Destin de Snardat

Mordor

Deux ans que j’ai été prêté le serment d’obéissance à Sauron. Je n’ai encore tué Rien, ni Personne…

Que peut bien foutre un soldat Orque de ses journées quand il n’est pas en train de mettre le feu à la moitié de la Terre du Milieu et qu’il est confiné au Mordor ? Vous seriez surpris ! Mes journées, les journées de ma Compagnie, de ses différentes sections, sont particulièrement bien chargées, et j’ai déjà eu mon lot de "mises en situation réelles" ! Dans les collines et les montagnes de ce pays maudit, ça grouille de repaires de racailles récalcitrantes et anarchistes à mettre au pas, de tanières de Ghûls à purger, de trolls sauvages et d’autres saletés qui seraient bien mieux dressées et dociles à notre service... Des prédateurs rôdent dans les ombres du Mordor, des créatures qui vous rendent fou rien qu’au moment où vous posez les yeux sur elles et prenez conscience de l’existence de pareilles monstruosités, et qui n’hésitent pas à faire des groupes d’Orques isolés leurs repas. Elle est belle, la faune du Mordor ! Sans parler de tous ces esclaves qui n’acceptent pas leur sort et qui parviennent parfois à fuir, ou à se rebeller… Oh, et paraît-il qu'une bande de Nains et d'Hommes se serait introduite dans le pays pour y foutre le boxon, un peu comme ce qu'on fait chez eux en fait... Quand la milice est débordée, ce qui est à peu près toujours le cas car les miliciens ne sont qu’un ramassis de minables à qui on a mis une pique et un gourdin dans les mains et qui sont tout juste bons à tourmenter gratuitement des esclaves dociles, c’est à Nous, l’Armée, de venir faire leur boulot et nettoyer leurs erreurs… Les dissensions entre militaires et miliciens sont extrêmes et il n’est pas rare que des manœuvres communes se soldent par des foutages de gueules entre troupes…
Manie agaçante de nos Maîtres par-dessus celà, plutôt que de traiter la Légion comme l’entité qu’elle est, on préfère nous traiter comme un puzzle de bataillons, de compagnies et de sections qu’on peut démanteler à loisir. Je n’ai pratiquement jamais vu la Légion partir unie dans une expédition. On préfère disperser nos compagnies dans différentes missions aux quatre coins du pays, aux côtés de compagnies d’autres légions, d’autres meutes… Encore une source de bagarres !
Ce qui est très drôle dans ces situations, c’est que les gars du Bras Disciplinaire, qui sont censés être là pour dissuader ou réprimer de telles mutineries, sont souvent les premiers en fait à casser des gueules et à déclencher les bagarres…
Et ce qui est drôle dans ces missions de routine aussi, c’est quand une expédition à priori banale tourne à ce qu’on appelle dans la langue commune, le "WTF"… Par exemple, on nous charge un jour "d'escorter un convoi alimentaire"... Notre pitite section de bleus menée par le Vieux Yetch et quelques vétérans marche tranquille en bavardant, le Vieux essayant en vain d'imposer discipline et silence dans les rangs, quand huit putains de trolls déboulent sur notre flanc ! Ah, l'heure de faire prévaloir la Discipline Militaire de la Légion est enfin venue, toutes ces années passées à s'entraîner à chaque situation de combat... Nan, j'déconne ! Tous les gars, même les vétérans et les gros Commissaires Uruks du Bras Disciplinaire qui nous encadrent, détalent comme des lapins en sauve-qui-peut !
Un jour au contraire, la Compagnie est réquisitionnée pour "écraser" une "Insurrection" d’esclaves dans Gorgoroth. On passe la journée à sillonner le plateau en force, à jouer les rabatteurs aux côtés d’autres compagnies et de cohortes de miliciens, cognant belliqueusement en rythme de nos armes sur nos boucliers, avant de finalement tomber sur "l’Insurrection" : quatre pauvres gosses humains terrorisés qui n’ont fui leur usine que pour se coincer le pied dans des ronces au milieu de nulle part… Hé, mieux vaut ça que le contraire pas vrai ?


Sinon, quand il n’est pas en expédition, l’Orque de la dix-huitième Légion s’entraîne. S’entraîne ! Manœuvre et s’entraîne ! Le fait d’avoir été officialisé soldat n’a pas rendu moins vaches nos sergents quand ils encadrent ma troupe à l’entraînement. J’ai parfois l’impression que rien n’a changé, que je suis toujours une recrue en formation… Sauf qu’au lieu de croupir dans la bétaillère, je croupis maintenant dans les couloirs de l’antre. A l’instar du Vieux Yetch, je m’octroie parfois le droit de sortir de l’antre si je trouve que j’y manque d’air, et je pars faire de longues marches nocturnes en solitaire. Parfois, je pousse jusqu’à me faufiler comme un criminel hors d’Udûn. Oh mais, dans l’ensemble, on s’y plaît bien dans l’antre ! On est entre nous, tranquilles. Jusqu’à ce qu’on nous siffle pour nous remettre en Service, on peut enfin se relâcher et arrêter de jouer les créatures maléfiques "Nées pour Tuer"…