Murmures dans les ombres (PV Tehani)

La nuit glissait délicatement son voile d'ombres piqueté d'étoiles sur Krell-Kain et j'observai ce spectacle depuis le balcon de mes appartements, drapée dans une robe de velours couleurs d'incendie, dont la coupe particulièrement ajustée faisait ressortir ma poitrine. J'avais assisté au cours de l'après midi à un combat de chiens particulièrement satisfaisant : mon petit chouchou du moment avait si bien déchiqueté son adversaire que nul n'avait osé s'interposer avant qu'il en eût terminé. L'amas de chair sanguinolent qui frémissait encore lorsque je l'avais rappelé m'avait procuré l'un de ces frissons de satisfaction que l'on a en assistant à la création d'une oeuvre de maître et j'avais félicité mon champion d'un repas royal au chenil.

Une fois de retour, je m'étais consciencieusement lavée avant de revêtir une tenue plus agréable pour mon projet nocturne : j'avais prévu de rencontrer ma plus fidèle complice sur mon balcon, dans la fraîcheur de la nuit. Le type de conversations que je souhaitais avoir cette nuit là n'était guère adaptée à toutes les oreilles, c'est pourquoi j'avais choisi cet emplacement. Sous le balcon se trouvait attaché à un piquet un de mes anciens champions et j'étais certaine que le moindre bruit engendrerait des aboiements féroces, ce qui me garantissait une discrétion presque totale. J'attendais donc ma chef des renseignements secrets dans le silence, le regard porté sur le ciel.

Dans les couloirs du palais, tout était calme, bien plus calme qu'en journée. Le silence tentait d'envahir les lieux, mais s'en trouvait déchiré par le bruit cadencé des bottines de Tehani qui claquaient sur le sol en pierre et résonnaient le long des murs et des colonnes. En tant qu'espionne, la brune savait se montrer discrète lorsqu'elle le souhaitait, mais parfois elle aimait montrer de la nonchalance et au contraire assumer pleinement que ses déplacements soient bruyants. Après tout, quelqu'un qui se meus dans l'ombre et sans un bruit est bien plus suspect que quelqu'un que l'on peut entendre à l'autre bout du palais... Et puis, son statut officiel lui assurait une certaine sérénité vis à vis des autres personnes vivant a krell-kain.

Les flammes des vasques, qui éclairaient les couloirs, dansaient et virevoltaient en faisant parfois briller la couleur pourpre du petit haut cintré que portait la brune ténébreuse. Elle écarta du revers de sa main droite un épais rideau qui dissimulait une petite pièce qui contenait une petite porte. De la poche de son pantalon de cuir noir, tehani sortit une petite clef qu'elle introduisit dans la serrure avant de discrètement se faufiler derrière et ensuite de la refermer. Cette porte donnait sur un autre couloir du palais qui distribuait certains quartiers personnels et notamment ceux d'Assiah avec qui la bramane avait rendez-vous.

Après avoir jetté un coup d’œil rapide autour d'elle, à la recherche d'éventuels observateurs indiscrets, Tehani pénétra dans les quartiers et se dirigea vers le balcon, lieu du fameux rendez-vous. Assiah y était présente.

" Bonsoir Assiah, tu désirais me parler ? "

Mon expression se teinta d'un doux sourire à la vie de ma plus fidèle alliée, Tehani. Je n'étais pas assez stupide pour avoir une confiance aveugle en quiconque, pas dans le contexte politique dans lequel j'évoluais chaque jour. Une personne, pourtant, pouvait se vanter d'être à la fois ma plus proche conseillère d'un côté, et une amie de l'autre. Je n'avais guère beaucoup d'amis, pour être tout à fait franche, mais Tehani s'était montrée digne de mon attention et de mon affection. J'étais convaincue qu'une traîtrise de sa part était impossible et j'avais la conviction qu'elle serait à mes côtés en toute occasion, aussi sûrement que le soleil se lèverait demain matin.

" Bonsoir Assiah, tu désirais me parler ?
- Ah, Tehani. Bonsoir, ma chère, cela me fait plaisir de te voir en si bonne forme."

Je l'accueillis d'une brève accolade, avant de lui désigner un sofa de fer forgé qui n'attendait que nous. J'y pris place avec ma grâce habituelle, sans même y penser, avant d'aborder le sujet qui me tenait à cœur :

"Une nouvelle des plus intéressantes m'est parvenue. A savoir qu'un mal inconnu ronge en ce moment même les fleuves du Gondor et de ses alliés. Cela m'intéresse, car on dit qu'il s'agit d'une malédiction capable d'éliminer des peuplades entières et comme tu le sais, je n'accordes que peu de crédit à ces histoires de bonnes femmes. Je m'intéresse à la nature de ce mal. En as-tu eu vent ? "

Je n'en doutais guère, Tehani étant généralement mieux informée que moi même sur bien des points. Non pas qu'elle me dissimulât quoi que ce soit car elle prenait toujours soin de me faire parvenir les informations importantes. Cela venait d'avantage du fait que je m'intéressais fort peu aux affaires étrangères en général et que je lui faisais toute confiance pour m'avertir si je devais fixer mon attention ailleurs qu'au Rhun. Elle ne pouvait deviner l'idée insensée qui avait germé dans mon esprit à l'entente de la nouvelle de la déchéance de nos anciens ennemis.

"Penses-tu que tu seras capable de me procurer de l'eau maudite ? J'ai quelques projets qui, peut être... Pourraient nous servir."

J'achevai cette phrase en la regardant droit dans les yeux, un sourire carnassier au coin des lèvres. Elle n'ignorait rien de mes projets d'être un jour impératrice du Rhùn en mon nom propre et je voyais dans cette affaire une possibilité d'y parvenir de façon tout à fait insoupçonnable. Il n'était guère question de discuter ici des modalités de ce projet, mais plutôt de sa faisabilité. Nul ne pouvait déterminer avec certitude une date de retour de l'empereur, ni même s'il reviendrait un jour. Pourtant, le spectre de sa main planait toujours sur le palais et je cherchais désespérément un moyen de l'exorciser.

Je n’étais pas aussi proche d’Assiah que je ne l’étais de mes quatre complices avec qui j’avais vécu tant de choses. Néanmoins elle était forgée du même moule que nous autre, à savoir qu’elle était aussi une femme qu’on destinait à une vie de servitude et d’obéissance et qui parvenait petit à petit à se hisser là où elle le désirait. Une femme forte de caractère et d’esprit à n’en point douter.
Elle prit la parole en évoquant les maux qui touchaient les fleuves des royaumes voisins et immédiatement je me souvins qu’Aniesha m’avait parlé de ça quelques jours plus tôt.Je n’avais guère accordé d’importance à cette information qui n’était à l’époque qu’une rumeur naissante.

“ Oui, Aniesha en avait entendu parler de la bouche de plusieurs marchands et autre voyageurs “

Répondis-je quelque peu frustrée de ne pas avoir d’avantage exploité cette information. Habituée à être sur la défensive et surtout focalisée sur les affaires internes du Rhûn, il m’arrivait parfois d’en oublier tout de même de considérer les vagues informations que l’on pouvait apprendre sur nos voisins.

Assiah me demanda alors si je pourrais me procurer de cette eau qui pourrait s’avérer utile à nos projets. Son regard croisa le mien et un léger sourire apparut sur ses lèvres. Rare sont les personnes capable de soutenir bien longtemps mes yeux sombres et mon regard profond… Ainsi lui confirmais-je :

“ Je connais quelques mercenaires de confiance pour qui ce serait un plaisir que de s’y atteler en échange de quelques pièces… Je m’en occupe “

Soudain, une idée émergea dans mon esprit concernant cette eau maudite et la manière de l’utiliser. Il était évident que le sourire d’Assiah trahissait son envie de s’en servir pour atteindre krell d’une certaine manière, mais peut-être que l’on pouvait faire d’une pierre deux coups. Un léger sourire en coin apparut alors sur mes lèvres tandis que mon regard restait planté dans celui de mon amie et alliée.

“ J’ignore quel sont tes projets précis pour exploiter cette eau maudite, mais je crois qu’elle pourrait nous être forte utile pour totalement retourner le peuple contre Tu-sais-qui…"

Un frisson parcouru ma peau, celui de l'excitation que me procurait mon esprit lorsqu’il concoctait un plan sournois et maléfique pour arriver à mes fins. Mon discret sourire en coin se transforma en sourire plus enthousiaste que je tentais de contenir en me mordillant la lèvre inférieur, comme pour ne pas dévoiler immédiatement tout mon plan à Assiah… J’aimais donner un certain côté théâtral au moment où je m'apprêtais à de dévoiler mes plans.

Tehani confirma la rumeur et je sentis un petit frisson jubilatoire parcourir ma peau. Si ce que j'avais entendu était vrai, alors il n'y avait aucun doute que nous pourrions l'utiliser à notre avantage. Je croisai mes longues jambes au galbe parfait, sans quitter mon interlocutrice du regard un seul instant.

“ Oui, Aniesha en avait entendu parler de la bouche de plusieurs marchands et autre voyageurs “

Plusieurs sources justifiait bien souvent une rumeur, qui n'était rien de plus si elle n'emanait que d'une personne seule. Bien que je sois conscience que Tehani se concentrait surtout sur notre contrée, la certitude qu'elle avait des oreilles partout avait quelque chose de rassurant. J'avais la délicieuse sensation d'être une marionnettiste étirant ses fils sur tout l'empire et manœuvrant toute chose depuis mon trône.

“ Je connais quelques mercenaires de confiance pour qui ce serait un plaisir que de s’y atteler en échange de quelques pièces… Je m’en occupe “

Mon sourire s'élargit et mon regard se prit à scintiller de plaisir. Quelle qu'en soit la nature, la joie reste de la joie et j'étais assez facile à contenter pour peu que l'on aborde des sujets qui me tenaient à cœur. J'avais plusieurs projets et il faudrait que j'étudie soigneusement chacun d'eux avant de décider lequel mettre en œuvre.

“ J’ignore quel sont tes projets précis pour exploiter cette eau maudite, mais je crois qu’elle pourrait nous être forte utile pour totalement retourner le peuple contre Tu-sais-qui…"

Mes lèvres s'entrouvrirent à peine, dans un très léger rictus. Si j'avais une telle confiance dans son jugement, c'était en partie pour ses précieux conseils. Je n'étais pas certaine que j'aurais réussi à asseoir aussi facilement mon pouvoir sur le pays si elle n'avait été à mes côtés durant ces dernières années. Nous avions toutes deux un certain sens du spectacle aussi lui concédai je un petit plaisir somme toute innocent : d'un geste théâtral, je l'encourageai à poursuivre tout en ronronnant à son attention :

"J'ai grand hâte d'entendre ce qui vient de t'effleurer, mon amie."

Suite à quoi, je lui ferais certainement part de mes propres projets. Elle avait un jugement assez sur et les lèvres assez scellées pour que je ne trouve que des avantages à partager mes plans avec elle. Elle y apportait parfois des petits bonus appréciables et il était toujours bien plus efficace de travailler sur un projet à deux que seule...

Pour moi, il était évident que l’éviction de krell ne passerait que par la volonté du peuple de le déstituer. L’autoproclamé Dieu-Roi était déjà passé par la mort avant de revenir pour prendre à nouveau le trône du Rhûn. Ainsi j’imaginais qu’il serait vain de simplement le tuer et qu’une accession d’Assiah au pouvoir ne passerait que par un bon vieux putsch, facilité qui plus est par l’absence du souverain concerné.

Mes yeux petillèrent à l’idée d’exposer mon plan à Assiah qui semblait curieuse de connaître les moindre détail de cette idée tout juste ficelée par mon esprit calculateur. Comme souvent, je prit la parole en joignant de petits mouvements des mains, comme pour mieux illustrer chacun de mes propos.

“ Admettons que les sources et les cours d’eau autour de Krell-kain deviennent soudainement aussi dangereux que du poison. Si l’on Imagine que Nayelhi ait prêché à de fidèles et influentes personnes, mais aussi publiquement, et ce pendant les jours et les semaines précédent la catastrophe, que les dieux allaient punir le Rhûn et son usurpateur de Dieu-roi… Cela pourrait faire d’une pierre deux magnifiques coups ! “
dis-je avec un visage illuminé par cette idée. Trop excitée pour tenir en place sur ce banc, je ne pus me retenir de me lever et me tenir debout sur le balcon face à mon interlocutrice. Un sourire maléfique au coin des lèvres, je repris
“ Cela permettrait de faire véritablement germer l’idée d’un rejet du Dieu-Roi par qui le malheur est apparu, mais cela serait aussi une formidable occasion de donner à Nayelhi une notoriété conséquente auprès du peuple : Celle qui avait prédit la malédiction des eaux ! “ avais-je alors conclu en levant les mains telle une prêtresse rendant grâce à sa divinité.
“ Tout le monde croira ce qu’elle pourra prédire par la suite, et cela représentera un formidable outil de manipulation de l’opinion publique “.

Mon plan était désormais exposé. Reprenant mon souffle comme après un effort physique, je m'appuyai contre la rambarde du balcon, y posant également mes mains. L’idée d’utiliser Nayelhi pour convaincre certaines personnes influentes que krell attirait le mauvais oeil, me trottait depuis longtemps dans la tête, mais si l’on pouvait associer ses prophéties à quelque chose de concret et de maléfique, alors ce serait bien plus efficace.

“ Qu’en penses-tu ? Est ce compatible avec tes propres desseins ?”.

Je m'amusai intérieurement des gesticulations de Tehani. C'était si drôle de la voir ainsi faire des gestes désordonnés tandis qu'elle parlait ! Je me gardai bien de le lui dire, mon visage ne trahissant en rien le divertissement qu'elle m'offrait, mais seulement une profonde concentration. On ne survit pas longtemps dans un harem si l'on n'est pas capable de garder ses sentiments et ses pensées pour soi, je m'étais donc constitué un masque de cour, comme j'aimais à l'appeler, qui se situait entre la parfaite neutralité et l'expression agréable et plaisante de la parfaite hôtesse. J'aurais probablement pu regarder la ville entière mise à feu et à sang avec cette expression là, aussi ne risquais-je pas de dévoiler mes secrets de sitôt.

“ Admettons que les sources et les cours d’eau autour de Krell-kain deviennent soudainement aussi dangereux que du poison. Si l’on Imagine que Nayelhi ait prêché à de fidèles et influentes personnes, mais aussi publiquement, et ce pendant les jours et les semaines précédent la catastrophe, que les dieux allaient punir le Rhûn et son usurpateur de Dieu-roi… Cela pourrait faire d’une pierre deux magnifiques coups ! “

C'était brillant, il fallait le reconnaître. J'avais envisagé une méthode plus expéditive, mais il était judicieux de penser que Krell reviendrait probablement, même desséché comme un pruneau abandonné dans le désert. Il revenait toujours, si bien que cela n'en était même plus impressionnant. Cela ne soulevait plus que de vagues remous dans le peuples et quelques "encore ?" désappointés. On eût été bien plus surpris de l'apprendre définitivement mort que ressuscité par on ne sait quel moyen mystique. C'était une chose que je haïssais chez lui : on ne pouvait guère s'en débarrasser proprement et simplement en lui envoyant un assassin. C'était la raison pour laquelle l'eau m'avait d'abord séduite : une malédiction, ça n'épargne personne, pas même les prétendus dieux. Vivre à ses côtés durant des années m'avait convaincue qu'il n'était rien de plus qu'un homme soutenu par des forces obscures et non un véritable dieu. Dans le cas contraire, notre pays rayonnerait bien plus, illuminant nos voisins de notre gloire tant et si bien qu'ils souhaiteraient nous rejoindre. Ce qui n'était manifestement pas le cas.

“ Cela permettrait de faire véritablement germer l’idée d’un rejet du Dieu-Roi par qui le malheur est apparu, mais cela serait aussi une formidable occasion de donner à Nayelhi une notoriété conséquente auprès du peuple : Celle qui avait prédit la malédiction des eaux ! “

Sa gestuelle correspondait si bien à l'attitude de certaines femmes adoratrices de Krell que cela me donna un frisson : l'idée était non seulement bien ficelée, mais surtout tout à fait réalisable.

“ Tout le monde croira ce qu’elle pourra prédire par la suite, et cela représentera un formidable outil de manipulation de l’opinion publique “.

C'était le moins qu'on puisse dire. Être capable de voir l'avenir, voilà un talent qui dorerait notre image à un tel point que nul n'oserait douter de notre légitimité lorsque je prendrais le pouvoir. Une clairvoyante qui aurait prévu de tels événements aurait alors parole d'évangile et son soutien me permettrait sans nul doute d'asseoir mon pouvoir sans la moindre difficulté.

“ Qu’en penses-tu ? Est ce compatible avec tes propres desseins ?”.

Je me laissai aller en arrière dans le sofa, dans une position bien plus détendue, le bras nonchalamment posé sur le dossier dans une attitude lascive qui était devenue une seconde nature pour moi. Un sourire calculateur flottait sur mes lèvres et je répondis simplement :

"C'est même mieux que ce que j'avais imaginé. J'admire réellement ton esprit machiavélique."

C'était vrai, et un peu de flatterie -surtout justifiée- ne faisait jamais de mal à personne.

"Je trouve ce plan terriblement bien pensé et je ne peux qu'agréer. Cela nous permettrait comme tu le dis de le discréditer en toute discrétion. Si je me débrouille bien pour essayer d'enrayer le problème moi même, peut être en partant chercher d'où cela provient moi même... Alors, non seulement nous l'aurons mis sur la sellette, mais cela nous donne également la possibilité de me mettre en avant et de justifier ma légitimité au trône."

Je me levai à mon tour et fis quelque pas en direction de la rambarde, inspirant à pleins poumons l'air nocturne qui sentait à présent la chlorophylle. La nuit apportait sa fraîcheur aux jardins et ceux ci respiraient enfin, quelques papillons de nuit voletant à proximité des lanternes que j'avais fait disposer là. Restait à savoir d'où provenait ce mal et s'il nous serait possible de le reproduire ici.

"Il nous faudrait un espion sur place. Quelqu'un qui tendrait l'oreille pour découvrir davantage de détails sur ce mal. Comment est-il venu ? Comment se répand-t-il ? Il y a fort à penser que lorsqu'ils auront réglé le problème -et nul doute qu'ils y parviendront, connaissant leur renommée- les figures régnantes de l'ouest ne tarderont pas à faire part à leurs population des détails, afin de s'auréoler de gloire. Avec un peu de chance, nous pourrons alors faire en sorte que tout cela se produise ici et alors..."

Je saisis vivement une phalène dans ma main gauche et l'écrasai sur la rambarde, que j'essuyai ensuite d'un geste nonchalant.

"Tout ceci sera à nous."

J'englobai le paysage d'un large geste de la main, le regard brillant par anticipation. J'aurais pu dire que tout serait à moi, mais j'avais bien conscience que si ce plan réussissait, je le devrais à Tehani et à son réseau. Evincer ainsi mon principal soutien de cette victoire qui nous appartiendrait à toute serait bien stupide, d'autant que je m'étais promis depuis longtemps que si j'accédais au pouvoir, je la gratifierais d'un poste plus avantageux et du titre ronflant qu'elle méritait.

J’étais ravie de constater que mon plan plaisait à Assiah. Cette dernière eut même une idée pour l’exploiter de manière à faire également grimper sa cote de popularité auprès du peuple. Ca n’était pas que j’étais hostile à une prise de pouvoir par la violence et le sang versé, mais face à quelqu’un comme krell, mieux valait avoir l’appui du peuple et des personnes influentes avant de faire danser les lames.
Je voyais déjà Nayelhi faire ses impressionnantes démonstrations au cours desquelles son jeu théâtral s’exprimerait pleinement pour un effet des plus convaincants. Alors bien sûr que des gens souffriraient, que des vies seraient perdues ou bouleversée par ce fléau que nous aurions volontairement instauré. Mais c’était le prix à payer pour renverser le pouvoir en place, qui d’ailleurs n’épargnait, lui aussi, guère la population.

Assiah voulait également un espion sur place pour avoir toutes les informations nécessaires quant à ce phénomène étrange qui touchait les peuples voisin à l’ouest. Ce ne serait pas compliqué de trouver un mercenaire, mais pour une mission d’espionnage, il me faudrait quelqu’un de confiance, de familier avec ces endroits et qui saurait tenir sa langue…

“ Je trouverais bien quelqu’un pour obtenir ses renseignements, Anthéa connais quelques femmes venu du Rohan et ayant été enlevées par les armées de krell à l’époque. Elles seraient ravi d’échanger leur liberté contre un petit service, et le mercenaire serait là pour recueillir les informations et s’assurer que tout sera fait… Biensûr, je m’assurerais ensuite qu’il tiendra sa langue une fois revenu... “ dis-je alors en mimant discrètement un geste d’égorgement accompagné d’un sourire malfaisant.

Mais bien vite, mon expression changea car je regardai avec répulsion ma complice qui écrasait un papillon de nuit de la main, et ne pus retenir une grimace de dégoût. Je détestais la plupart des insectes, les papillons en particulier, et de nuit plus encore. Assiah regardait l’horizon et semblait déjà rêver d’être celle qui gouvernerait cet empire. De mon côté, c’était moins l’ambition personnelle que l’envie de changement qui me motivait. En finir avec le patriarcat et rendre aux femmes ce qui leur est dû : un statut au moins égal aux hommes.

" D'un côté j'ai hâte que ce jour arrive et que tu prennes le titre impérial. D'un autre, les petites discussions et manigances dans le feutré pour arriver à nos fins me manqueront...mais je me rassure en me disant qu'il y aura fort à faire pour déjouer les complots nous visant." dis je alors en souriant de mon humour volontairement sombre et fataliste. C'était un peu ma manière de témoigner mon soutien et ma fidélité à Assiah.

" D'ailleurs, je me verrais bien être une diplomate… encore que je devrais d'ici là maîtriser mon côté impulsif, ce qui est loin d'être gagné… "

“ Je trouverais bien quelqu’un pour obtenir ses renseignements, Anthéa connais quelques femmes venu du Rohan et ayant été enlevées par les armées de krell à l’époque. Elles seraient ravi d’échanger leur liberté contre un petit service, et le mercenaire serait là pour recueillir les informations et s’assurer que tout sera fait… Biensûr, je m’assurerais ensuite qu’il tiendra sa langue une fois revenu... “ dit-elle en accompagnant ses paroles d'un geste plus que suggestif.

Je lui répondis d'un sourire, ayant toute confiance en ses capacités en la matière. Nous nous entraidions depuis quelques temps déjà et mon accession au poste de régente n'avait fait que couronner des années de manigances secrètes. J'étais consciente que je devais en partie ma place à son réseau privilégié et j'étais certaine qu'elle mènerait cette mission à bien.

" D'un côté j'ai hâte que ce jour arrive et que tu prennes le titre impérial. D'un autre, les petites discussions et manigances dans le feutré pour arriver à nos fins me manqueront...mais je me rassure en me disant qu'il y aura fort à faire pour déjouer les complots nous visant." ce trait d'humour me tira un petit rire : nous étions conscientes toutes deux que mon accession au trône n'irait pas sans complications...

Et encore moins sans attentats contre ma personne. Le statut pseudo divin de Krell nous avait maintenus dans une espèce de sécurité illusoire au palais, mais si nous parvenions à lui dérober le pouvoir... Alors, dans ce cas, rien ne s'opposerait plus à d'éventuels agresseurs désireux de gagner du pouvoir. Contrairement à nous, certains n'auraient pas la moindre hésitation à utiliser la force. Je m'étais d'ailleurs entourée d'autres alliés que Tehani, afin de parer à cette éventualité. La menace armée faisait généralement son petit effet. Je m'étais d'ores et déjà entourée de goûteurs et la présence de mes molosses dans le jardin coupait court à toute envie de venir me visiter par la fenêtre. Mon expérience au harem m'avait appris une chose : nul ne survit en s'élevant sans poigne. Par conséquent je tenais mon entourage d'une main de fer et j'aimais à penser que j'étais juste et impitoyable.

" D'ailleurs, je me verrais bien être une diplomate… encore que je devrais d'ici là maîtriser mon côté impulsif, ce qui est loin d'être gagné… "

Un très large sourire se dessina sur mon visage à ces mots. J'y avais déjà pensé, bien sûr, mais je n'étais pas sûre que la diplomatie soit réellement son fort pour l'heure... Comme toute science -car s'en était une, sans le moindre doute- cela s'apprenait pourtant et j'avais d'ailleurs quelques projets à ce sujet.

"Comme il est heureux que tu mentionnes cette possibilité ! Figures toi que justement, j'ai acheté ce matin une esclave dont les talents en la matière pourraient s'avérer utiles. Je ne l'ai affectée nulle part pour l'instant, car je voulais avoir ton avis. C'est une femme issue de la noblesse de l'ouistreness. Une partisane de leur ancienne impératrice, Thaïs, qui a pris la fuite lorsque l'Empereur Aragorn a repris les rênes de son stupide empire. Cette femme est bien frêle mais j'ai cru remarquer chez elle un désir de ... De revanche, dirons nous. En tant que proche d'une impératrice sous le règne de laquelle l'Empire rayonnait, j'ai pensé qu'elle pourrait s'avérer utile. Notamment sur le plan diplomatique."

Je n'ajoutai rien, mais n'en pensais pas moins : le plus grand défaut de notre empire à l'heure actuelle, c'était l'absence quasi totale de relations diplomatiques avec nos voisins pour commencer, mais tout simplement avec le monde extérieur. Nous avions besoin de contacts et de relations politiques avec le reste du monde afin de nous imposer en tant que puissance avec laquelle composer. Je ne m'imaginais guère dominer ces terres comme le faisait Krell, par le sang et les armes, le tout saupoudré d'une folie religieuse palpable. Une nation saine et forte ne pouvait naître dans de telles conditions et la décadence que nous avions subie depuis la dernière disparition de l'empereur en était la preuve. Non. Nous devions nous tailler une place dans le cœur de nos gens ainsi que dans l'échiquier politique global. Il n'y avait guère d'autre solution pour rassembler autant de pouvoir qu'il nous serait possible.

"Je l'ai envoyée aux quartiers des domestiques pour l'instant, sous bonne garde. Elle m'a l'air du genre à épicer les plats afin de s'enfuir, si tu suis ma pensée."

Avec de la ciguë ou quelque chose de moins courant. Sans le moindre doute : on ne survit pas aux côtés d'une impératrice sanguinaire en brodant des mouchoirs et en chantant des berceuses au pied de son lit. J'en savais quelque chose. Par conséquent, elle devait probablement disposer d'un talent quelconque, à plus forte raison si elle avait préféré fuir la famille royale plutôt que d'être prise vivante.

"Je compte sur toi pour essayer de la... Convaincre de son intérêt."

A savoir : nous soutenir bien tranquillement dans l'espoir d'avoir, un beau jour, l'occasion de se venger. C'était aussi simple que cela et nombre des esclaves que j'achetais restaient ensuite à mes côtés non par obligation ou par peur, mais pour servir leurs propres intérêts. Quelques unes des femmes vaquant à diverses occupations aux quatre coins de la cité étaient ainsi affranchies et à mon service officieux. La plupart sous le contrôle de Tehani, mais certaines uniquement à mon service. Leurs attributions étaient diverses, allant du repérage de molosses de combat à la recherche d'esclaves pouvant intégrer mes rangs, en passant par l'achat de matériaux que j'affectionnais ou même la surveillance des rues. Des femmes en écrasante majorité : je n'avais guère confiance dans la gent masculine que je préférais utiliser à son insu plutôt que de la traiter en égale.

Étant moi-même une ancienne esclave, et donc une ancienne victime de ce système dégradant de vente d'êtres humains, je ressentais toujours un petit pincement au cœur lorsque l'on évoquait l'achat d'un esclave. Concernant Assiah, j'avais au moins la certitude qu'il s'agissait d'un mal pour un bien. Certes cela contribuait au fonctionnement du marché d'esclaves, mais dans le but de leur offrir autre chose qu'une vie de labeur ingrate et de servitude auprès de gros porcs écervelés. Ainsi ils pouvaient se rendre utiles pour Assiah qui ne se privait pas pour exploiter leur instinct de vengeance pour parvenir à ses fins. C'était finalement du gagnant gagnant...

Visiblement, la dernière esclave que la régente avait acquise serait donc sous ma responsabilité. Il me faudrait la convaincre de son intérêt à agir pour nous tout en la jugeant avec attention, essayant d'évaluer le risque de trahison qu'elle pouvait projeter contre celle qui lui offrait une nouvelle alternative de vie. Pour cela, mes talents d'oratrice et mon regard persuasif seraient mes meilleures armes. Et je ne doutais pas de ma capacité à enrôler cette personne.

" Je saurais calmer ses ardeurs. C'est le genre de personne que la peur ne convaincra jamais aussi bien que de lui offrir la possibilité d'avoir son destin entre ses mains. Le tout en pointant du doigt ses ennemis politique à cause de qui elle se retrouve ici loin de chez elle et le tour est joué. "

Sure de moi, un sourire au lèvres et adossée à la rembarde j'ajoute sans sourciller

" C'est comme si c'était fait "

Soudain un hurlement vint déchirer le silence qui nous entourait. Les aboiements d'un chiens à proximité qui signalait à sa maitresse la présence d'un intrus dans les environs. Etait-on entrain d'être observés ? Etait-ce un simple serviteur ? Aucune idée, mais il fallait agir et vite. Mes yeux tentaient de distinguer la silhouette de ce qui pouvait faire japper ce molosse, tandis que je me penchais en avant sur le balcon comme pour observer l'horizon de plus près. Instinctivement, ma main droite se saisit d'une petite lame dissimulée a l'intérieur de ma ceinture. Mon pouls s'accélérerait et mon instinct de guerrière se réveillait dans la noirceur de la nuit, j'étais prête à agir au moindre mouvement suspect...

La réponse de Tehani était en tout point semblable à ce que j'avais espéré. J'avais moi même prévu d'utiliser le même stratagème pour rallier cette femme à notre cause et il me satisfaisait grandement que nous ayons pensé la même chose.

" Je saurais calmer ses ardeurs. C'est le genre de personne que la peur ne convaincra jamais aussi bien que de lui offrir la possibilité d'avoir son destin entre ses mains. Le tout en pointant du doigt ses ennemis politique à cause de qui elle se retrouve ici loin de chez elle et le tour est joué. "

Je me contentai de hocher la tête d'un air satisfait, bien consciente de l'avantage que pourrait nous apporter la présence parmi nous d'une ancienne proche de la famille impériale, même déchue. Elle devait certainement connaître les lieux mieux que personne, ainsi que les noms de ceux qui seraient prêts à se retourner contre l'empire d'Ouistreness si le besoin s'en faisait sentir un jour. Un atout dans notre manche, qui agirait exactement comme nous l'espérons puisque cela suivrait son propre intérêt. Bien souvent, la vengeance est un guide des plus hasardeux et ceux qui en sont avides se laissent facilement embarquer dans les projets les plus fous.  

" C'est comme si c'était fait "

Je m'apprêtais à exprimer ma conviction qu'elle réussirait sans peine lorsque des aboiements nous avertirent de la présence d'un intrus. Je distinguai sans peine d'où cela venait, étant capable de distinguer aisément les tonalités de la plupart de mes molosses.

"Dans le patio, sur la droite." commentai-je alors avant d'introduire mes doigts entre mes lèvres de façon à produire un sifflement strident.

Dès leur plus jeune âge, mes chiens étaient dressés à la guerre et ce son n'était ni plus ni moins qu'un ordre d'immobiliser l'ennemi. Il ne fallut qu'une poignée de secondes pour qu'un cri, humain cette fois, ne retentisse dans la nuit. Celui qui passerait la surveillance des chiens mériterait certainement sa victoire, car ces derniers étaient suffisamment bien entraînés pour éviter nombre de manipulations communes. J'en avais perdu quelques uns en leur apprenant à ne pas manger ailleurs que dans leur écuelle, mais cet apprentissage avait jusqu'alors bien servi car nombreux étaient ceux qui tentaient de ce débarrasser de mes animaux en leur offrant de la viande empoisonnée. J'ignorais si c'était le cas de cet individu ci, mais bien rares étaient ceux qui ignoraient la présence des molosses autour du palais. Par conséquent, soit c'était un ignare qui avec mérité son sort, soit il s'agissait d'une personne qui avait tenté d'amadouer le chien d'une façon ou d'une autre. Restait encore la possibilité qu'un serviteur se soit égaré par ici, mais cela me semblait peu probable : mes gens connaissaient à peu près l'emplacement de veille des chiens et ne s'y risquaient pas.

D'un pas royal, théâtral presque, je me dirigeai vers ma porte afin de constater par moi même de quoi il retournait. Une agitation soudaine au rez de chaussée indiqua que la garde du palais avait également entendu l'aboiement et avait réagi immédiatement. Un bon point pour le capitaine chargé de la surveillance des lieux : s'il avait eu le malheur d'arriver après moi sur les lieux, sa tête aurait probablement quitté ses épaules dans l'instant. De fait, il était là, le fameux capitaine des gardes. Un homme de valeur, strict mais juste. Ses subordonnés le respectaient et obéissaient aveuglément à ses ordres, ce qui me satisfaisait au plus haut point. Lorsque je pénétrai dans la patio dans toute ma splendeur, mes jupes de mousseline rouge froufroutant sur mon passage, les gardes se mirent au garde à vous, tandis que j'examinais d'un œil critique notre indiscret du jour.

Je ne connaissais pas son nom, mais son visage me disait quelque chose. Je l'avais déjà vu plusieurs fois en ville et après réflexion, le fait qu'il ait eu tendance à toujours se trouver à proximité de moi ces derniers jours aurait dû me mettre la puce à l'oreille. J'avais été négligente.

"Je l'ai déjà vu plusieurs fois cette semaine. Je suppose que sa présence implique qu'il me suit."

Qu'allais-je faire de cet individu ? L'interroger allait de soi, mais... Ensuite ? Sa jambe douloureusement amochée par mon molosse saignait abondamment sur le sol et cela me fit grimacer :

"Sortez moi ça dehors, il abîme le palais."

Je marquai une légère pause, histoire de me donner un effet dramatique, et surtout de bien intégrer dans l'esprit de l'indiscret qu'il était dans une très très mauvaise posture, puis ajoutai :

"Mieux, dans les geôles. Je vais m'occuper de son cas. Personnellement."

Un sourire s'étira au coin de mes lèvres, dévoilant une dentition blanche et parfaite, soulignée par une expression carnassière. Je me penchai pour caresser mon chien, lui susurrant des mots doux et lui promettant une récompense digne de lui. Je m'adressai alors à l'un des gardes :

"Allez en cuisine et trouvez lui un jarret de bœuf, si possible avec une belle quantité de viande dessus. Ce bon garçon le mérite."

Je me tournai alors vers Tehani, curieuse de voir ce qu'elle pensait de tout cela et surtout, de savoir si elle serait tentée de m'accompagner pour cet interlude récréatif dans les geôles.

Tout en suivant Assiah dans les méandres du palais, je me questionnais sur la cible de cet éventuel espion. Cela devait forcément concerner assiah car j’avais été très vigilante avant de la rejoindre dans ses quartiers, et cet endroit n’était pas spécialement un lieu de rendez-vous habituel pour nos discrètes entrevues. Peu importait que la personne fusse un serviteur égaré ou un espion, il devrait s’expliquer et ses chances de survie après sa capture seraient sans doute proches du néant. Mieux valait se montrer prudent en de telles circonstances : quelqu’un nous avait vu, et peut-être même entendu, c’était largement suffisant pour ne pas prendre le risque de le lui laisser une chance d’ébruiter nos rencontres nocturnes…

La garde ne tarda pas à appréhender l’homme qui gisait sur le sol, souffrant terriblement de la morsure que lui avait infligé le chien de garde. Assiah demanda à ce qu’il soit envoyé aux geôles pour sans doute l’y interroger. Et avant que la garde ne s'exécute, je m’approchai de l’espion en demandant au garde de le bâillonner. Il ne s’agissait pas qu’il puisse répéter à la garde, supposée fidèle à Krell, l’objet de nos discussion qu’il avait éventuellement pu entendre. Une fois fait, mon regard se planta dans le sien comme pour mieux l'impressionner. J’étais en position de force et j’avais le contrôle de la situation face à un potentiel ennemi, peu de choses étaient plus satisfaisante que cette sensation là. Je me penchai pour lui dire à l’oreille sur un ton mielleux :

“ J'espère pour toi, que tu es prêt à vendre père et mère pour sauver ta peau et que tu aura la langue bien pendue pour tout nous raconter…”

Puis, montrant assiah d’un signe de tête je repris

“ Sa beauté n’a d’égal que sa cruauté face aux ennemis du palais. Mais réjouis toi, cette morsure à la jambe ne sera bientôt qu’un agréable souvenir…”

Sur ses derniers mots, je fis signe aux garde d’appliquer l’ordre donné par Assiah. L’homme était maintenant conditionné pour la suite, dans sa tête devaient se bousculer tout un tas d’images sombres et douloureuses qui le pousseraient peut-être à tout nous raconter bien sagement. Dans le cas contraire, l'homme regretterais certainement son silence…

Je rejoignis alors Assiah avec une expression assez neutre sur le visage. D'un côté satisfaite d'avoir pu appréhender un éventuel espion, de l'autre préoccupée par l'éventuel commanditaire de cette surveillance qu'il faudrait rapidement neutraliser si l'homme se trouvait être loquace face à la torture.

" Puis-je me joindre à toi pour l'interrogatoire ? Nous ne serons pas trop de deux s'il s'agit d'un espion qui encaisse vraiment bien la douleur…"

J'appréciais grandement le savoir faire de Tehani en matière d'intimidation. Elle ne manquait certes pas de ressources et c'était toujours particulièrement satisfaisant de la regarder "travailler". Nous jouions sur des tableaux différents et pourtant j'avais systématiquement la sensation de sentir en elle le même type de plaisir inavouable, la même impression de puissance que celle qui m'habitait lorsque je me livrais à mes petits jeux. Tandis qu'elle murmurait à l'oreille de notre petit indiscret, je discernai la chair de poule qui se mit à parcourir la peau désormais blafarde de l'individu. Je ne parvins pas à saisir sa première phrase mais me rengorgeai en entendant la suite :

“ Sa beauté n’a d’égal que sa cruauté face aux ennemis du palais. Mais réjouis toi, cette morsure à la jambe ne sera bientôt qu’un agréable souvenir…”

Un délicieux sourire flottait toujours sur mes lèvres, à mi chemin entre l'invitation et la menace. J'avais toujours été très douée pour maîtriser l'alchimie parfaite de ces sens : la volupté et la peur se trouvent bien souvent si proches l'une de l'autre qu'il suffit de moduler la voix pour basculer de Charybde en Scylla. Dans un cas comme dans l'autre, une fois pris dans mes griffes bien rares étaient ceux qui parvenaient à en réchapper.

" Puis-je me joindre à toi pour l'interrogatoire ? Nous ne serons pas trop de deux s'il s'agit d'un espion qui encaisse vraiment bien la douleur…"

La proposition me ravit à tel point que j'en laissai échapper un petit rire de gorge chaud et plein de promesses.

"Oh, mais avec grand plaisir. Plus on est de fous, plus on rit !"

Je m'étais exclamée ceci sur un ton aussi jovial que le rire qui avait précédé, puis fis signe aux gardes d'emmener l'homme, prenant leur suite d'un pas léger. J'ajoutai alors d'une voix bien plus froide, nette et coupante tel un rasoir :

"Ou plus on crie, selon les cas."

Le trajet ne dura guère plus de quelques minutes, mais cela se passa dans un silence presque mortel... Si ce n'est que je chantonnais gaiement au rythme de mes pas sur les pavés. Je savais d'expérience qu'il n'y a rien de plus effrayant que d'être torturé par une personne qui prend manifestement grand plaisir à le faire, et la perspective de briser la volonté de notre homme avant même de l'avoir touché -bien que fort décevante d'un point de vue récréatif- nous ferait gagner du temps si nous devions intervenir pour faire avorter un quelconque projet contre nous. L'individu aurait aussi bien pu être là pour m'espionner en m'imaginant dans le rôle de la petite femme parfaite de l'empereur, mais cela il était impossible de le savoir avant d'avoir... Soigneusement épluché la question. Au sens propre du terme, quoi que je doutais que cela ne donne lieu à aucune opération de nettoyage. Une fois dans les geôles, je demandai à faire enchaîner l'individu au mur, sur des chaînes d'acier disposées là spécialement à cet effet.

"On ne l'installe pas sur la table, Ma Dame ?" demanda humblement l'un des gardes avec perplexité.

Il était après tout bien connu au palais que j'appréciais les méthodes les plus délicates, les plus précises, qui conduisaient bien souvent à attacher le condamné sur une table disposée un peu plus loin.

"Non, aujourd'hui je suis d'humeur au splendide, à l'excès. Ca a un effet bien plus saisissant quand ça gicle qu'au goutte à goutte, vous comprenez ?"

Quelqu'un déglutit bruyamment mais je ne parvins pas à déterminer s'il s'agissait de l'espion ou de l'un des gardes. Une fois mon ordre exécuté, je congédiai les hommes d'armes qui s'empressèrent de quitter les lieux, à un pas si vif que l'on aurait pu croire qu'ils avaient la mort aux trousses. Je m'adressai ensuite à Tehani :

"Souhaites tu commencer ou préfères tu me laisser l'honneur de tailler dans le vif du sujet ?"

Décidément, j'étais fort friande de jeux de mots ce soir. Celui là me plaisait particulièrement et je me demandai un instant s'il ne faudrait pas le faire graver quelque part. Sur le manche d'une dague, pourquoi pas. Ou sur l'un des murs de cette pièce. Cela aurait sans doute été du plus bel effet, si j'avais eu la certitude que mes petits visiteurs étaient capables de lire...

Contrairement à ce qu'on aurait pu attendre d'une salle comme celle ci, une propreté méticuleuse régnait en maîtresse absolue, depuis les instruments soigneusement disposés sur une desserte jusqu'aux sols récurés en profondeur. J'avais d'ailleurs manœuvré de façon à faire circuler un bruit à ce sujet : si la salle de torture était si propre, c'était pour la simple et bonne raison qu'une fois passés entre mes mains, ceux qui y entraient disparaissaient entièrement, jusqu'à la moindre preuve de leur existence. J'avais d'ailleurs souligné ce fait par l'arrestation et la disparition pure et simple des familles de deux individus qui avaient été interrogés ici. La rumeur s'était répandue telle une traînée de poudre et le nombre d'espions et d'attentats au palais avait considérablement diminué. La venue de celui ci me surprenait un peu, à dire vrai, car il s'était fait intercepter bien trop facilement.

Comme toute bramane et presque comme toute personne de pouvoir au Rhûn, je me devais de renvoyer l'image d'une personne dure, impitoyable et dangereuse. Bien souvent, il s'agissait d'un moyen de défense idéal pour survivre au milieux des complots et des assassinats de couloirs. Ainsi, j'avoue que la vue du sang et de la souffrance humaine ne me procurait pas de satisfaction particulière, exception faite de mes ennemis bien évidemment.

La torture physique n'était pas vraiment mon domaine de prédilection. J'étais trop impulsive et imprévisible avec une lame en main… La moindre contrariété pouvait me pousser à porter le coup fatal sur une simple colère, ou pire me pousser à réduire le torturé en un tas de viande en lambeau, découpé dans tous les sens, sur un gros accès de colère…
Bizarrement, ce manque de contrôle et cette impatience se maintenaient assez endormi lorsqu'il s'agissait de mettre en pratique une torture plus psychologique. Profiter du travail du bourreau pour insuffler la peur et le tourment dans l'esprit du supplicié était l'un de mes domaines de prédilection.

Ainsi, lorsqu'Assiah me demanda si je souhaitai commencer, je lui répondis :

" Non… commences je t'en prie… Avec mon manque de délicatesse, j'ai peur de trop vite l'abîmer si la folie et l'inconscience le poussaient à ne pas tout nous dire…

Je marchai en tournant autour du prisonnier tel un prédateur devant sa proie. Le bruit de mes bottines claquant le sol avec un rythme angoissant dans ce silence nocturne.

" Mais si la technique classique ne fonctionne pas je saurais me montrer à la fois utile et inventive en prenant le relais… En attendant, il est tout à toi"

Dis-je en regagnant ma place contre le mur, laissant le champs libre à Assiah...pour le plus grand malheur de l'homme qui ne tarderai pas à regretter de s'être fait repérer par le chien de garde…

J'esquissai un sourire avant de hocher la tête avec enthousiasme. C'était ce que j'avais espéré, pour être tout à fait honnête. Rien au monde ne pouvait me satisfaire davantage qu'une petite sauterie improvisée.

"C'est avec plaisir. Regarde donc ce que j'ai commandé récemment. Celui-ci arrive à point pour que je puisse l'essayer."

Je sortis de mon assortiment d'outils de torture une sorte de rasoir doré, gravé d'arabesques splendides et agrémenté de pierres précieuses. La lame était si tranchante qu'on m'avait assuré que j'aurais pu couper des tranches de courant d'air si je le manipulais dans le vent. Mes ambitions étaient bien moins extravagantes et je décidai de mettre en oeuvre ce que j'avais souhaité en faire au moment de sa conception.

"C'est joli, n'est-ce pas ? J'ai l'intention de l'éplucher."

La perspective me tira un léger rire et j'ajoutai d'un ton particulièrement froid et implacable :

"Ou de le peler, selon le fruit auquel on pourrait le comparer. A ton avis, à l'intérieur, c'est plutôt une pomme ou bien une orange ?"

Je jouais à présent avec le rasoir, le faisant danser entre mes doigts habiles. Je n'en avais pas l'air, mais j'avais une maîtrise remarquable de mes mains : on m'avait souvent dit que j'aurais été une merveilleuse chirurgienne, capable de retirer les chairs pourries au millimètre près. Pourtant, cette perspective m'emplissait bien moins le cœur de joie que celle d'exercer librement mon art sur des toiles vivantes. Ma victime du moment me regardait avec incrédulité, doutant peut être que j'étais capable de mettre mes menaces à exécution.

Il ne fallut guère plus de quelques secondes pour le détromper et rapidement, des hurlements résonnèrent dans cette partie du palais.

"L'acoustique est réellement fabuleuse ici, ne trouves tu pas ? " demandais-je à Tehani en déposant un large lambeau de chair sur la table la plus proche.

Puis j'ajoutai pour moi même :

"Cet objet tient réellement ses promesses. Quelle précision, quelle netteté dans la coupe. Il faudra que j'en commande un deuxième, juste au cas où."

Puis, j'approchai à nouveau mon arme de l'homme qui roulait à présent des yeux fous dans ses orbites.

J’avais regardé ce nouvel outil avec attention. En effet, la conception était originale et je savais que je ne tarderai pas à avoir une démonstration de son utilisation. C’est toujours fascinant de voir à quel point on peut se montrer toujours plus inventif pour créer des armes et autres objets de torture. Cela laisse libre cours aux esprits les plus extravagants ainsi qu’aux plus inventifs.

“ L’idée de l’économe humain ne manque pas d’originalité ! “ répondis-je simplement à Assiah.

Je la laissait savourer ce moment de mise en bouche durant lequel le supplicié pouvait prendre toute la mesure de la gravité de la situation dans laquelle il se trouvait désormais : à la mercie de cette redoutable brune qui semblait prendre un certain plaisir à lui retirer des lambeaux de peau. Après qu'elle eu fini sa première découpe, satisfaite de son nouvel instrument, je lui répondis :
" Il ne faudra pas oublier de traiter cette chair à vif… Je propose d'asperger avec du jus de citron, ça aide à la cicatrisation…" dis je un sourire aux lèvres, consciente que ma proposition n'était sans doute pas tombée dans l'oreille d'une sourde.

Avant qu'assiah ne reprenne de plus belle, je pris la peine de m'adresser au prisonnier pour le questionner. Après tout c'était le but premier de cette petite séance d'epluchage humain...

" Bien, ça c'était gratuit, l'avant goût de ce qui peut t'attendre si tu ne réponds pas à mes questions… Alors je vais utiliser des mots simples : Quel était le but de ta mission ici et Qui t'envoie ? Si tu ne réponds pas d'ici dix secondes et avec précision, je crains que tu te trouves allégé de quelques morceaux supplémentaires… "