de réaliser sa mission à la perfection, de faire mieux que Blunvan, de faire mieux que n'importe qui... L'envie, la jalousie, la haine seraient des moteurs puissants pour pousser Dirk à l'excellence. Peut-être aurait-Il pu leur expliquer tous deux ensemble ce qu'Il attendait d'eux, mais les prendre ainsi à part aiderait à installer ces sentiments négatifs dans chacun d'eux... Car si Blunvan était bel et bien le premier, il n'entendrait tout de même pas les paroles que son Maître échangerait avec Dirk et ressentirait un trouble similaire... Plus puissant encore, peut-être, car Blunvan était de ces êtres de passion qui vivaient pleinement les émotions ressenties. Tout, à nouveau, tout se déroulait tel qu'Il l'avait prévu.

Dirk put finalement contempler l'allure martiale, fière, sournoise de Sauron tandis qu'Il revenait vers lui. Il était seul. Où était Blunvan, que lui était-il arrivé ? Un curieux sourire se dessinait sur les lèvres du Maïa. Il y avait quelque chose d'animal, quelque chose de bestial dans l'impression que Dirk avait alors de ce puissant personnage.

« Sire Dirk... Vous irez rejoindre Sire Blunvan une fois que vous aurez parfaitement compris ce que j'attends de vous. Mes ordres sont fort simples, en réalité. Même un Orque les comprendrait, bien qu'il serait incapable de les exécuter. Notre Maître... Notre Maître a ordonné une vague d'assauts sur les Eldar du Nord Beleriand, sur les Marches de Maedhros en premier lieu. J'exige donc de vous que vous payez le tribut qui Lui revient, celui du sang. Nos forces vont bientôt s'attaquer au Gondor et il aurait été aisé de vous envoyer les aider... J'ai toutefois de plus grands projets en tête. Il existe des terres à l'Ouest du Beleriand qui sont des points stratégiques dans Notre guerre. Tandis qu'au sud, nous marcherons sur Minas Tirith la Cité Blanche, vous attaquerez Minas-Tirith l'Ancienne ! Tol-Sirion, Taur-en-Faroth, Nargothrond ! Le message que nous enverrons aux Eldar comme aux Hommes sera on-ne-peut-plus clair... Et ainsi vous verserez le sang des Elfes, des Nandor, des Noldor sur leurs terres au nom de notre Maître... Car telle est ma volonté. »

Il aurait été impressionnant pour n'importe qui de voir le Seigneur de Barad-Dûr ainsi exalté par les victoires dont il se peignait déjà les tableaux dans son sombre esprit. Sa rage de vaincre, sa fureur était palpable autant que l'était l'unique main du Numénoréen assistant à cela, elle était là, bien présente, toute incarnée dans le corps d'un Homme terriblement effrayant.

« Vous, aux côtés de Blunvan, irez jusqu'au Harad et vous prendrez le premier bateau en direction du Nord. Le voyage sera fort long et possiblement périlleux, il ne tiendra qu'à vous de survivre. Une fois arrivé à destination, vous irez toujours plus au Nord et vous trouverez l'armée qui vous suivra... Je guiderai vos pas jusqu'à eux, vous vous imposerez comme l'un de leurs meneurs et marcherez droit vers l'Ouest... »

Tout était parfaitement préparé... Sauron n'avait qu'une hâte : se rendre lui-même sur les terres des Noldor et constater leur cuisante défaite... Leur porter le coup de grâce, celui dont ils ne se relèveraient pas...

« Des questions, Sire Dirk ? »

[Hrp : Fais simplement attention, on dit "Numénoréen" et pas "Numénorien".]

L'attitude de Dirk était compréhensible, autant que l'était sa question. Sauron remarqua d'ailleurs que le Numénoréen se retenait d'en poser plusieurs, ce qui n'était pas sans lui plaire. Avec une facilité déconcertante, le Seigneur de Barad-Dûr étendait son emprise sur l'esprit malléable de l'homme. Le temps des tergiversations touchait à sa fin et il faudrait passer à l'action aussi rapidement que possible si Dirk voulait réellement plaire à son Maître...

« Il existera autant de meneurs que cela sera nécessaire, Sire Dirk, car je ne puis reposer toute ma confiance sur vous alors même que vous n'avez fait que très partiellement vos preuves. C'est une chance que je vous offre, une prodigieuse et inespérée chance pour un homme n'ayant plus qu'une seule main comme vous d'organiser les assauts de Son armée. Vous savez de qui je veux parler... »

En effet, il était impossible que les forces du Mordor puissent faire route jusqu'au Beleriand, surtout là où Dirk allait devoir les chercher, sans être confrontés à d'innombrables obstacles : les fameux "peuples libres"... Or, le Mordor n'était pas la seule contrée pouvant organiser une armée digne de ce nom capable d'infliger la dévastation la plus totale dans les royaumes elfiques. Oh non, bien au contraire, l'Angband pouvait fournir bien plus de soldats que ne le pouvaient les Terres Noires. Dirk, donc, serait partiellement aux commandes d'une armée sortie tout droit des terres de Morgoth, le Noir Ennemi du Monde. Un privilège, un honneur, un miracle accompli par la seule volonté de Sauron, fidèle Lieutenant du Vala.

« Bien, il suffit. Rejoignez Sire Blunvan, il saura vous guider jusqu'aux Havres d'Umbar sans peine. Ce premier voyage devrait se dérouler sans encombres... Ne me décevez pas. »

La menace était lourde de conséquences, le courroux du Seigneur Noir était légendaire. Pour autant, Il souriait... Oui, il était pleinement satisfait de ce qui se profilait à l'horizon. L'avenir des forces du Noir Vala s'annonçait grandiose, ni plus ni moins. L'homme devant Dirk lui jeta un dernier regard, aussi froid que les hauts monts glacés d'Arda, aussi dur que le mithril le plus pur. Puis Il se retourna et marcha d'un pas léger, assuré, rapide loin du Numénoréen, désormais seul. Une dernière phrase résonna avec gravité dans sa tête, alors même que le Seigneur de Barad-Dûr était déjà éloigné :

« L'échec n'est pas permis. »

Se faisant, une horrible migraine assaillit Dirk. Preuve, s'il en fallait encore une, que Sauron était parfaitement maître de ses pouvoirs et qu'il n'était pas nécessaire qu'il soit proche du Numénoréen pour lui infliger les pires douleurs... La souffrance disparut tout aussi vite qu'elle était venue et Dirk put à loisir se diriger là où ils avaient vu partir Sauron et Blunvan, ce qui s'avérait être le plus logique pour le retrouver. Il trouva en effet ce dernier non loin, attendant de toute évidence avec grande impatience que Dirk apparaisse à ses yeux. Chose faite, Blunvan apparut lui-même comme métamorphosé : son allure était plus droite, incroyablement plus fière et plus forte, son visage en semblait presque rajeuni de quelques années. Il était entièrement revigoré et déterminé à faire finalement ses preuves, malgré son âge déjà avancé...

« Nous partons dès à présent. Hâtes-toi, la volonté du Maître n'attend pas. »

Tout comme il avait adopté le vouvoiement pour démontrer le respect qu'il accordait à Dirk, il s'était remis à le tutoyer pour bien lui signifier qu'il lui était supérieur (que ce soit en âge, en expérience, et surtout parce le Maître l'avait choisi en premier). La collaboration de ces deux-là ne se présentait certes pas sous les meilleurs auspices... Quoiqu'il en soit, des Orques s'étaient affairés à préparer quelques vivres (dignes de l'estomac d'un Homme, fort heureusement) pour le voyage des deux Numénoréens. Le départ était proche, Blunvan ne souhaitant accorder aucun répit inutile à Dirk mais bien au contraire lui imposer son allure et sa méthode.

[Merci pour cete précision ^^]


[suite dans mes voyages]