A l'instant où j'ouvrai les yeux, le chant du coq résonna dans la lande. La senteur de la rosée dans les collines effleura mes narines et je me levai aussitôt. Je tremblais d'impatience à l'idée qu'enfin mon rêve prendrait forme dès ce jour, sous la férule de maîtres artisans que j'avais fait venir de tout le continent. Mes plans n'étaient qu'une ébauche de la forteresse qui s'élèverait un jour en ces lieux. Quatre tourelles de guet garniraient une muraille assez large pour accueillir un champ de ronde et l'intérieur de la construction se composerait d'un bâtiment bas surplombé d'une tour imposante. Un couloir transversal permettrait de rejoindre chaque partie de la forteresse. Garni de grilles d'acier, ce corridor pourrait également servir à contenir des envahisseurs, qui se retrouveraient enfermés entre deux portions de métal. La eau brûlante pourrait être versée de chaque côté du boyau de pierre, ce qui causerait à coup sûr des dégâts considérable si l'envie en prenait à quiconque de nous assaillir. Sous l'œil exercé d'un architecte de renom, ma composition s'était enrichie de nombre de détails et d'annotations diverses tracées de main de maître. J'admirais l'aisance de l'homme et la fermeté avec laquelle sa plume glissait sur le papier. J'avais appris beaucoup de cette collaboration et ma détermination s'en était trouvée accrue.
Dès les premières lueurs de l'aube, les ouvriers se mirent au travail sous les ordres de contremaîtres et de maçons, tatouant nos terres de motifs géométriques qui constitueraient bientôt les fondements de plus grand projet architectural du pays. J'avais choisi des pierres aux teintes claires, une palette de blancs et d'ivoires dont le premier arrivage tranchait d'ores et déjà sur le vert sombre de l'herbe de Dun. Négociée avec le roi Kili lors de notre entrevue, cette première cargaison de roche veinée de noir constituait la première partie de l'accord que nous avions conclus. Ses pierres contre nos céréales, notre pain et nos viandes. Mon scribe personnel achevait pour l'heure d'enluminer le texte, après l'avoir soigneusement recopié des jours durant. Il affectionnait les lettrines compliquées et colorées là où je griffonnais plus volontiers quelques mots à la hâte dans mon carnet de notes. Je comprenais la nécessité de noter nombre de choses dans les archives, mais même la plus gourde des paysannes aurait aisément compris les termes du contrat qui nous liait aux nains…
L'économie de Dun était de plus en plus florissante en ces jours, aussi avais-je soumis ce projet à mes conseillers les plus proches avant d'enfin entreprendre les premières esquisses. Pour un projet d'une telle envergure, j'avais rapidement troqué mon fusain pour une plume de qualité, plus précise, dont l'encre s'était tout d'abord rebellée contre ma main malhabile. Je m'étais finalement accoutumé à l'exercice. Autodidacte, j'avais travaillé les échelles et les perspectives avec le plus grand soin avant d'envisager de proposer mon travail à un spécialiste. Celui-ci m'avait apporté quelques idées nouvelles et quelques conseils que j'avais appliqué à la lettre. Il m'avait ensuite rejoint après moult échanges épistolaires, un recueil de nos différentes propositions sous le bras. Une semaine seulement après son arrivée, voilà que le chantier débutait. Une émotion farouche s'empara de moi lorsqu'enfin la première pierre fut coulée dans les fondations.
Mon royaume, enfin, commençait vraiment.
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