Du Rohan à Dun

[Rohan => Dun => 3 cases / à pieds => 9 jours]

La route était tout de même assez dure, lorsqu’on n’avait pas l’habitude d’autant marcher, sur d’aussi longues distances. Lorsque la caravane était arrivée au Rohan, et à la première petite cité où elle devait faire halte, Nadalian avait terminé ses préparatifs pour la prochaine étape de son voyage. Préparer un sac avec des provisions pour le trajet, une gourde d’eau, qu’elle pouvait remplir en cours de chemin régulièrement, des chaussures plus confortables pour la marche, et une petite capeline contre la pluie, au cas où. Elle avait aussi pu serrer une couverture au fond mais comptait surtout sur les feux de camps, la nuit tombée, pour se réchauffer et se protéger des animaux. Le doyen de la caravane lui avait offert une carte de la région et avait passé une bonne heure avec elle à lui détailler les routes les plus sûres à emprunter et l’abreuver littéralement de conseils. Même si ces routes restaient assez fréquentées malgré tout et qu’il n’y avait pas de grosses tensions entre Dun et le Rohan, il n’avait pas l’air ravi de voir partir une femme toute seule dans ce voyage.

Elle n’avait pas été rassurée non plus. C’était la première fois qu’elle se lançait dans ce genre d’affaires… Le premier jour, pourtant, c’était plutôt bien passé. Les premières routes restaient fréquentées, plutôt bien surveillées également. La première nuit, seule, elle avait pas mal angoissé… Avec son petit feu de camp, en pleine nature, le malaise et la peur étaient montés en flèche. Toutes les heures, elle se réveillait avec un petit sursaut, pour écouter les bruits autour d’elle et alimenter un peu le feu de camp. Par chance, il ne faisait pas un froid glacial. Peu à peu, elle avançait, suivant à la lettre l’itinéraire préparé avec le vieux marchand, comme ses conseils. Ne jamais s’écarter hors des sentiers battus, faire attention aux groupes qu’elle sentait louche, ne surtout jamais partir toute seule dans les bois, faire des petites pauses régulières, boire beaucoup d’eau, se couvrir la tête avec un petit foulard quand le soleil était trop fort, essayer de se rapprocher des caravanes en bivouac si elle en croisait, pour la nuit, avant de repartir.

Au bout de trois jours de voyage, elle était déjà beaucoup fatiguée. Au quatrième, tout son corps commence à crier grâce. Elle passa une journée toute entière à marcher quasiment comme une grand-mère, avant qu’enfin, elle ne s’habitue un peu et surtout, se détende. Qu’elle trouve enfin un rythme lui convenant. Tout le long de son parcours, ses pensées dérivaient d’un sujet à l’autre sans réelle continuité, elle se perdait dedans sans y prendre garde. Souvent, elle repensait à ses parents, se demandait ce qu’ils faisaient à cette heure, s’ils avaient essayé de la retrouver ou s’ils avaient déjà fait une croix sur elle. Si son père avait comprit pourquoi elle s’était sauvée ou non, aussi… Et s’il n’avait pas compris, alors que c’était une évidence, ce qu’il pouvait bien penser. Sans doute était-il furieux, lui qui aimait tant tout contrôler. Nadalian ne regrettait pas sa décision pour autant. Rester à Linhir, épouser l’homme qu’on avait choisi pour elle, puis passer sa vie comme simple petite femme au foyer, une jolie décoration au bras d’un homme qui ne l’aurait pas épousé par amour mais pour être l’héritier de la fortune de son père… Non…

Plus d’une semaine était passée, quand elle parvint non loin des frontières, information confirmée par un marchand de passage. Il ne devait pas être bien loin de midi, d’après la position du soleil, et il faisait déjà chaud. Pour le moment, en revanche, elle ne croisait pas beaucoup de personnes, mis à part deux ou trois marchands. Parfois, au loin, elle apercevait quelques fermes et des hameaux, des bergers et leurs troupeaux, sans aller vers eux. Son but était de rejoindre la capitale, pour savoir comment se rendre utile et où pouvoir travailler, s’ils recherchaient effectivement des médecins. Et prendre un peu de repos, aussi, au moins quelques heures, après ces longs jours de marche. Elle stoppa de nouveau quelques instants, pour remplir la gourde à un petit ruisseau, et se remit en route. Elle devait tout juste avoir dépassé les frontières du pays quand un petit bruit de cavalcade retentit dans son dos, au loin, avant de se rapprocher. Quelques gardes, chargés de la surveillance des frontières sans doute, à cheval. Le premier avait l’air un peu surpris, quand il stoppa à sa hauteur.

– Madame, salutations. Vous seriez-vous perdue ?

Nadalian commença à se demander si elle avait une allure si bizarre que ça, tout en donnant son nom, puis en répondant qu’elle était venue à Dun après avoir appris qu’ils avaient besoin d’un peu plus de médecins. Qu’elle cherchait du travail, finalement, dans une région où ce sera véritablement utile. Enfin, elle ajouta pour les détendre qu’elle était partie du Gondor, passée brièvement au Rohan, avant de venir ici. Ils ne la mettaient quand même pas très à l’aise, hauts comme ça et armés sur leurs chevaux, même si aucun d’entre eux n’avait une posture très agressive. Il fallait dire aussi qu’elle ne savait pas se battre et que le couteau qu’elle portait servait avant tout à ramasser des plantes et préparer des lapins pour un feu de camp qu’à se battre contre qui que ce soit.

– Si vous pouviez simplement m’indiquer d’où vient la demande, plus précisément, que je sache où aller…

Car marcher, d’accord, mais tourner en rond dans tout le pays une semaine de plus en essayant de savoir où exactement ils avaient besoin de plus de soignants, pitié, non ! Elle avait de nouveau mal aux jambes à cette simple idée. Et puisque ces hommes avaient l’air conciliants, autant leur demander ça. De toute façon, ils n’avaient pas de raison de se méfier, normalement, ce n’est pas comme si une femme isolée, non armée, et haute comme trois pommes pouvait représenter une menace.

Si leur Roi était en plein conseil militaire, ça ne s’appelait pas tomber à pic mais déranger, plutôt, n’est-ce pas ? De toute façon, elle ne comptait pas s’imposer où que ce soit mais juste chercher un endroit où elle pouvait se rendre le plus utile possible et… S’il pouvait cesser de la détailler comme ça, de la tête aux pieds, elle en serait ravie, merci ! Elle savait déjà qu’elle n’avait pas une très bonne allure, impossible de faire autant, après ces quelques jours de voyage. Ce sera bine mieux une fois mieux débarbouillée. Heureusement, il cessa vite de la dévisager, puis au lieu de répondre à sa question, demanda d’un coup à deux de ses hommes de l’accompagner au fort. Mais… Il pouvait détacher deux hommes de sa compagnie, juste comme ça, simplement pour montrer le chemin ? Il avait le droit ? Et ça n’allait pas lui apporter des ennuis ? Elle faillit bien lâcher ça et se retint à la toute dernière seconde, en se disant que c’était peut-être normal, dans ces contrées.

Les deux hommes s’étaient avancés, tandis que le reste partit en avant, à bonne allure, dans un léger nuage de poussière. Nadalian ne put s’empêcher de les comparer aux soldats du Gondor, qu’elle avait vu passer en troupes de patrouilles semblables, de temps à autre, tout le long de sa jeune vie. C’était un peu idiot de se le dire ainsi, mais ces hommes avaient l’air… Comment dire ça… Plus « rustres ». Au moins leurs montures, qui avaient peu à voir avec les chevaux plus fins et rapides qu’affectionnaient les éleveurs du Gondor, des bêtes faites pour la vitesse et l’endurance, sur les longs trajets. En revanche, elle trouvait moins oppressant de voir des soldats porter des tenues plus simples, au couleur de leur pays, que tout l’attirait des soldats en grande livrée. Elle s’était toujours demandée comment ils parvenaient à combattre efficacement ou souplement avec tout ce fatras sur le dos.

Celui qui ressemblait vaguement à un faucon lui proposa de monter à cheval derrière lui, en tapotant la salle. Elle hésita un bref instant, puis se dit qu’insister pour aller à pieds malgré tout alors qu’eux étaient à cheval serait assez bizarre et malvenu. Et surtout, elle n’avait pas très envie de marcher encore une journée entière, si jamais ce fort était loin. Après avoir réajusté son sac sur son dos, elle s’aida du garde pour grimper sur la selle derrière lui, en le remerciant. Elle posa une main contre son épaule pour s’accrocher, alors qu’ils repartaient à leur tour. Ce qu’ils avaient dit sur le fort l’interrogeait un peu, en quoi un simple dîner serait quelque chose à ne pas manquer ? Elle se mordilla les lèvres, en se demandant si poser cette question serait malpoli ou… Tant qu’elle n’en savait pas beaucoup sur ce pays, elle avait le sentiment que tout pouvait être mal pris, c’était terrible. Dudh, qui s’était un peu rapproché d’eux, sourit un peu, tout à coup, sans doute pour avoir l’air plus aimable.

– Vous venez de quel coin du Gondor ?

– Linhir.

– Et vous avez voyagé seule depuis là ?!

– Non, j’ai suivi une caravane jusqu’au Rohan, et c’est grâce à d’autres voyageurs, venus de Minas Tirith, que j’ai su que vous recherchiez des médecins. Sans avoir vraiment plus de détails. Et comme je cherchais, pour ma part, un endroit où être vraiment utile dans mon travail, je me suis décidée à me rendre ici.

Malcolm tourna alors légèrement la tête pour lancer que le pays se modernisait plus, grâce à leur roi, et qu’ils avaient besoin d’avoir des personnes compétentes pour améliorer les services de ce genre. Nadalian commençait à se demander si elle serait à la hauteur… Évidemment, elle ne comptait pas abandonner l’affaire et allait tout faire pour être efficace, mais ça n’empêchait pas une part d’inquiétude. Enfin, elle s’inquiétait déjà pour beaucoup de choses, tout le temps, de base, donc… C’était un travail qu’elle devra mener sur elle-même, apprendre à se détendre un peu. Sur le trajet, peu à peu, elle se dérida assez pour discuter plus tranquillement avec les deux soldats et surtout, en apprendre un peu plus sur la vie dans ce pays. C’était très différent de ce qu’elle avait connu, apparemment, et mine de rien, ce fut surtout ça qui l’aida à s’apaiser. Après tout, plus éloigné possible ce sera de son ancienne vie et mieux elle se sentira. Tout ce qu’elle voulait, c’était laisser l’Empire loin derrière elle, essayer d’oublier, et ne plus y retourner tant qu’elle n’y était pas obligée. Ou en tout cas, ne pas y retourner seule.

A cheval, il lui était difficile d’estimer le trajet parcouru, avant que le fameux fort ne soit en vue. Nadalian ne savait pas vraiment à quoi s’attendre, elle supposait simplement qu’elle pourra rencontrer le responsable actuel des médecins ou un truc du genre, qui pourra lui dire avec qui travailler et où. Ou encore autre chose. A l’entrée, elle sentit déjà quelques regards curieux, ou étonnés. Ils n’avaient pas l’habitude de ramener des civils, on dirait bien. Une fois reposée le pied au sol, elle s’étira un peu, discrètement. Ce type d’atmosphère militaire lui était inconnue, elle n’était jamais entrée dans un fort de l’armée, ni même un simple camp. Et était d’autant plus surprise que ça ne gêne pas, ici, de faire entrer une simple civile. Au moins, elle était soulagée d’être parvenue au bout du voyage. Ici, si tout se passait bien, elle pourra travailler sans qu’on ne lui impose ses choix de vie et aura un avenir.

– Merci encore pour le trajet, sourit-elle aux deux hommes.

Elle avait comme l’impression que tout le fort se préparait pour la guerre… Enfin, étant donné qu’elle ne connaissait pas grand-chose dans ce domaine, peut-être n’était-ce qu’une simple impression. Son métier était de garder les gens en vie, pas de se préparer à les liquider à coup de masse. La violence lui faisait horreur, surtout lorsqu’il s’agissait de viole,ce gratuite, pure et simple. Elle suivit les deux hommes ensuite, pensant qu’ils allaient lui faire rencontrer le médecin en chef de la troupe.