Chroniques d'Arda
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Ainsi s'en va la gloire du monde 232342Grandebannire



 
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 Ainsi s'en va la gloire du monde

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Morrigane Agarwen
Reine du Rhûn

Morrigane Agarwen
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MessageSujet: Ainsi s'en va la gloire du monde   Ainsi s'en va la gloire du monde EmptyLun 23 Nov 2015 - 1:03

C’était étrange, quand on y songeait.

Le flot de la mer battait le rivage. Une vague, une autre, un mouvement comme une valse, une hypnose, qui délavait peu à peu les pas sur le sable. Quelqu’un était passé, là, quelques heures auparavant, et tout au bord de l’eau sombre, là où l’écume s’amoncelait en clapotant sur les galets, on voyait encore ses empreintes qui disparaissaient peu à peu, effacées par la patience de l’onde qui, lentement, obstinément, rendait au néant cette trace déjà à peine visible.

Quelque chose se tenait là. Un observateur attentif aurait distingué une silhouette humaine dans ce qui ne semblait être qu’un panache de fumée immobile dans les horizons vagues d’un matin brumeux. Le flot mat et métallique de la mer de Rhûn reflétait un ciel tuméfié, chargé de nuées lourdes comme des paquets de neige sale gonflée d’une encre bleu et grise qui se diluait en lavis moroses. Il pleuvait au loin sur les collines, et le vent portait des odeurs de vase, de sel et de terre mouillée. Sans doute faisait-il froid, mais pour celle qui veillait sur le rivage, rien de cela n’était perceptible. Avec la vision propre aux fantômes, elle regardait les empreintes s’effacer peu à peu dans le sable, et laissait le passé et le présent se mêler, et les souvenirs devenir plus tangibles, plus douloureux, aussi. L’univers semblait se résumer à cela : des traces, brèves, éphémères, que les éléments rendaient peu à peu à l’intangible, à l’informulé. Ainsi était toute chose.

Il y avait eu du soleil, longtemps auparavant, sur cette grève aujourd’hui déserte. Des rires. Quelques moutons qui venaient brouter les algues rejetées par le courant, et les herbes salées qui poussaient au bord des rochers. Il y avait eu des oiseaux, des chansons de bergers, des sons de clochettes et des courses d’enfant.

C’était étrange, oui. Ce pays, elle n’y était plus jamais revenue, après cela. Il gardait encore sa beauté, âpre, sauvage, si douce à l’âme, même dans la tristesse désolée d’un jour gris. Les souvenirs revenaient toujours adoucir la morsure de ces visions cruelles du temps qui était passé. Il n’y avait plus personne. Les bergers, les enfants, les rires, tout s’en était allé. Peut-être les siens s’étaient-ils attardés encore sur les terres de leurs ancêtres, mais la vieille reine n’était jamais allée vers eux. C’était terminé, tout cela, et plus rien ne pouvait combler le gouffre qu’une vie loin d’eux avait creusé.

Celle qui avait vécu là n’était plus, depuis bien longtemps. Comme beaucoup de choses, en vérité.

Un souffle de vent s’enroula comme un écheveau, dessina une éphémère sculpture de sable sur la dune. Le regard s’y porta, et puis se perdit dans l’horizon noyé de brume. Elle savait. Pourtant, elle n’osait encore s’y avancer. La peur, sans doute, peur autant de ce qui s’y trouvait, que de ce qu’elle pouvait ressentir. La mort n’atténue en rien le fardeau des vieilles colères et des remords plus grands encore...

Car c’était là, sur la rive de cette mer qui l’avait vue naître, dans ce pays chéri entre tous, qu’ils l’avaient enterré. Ils avaient fait un tombeau de pierre, gravé des mots, des paroles d’avertissement pour le Maudit qui avait été roi. Ils avaient caché cela. Ils avaient fait en sorte que nul ne sache, pas même ceux du culte de celui qui avait été Dieu, où se trouvait cette ultime demeure, ce scellé de marbre noir. Ils avaient tout fait pour en effacer la mémoire, mais à ceux qui ne vivent plus et ont l’oreille tendue aux quatre vents, rien ne peut rester dissimulé bien longtemps...

Alors, c’était sur les rives de cette mer que s’amassaient tous les regrets, et c’était là que Morrigane était allée, parce que l’on finit toujours par revenir à ses origines, à un moment ou à un autre. Souvent, il est trop tard.

Et trop tard, il l’était, c’était certain, pour ce dernier pèlerinage. Sa silhouette translucide comme une écharpe de brume s’était glissée entre les rets cruels de la bise d’automne, et elle était allée comme on se rend à l’échafaud, vers ces sombres rochers qui déchiraient le ventre d’un ciel qui gonflait ses nuées comme les vagues d’une mer en furie. La montagne s’élevait au loin, ses contreforts plongeaient dans les flots, s’abîmaient dans la grisaille et l’écume qui se brisait avec fracas sur des récifs acérés. C’était lugubre, mais Morrigane voyait au-delà : elle voyait encore la montagne au printemps, et ses mousses émeraude, et ses bruyères en fleur, comme les vestiges d’un autre monde qui transparaissaient sous la surface des choses. Peut-être verrait-elle autre chose, en arrivant au sépulcre, autre chose que celui dont on avait maudit le nom et souillé la mémoire.

C’est un spectre un rien plus tangible que le sifflement des rafales qui se tient sur le seuil obscur, et leva des yeux indistincts vers l’inscription qui marquait l’entrée. Mille fois maudit ? La bouche s’ouvrit dans un rire qui ne fut qu’un écho furtif dans le vacarme des flots et de la bise marine. Mille fois maudit, Dieux que le destin peut être cruel quand mille bouches ont chanté les louanges de ce nom ! Une main blanche se posa sur la roche, glissa, regrettant peut-être de ne plus sentir la substance des choses, de ne pouvoir, par un geste, par une marque infime, apporter son hommage au roi défunt. La silhouette de l’ancienne reine prit un peu plus de couleurs, sembla peu à peu plus réelle, et dessina des contours plus nets alors qu’elle regardait le gouffre, et que le gouffre lui rendait son regard.

Et puis, elle se détourna pour s’enfuir, glissant sans bruit, ultime vestige. On distinguait d’elle des flaques de couleur, comme des lavis jetés sur le décor : le rouge de la chevelure, le noir d’une mante lourde qui retombait sur ses pieds nus, l’ivoire du visage, du col, des mains. Ses paupières sans substance s’étaient closes de ne pouvoir pleurer, mais après tout : c’était là le lot des morts, il était toujours trop tard, pour toutes choses. Trop tard pour le rire, les larmes, l’amertume et les chagrins, et seule demeurait la tristesse insondable qui ne tarit point.

— Tu n’as jamais su, je crois, toutes les choses qui sont mortes avec toi.

La voix résonna, s’élança vers le vide. Il n’y avait plus personne pour l’écouter, mais sans doute que certaines choses devaient être dites, coûte que coûte. Tout doucement, à peine plus qu’un murmure rauque dans le vent, un chant s’éleva. L’air en était ancien, vieux comme les pierres, comme les anciens sanctuaires des esprits qui dorment sous les étoiles, loin dans les collines de l’Est. C’était cette voix, c’était ce chant qui l’avait attirée à elle, cette nuit-là sur les remparts de Krell-Kain, des années auparavant. Il avait loué sa maîtrise de l’antique langue du Rhûn, et peut-être avait-elle ri, alors, peut-être bien, tout était soudain si flou...

Parce qu’il n’y avait plus rien à faire, parce qu’il n’y avait plus rien à espérer, c’est au seuil d’un tombeau sans nom que Morrigane fit de nouveau résonner cette mélodie passée, comme si le miracle eût pu se reproduire, comme si cela eût pu convoquer, ne serait-ce que l’espace d’un instant, ce qu’il restait du roi qu’elle avait tant aimé.
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