Appartements de l'ambassadeur

Dolan était assis à la petite table de la chambre, dans les appartements qui avaient été mis à sa disposition. Il était en train de lire et relire le contrat que lui proposait le Seigneur des Ténèbres. Il n’en revenait d’ailleurs toujours pas. Il était venu proposer ses services au Mordor, le siège du mal absolu, et on lui demandait de signer un contrat ! Jamais il n’aurait pensé cela possible. Il en était tellement soufflé que cela le rendait encore plus soupçonneux que d’ordinaire.
Mais il avait beau décortiquer chaque ligne, chaque formule employée dans ce contrat, il ne parvenait pas à y trouver de piège. Rien qui risque de condamner son âme aux tourments des sept enfers après son trépas, aucune clause qui ne menace sa descendance, et en sus, on ne lui demandait pas de signer ledit contrat avec son propre sang, mais avec de l’encre, tout ce qu’il y avait de plus classique. Il en était presque déçu.

Mais d’après ce qu’il avait pu comprendre en surprenant quelques conversations çà et là, le Seigneur Sauron n’était plus le même depuis quelques semaines. Il semblait s’être mis en tête de réformer le Mordor, afin d’en faire un véritable pays, prenant sa juste part d’échanges commerciaux avec ses voisins les plus proches. A la différence près que toutes les richesses produites contribueraient au maximum à l’effort de guerre. Une perspective surprenante, mais qui aurait dû faire froid dans le dos à n’importe quel loyal homme de l’ouest. Mais loyal, Dolan ne l’était plus depuis bien longtemps. L’avait-il jamais été ? La seule réponse honnête était négative, mais à sa manière, Beldorn avait été loyal, lui. Bravement stupide, mais loyal tout de même, pour tout ce que cette qualité lui avait apporté…

Loyauté… il y avait tout un paragraphe là-dessus dans le contrat dont il poursuivait actuellement l’étude approfondie. Et tout un tas de châtiments promis à celui qui ne respecterait pas son engagement vis-à-vis du Mordor. De vaines menaces aux yeux de Dolan. Qui serait assez stupide pour trahir le Mordor et se faire attraper. Non, si jamais il advenait qu’il dû trahir son nouveau maître, il prendrait garde -comme toujours- à ne plus être à portée de représailles quand il le ferait. Mais la question ne se posait de toute façon pas à l’heure actuelle. Et Dolan était un homme du présent. Peu lui importait ce qui allait se passer demain ou après-demain, et il ne tenait absolument pas à se rappeler les évènements qui l’avaient amenés jusqu’ici.

Ici, c’était ces appartements, situés dans la tour de Barad-dùr elle-même, dont la jouissance serait accordée à Dolan, pour peu qu’il appose sa signature au bas du contrat. Et, s’ils étaient plutôt petits, ils n’étaient pas dénués de confort.
Passé un petit hall, il y avait à main droite un salon d’accueil et un peu plus loin une salle de travail comportant un grand bureau en bois massif, et à main gauche une chambre à coucher. L’ameublement était sommaire, mais très confortable. Le lit surtout était moelleux à souhait et Dolan avait adoré s’y affaler dès que le garde qui lui avait conduit à sa nouvelle demeure s’était éclipsé. Les soieries colorées de rouge et de jaune était probablement originaires du Harad et le matelas était rembourré de plumes plus douces que celles des oies du Gondor. Un petit coin pour la toilette avait même été aménagé. Dolan pu s’attarder pour contempler son reflet dans un miroir, ce qui lui fila le bourdon en repensant au beau jeune homme qu’il avait un jour été.
Le même genre de soieries était présentes dans le salon. Sur un épais tapis, trônait une large table basse. Dolan regrettait en revanche l’absence de véritable fauteuil, devant se contenter de simples coussins. Le genre de coussins dans lesquels il était très agréable de s’asseoir, mais demandant une motivation extrême pour s’en relever.
Seule la vue de sa fenêtre laissait vraiment à désirer. En effet, la cours intérieur de la citadelle était toujours occupée par des orcs tous plus sales et puants les uns que les autres.

Dolan n’était pas certain d’être capable de s’habituer à la puanteur que ces êtres dégageaient. Il se rappela avoir déjà eu du mal à supporter la compagnie des nains quand il y avait jadis été forcé. Mais l’exhalaison nauséabonde en provenance des orcs, mélange de cadavre en décomposition et de crasse, était autrement pire que l’odeur des nains qui ressemblait plus à un dessous d’aisselle qui n’avait pas connu le contact de l’eau depuis trop longtemps. De plus, leur seul aspect heurtait l’idée qu’il se faisait de la beauté. Malgré toutes ses expériences, Dolan restait un homme qui aimait les bonnes et belles choses. Et les orcs n’appartenaient ni à l’une, ni à l’autre des catégories.

En dehors de cela, il ne vivrait pas plus mal qu’ailleurs ici. La nourriture était comestible et même parfois délicieuse et il n’en attendait pas autant d’un endroit tel que celui-là. D’ailleurs, le service d’une nourriture humaine était nommément spécifié dans son contrat, au même titre que la jouissance de ces appartements lorsqu’il n’était pas en mission. Non, décidément, après bien des relectures, Dolan ne trouvait rien à redire à ce contrat. Il se saisit donc de la plume reposant sur son portoir et la plongea délicatement dans l’encrier. Après avoir doucement tapoté le stylet sur le rebord du bocal pour en évacuer le surplus d’encre, il s’appliqua à dessiner sa plus belle signature au bas du parchemin. L’encre était d’un noir profond presque aussi satisfaisant que le rouge sang auquel il s’était attendu en premier lieu. Dolan sourit après avoir accompli cet ultime acte de trahison envers l’empire d’Ouistrenesse et regarda par la fenêtre. Il grimaça. Avec cette couverture nuageuse ininterrompue, il était quasiment impossible de savoir à quel moment de la journée on se trouvait. Cependant, il avait le sentiment que le rendez-vous que lui avait fixé Sauron approchait. Le Seigneur Noir attendait bien sûr qu’il lui ramène son contrat dûment signé, mais il lui avait également dit qu’il tenait à lui présenter une personne d’importance. La rencontre promettait d’être intéressante.