Arrivée en terre inconnue (Nadalian)

Cela faisait déjà une semaine que j'étais rentré au fort et l'état de mon frère s'améliorait peu à peu. Au moins, il avait repris conscience et il semblait pouvoir s'en sortir, quoi qu'il ait besoin d'une longue convalescence... Et qu'il ne retrouve probablement jamais la mobilité dont il disposait à une époque. Mais il était vivant et c'était pour moi l'essentiel. Malheureusement, je n'avais guère le temps de pouponner si je ne voulais pas que son quasi-sacrifice soit vain. Il fallait agir au plus vite afin de pouvoir utiliser les informations qu'il nous avait ramenées ... Nos plans étaient quasiment prêts, les troupes avaient été réquisitionnées et nos alliés informés. Ce n'était plus qu'une question de temps avant que nous agissions et qu'enfin, notre nation soit unie à nouveau.

Nous discutions de questions logistiques -car il va de soi qu'une campagne pareille demande non seulement d'énormes moyens humains mais également matériels- lorsqu'on frappa à la porte. Mes généraux et moi même nous retournâmes comme un seul homme, pour constater que l'un des gardes de l'entrée -un pauvre type sourd comme un pot mais d'une redoutable acuité visuelle et capable de lire sur les lèvres à une distance record- nous amenait une jeune femme dont le profil nous indiquait clairement une origine étrangère. Ses traits étaient trop fins et sa peau trop pâle pour qu'elle soit d'ascendance Dunnoise, cependant cela n'intéresserait pas grand monde ici : l'un de mes généraux était demi orque, un autre avait du sang suderon, un autre encore des ascendances de Dale et le dernier des hommes présents... Enfin, hommes. Le dernier des présents, donc, était un nain envoyé par notre allié Erebor. Le garde m'indiqua de quelques signes qu'il s'agissait là d'un médecin et je le remerciai d'un signe de tête avant de m'adresser aux hommes :

"Nous verrons cela demain. Il se fait tard, et nous avons tous besoin de repos."

Ceux-ci acquiescèrent et prirent congé tandis que je m'installai à l'une des tables les moins encombrées et présentai à la nouvelle venue la chaise qui me faisait face :

"Je vous en prie, installez vous. Permettez moi de me présenter. Je suis Shimrod de Dun. Quant à vous... Vous êtes médecin, c'est bien cela ? "

Je m'introduisais rarement en précisant mon titre, puisque l'anneau de fer qui trônait sur ma tête le faisait très bien pour moi. Cela me servait de couronne de fortune, puisque je n'avais aucune intention de m'encombrer d'un bijou lourd et agaçant à longueur de journée.

Premier sentiment à l’arrivée, un certain soulagement. La route l’avait beaucoup stressée, tout le long du trajet, même durant les temps où elle avait été accompagnée. La peur d’avoir des problèmes, surtout, car elle ne pouvait se défendre réellement contre une bande de brigands en vadrouille ou elle ne savait quoi encore. Surtout armée d’un simple couteau en guise de défense. Second sentiment, un élan de curiosité, une fois pied posé à terre. C’était très différent de Linhir, bien entendu, mais aussi d’autres villages du Gondor qu’elle avait pu visiter. Pour un fort militaire, de plus, la vie si active qui s’y déployait l’étonnait beaucoup, elle s’était plutôt attendue à trouver une sorte d’immense caserne, parfaitement réglée et organisée, où rien ne devait déborder du cadre fixée ou aller contre les règles. Trouver à la place un mélange entre fort d’armée et village bruissant de vie était très déroutant. Pas désagréable, cependant, juste un peu étrange. Elle suivit Malcolm jusqu’à une autre entrée, tout en détaillant avec curiosité ce qui l’entourait, au passage.

Il allait lui falloir un moment, sans doute, pour parvenir à se sentir à l’aise et quitter un peu sa coquille… Même les regards inquisiteurs des soldats, qui ne faisaient pourtant que leur travail, arrivaient à la mettre sur ses gardes. Malcolm se chargea d’expliquer la situation, avant de repartir avec son ami pour leurs propres tâches. Elle les remercia une dernière juste avant ça puis suivit l’un des gardes à l’intérieur. Un homme très silencieux, d’ailleurs. Ce qui tombait bien, elle était plus nerveuse maintenant. Ils parcoururent des couloirs et escaliers de pierre, tandis qu’elle se demandait si on allait la présenter au médecin responsable, ici, ou à la personne qui coordonnait ce genre de chose. Afin de savoir, surtout, si elle pouvait vraiment participer à quoi que ce soit, aider, ou si elle ferait mieux de reprendre la route et se rendre ailleurs. C’est lorsqu’ils arrivèrent à une salle de conseil et qu’il frappa lourdement à la porte, comme s’il voulait la briser en deux, qu’elle comprit qu’il n’hésitait pas à déranger ce qui était visiblement une réunion militaire.

Son cœur fit un sacré bond alors qu’elle s’imaginait déjà les ennuis que tous deux allaient avoir pour cette interruption. D’autant plus que cela crevait les yeux qu’ils interrompaient une réunion importante, avec tous ces hommes devant des cartes jonchant les tables, ainsi que pas mal de documents et de maquettes. Elle lança un regard de côté au soldat qui l’avait accompagné. Il adressait une série de courts et vifs gestes à celui qui devait être leur roi, d’après l’anneau de fer cerclant sa tête. Hum… ? Il ne pouvait pas parler ? La suite l’a surpris plus encore, lorsqu’il mis fin à leur réunion, ni plus ni moins… Puis l’invita à venir s’asseoir en face de lui à une autre table. Elle obtempéra en silence, en comprenant encore moins les manières de faire de ce pays. Bon, très bien, on se calme et on respire, sinon, il risquait de la prendre pour une folle en moins de quelques minutes. Autre détail étrange, il ne portait pas de tenue ou bijoux particuliers indiquant sa fonction… Comme si ça ne le préoccupait pas. Pourtant, par chez elle, tous les nobles aimaient afficher leurs richesses, sans aucun complexe.

"Je vous en prie, installez vous. Permettez moi de me présenter. Je suis Shimrod de Dun. Quant à vous... Vous êtes médecin, c'est bien cela ?"

"Merci. C’est bien ça, je me nomme Nadalian et je suis originaire de Linhir."

Il n’était vraiment pas agacé par cette interruption… ? Ou bien il ne le montrait pas. Dans un cas comme dans l’autre, c’était assez rassurant, elle n’avait pas envie d’avoir des ennuis à peine arrivée. Elle s’efforça donc de mettre le stress de côté, tout comme la fatigue du voyage, pour sourire et avoir un air moins tendu qu’actuellement.

"J’ai quitté mon pays afin de trouver un lieu où je pourrais exercer mon métier où il y en a le plus besoin, sans que le fait que je sois une femme puisse beaucoup gêner. Initialement, j’étais en route vers le Rohan, puis j’ai pu apprendre que votre pays recherchait des médecins, en ce moment. D’où ma venue. J’ignore cependant ce dont vous avez besoin, exactement ?"

Il avait quand même un air moins guindé ou hautain que les hommes de haut rang qu’elle avait pu croiser dans sa vie, ça aussi, c’était plutôt rassurant. Bien qu’il ne faille pas juger quelqu’un sur son apparence, cette dernière comptait malgré tout.

De fait, dans une nation aussi fortement basée sur les compétences de chacun, le besoin d'étaler ostensiblement son titre se faisait probablement moins sentir qu'ailleurs. J'avais conquis le mien à la pointe de ma claymore et cela se savait. Par conséquent, j'aurais pu me promener en haillons sans que l'on me cherche noise... De peur de ne jamais en revenir.

"Merci. C’est bien ça, je me nomme Nadalian et je suis originaire de Linhir."

Je me contentai de hocher la tête en attendant la suite. Elle avait l'air effrayée, ou simplement impressionnée et je n'avais aucune intention de la terrifier davantage en lui donnant l'impression qu'elle n'était pas la bienvenue. D'autant que je tenais à avoir le plus de médecins possible pour ce qui allait suivre.

"J’ai quitté mon pays afin de trouver un lieu où je pourrais exercer mon métier où il y en a le plus besoin, sans que le fait que je sois une femme puisse beaucoup gêner. Initialement, j’étais en route vers le Rohan, puis j’ai pu apprendre que votre pays recherchait des médecins, en ce moment. D’où ma venue. J’ignore cependant ce dont vous avez besoin, exactement ?"

Je n'avais aucun mal à croire à cette histoire... Tout simplement parce que ce n'était pas la première à venir à moi dans ce contexte. On nous trouvait souvent rétrogrades, mais il fallait bien admettre que les pays '' civilisés '' n'étaient pas beaucoup mieux lotis que nous en ce qui concernait la condition féminine... Enfin, en terme de carrière, du moins. Je me laissai aller en arrière sur mon siège, les jambes tendues devant moi afin de me délasser d'être resté trop longtemps debout et immobile.

"Tout d'abord, soyez la bienvenue à Dun, Nadalian. Je tiens à vous préciser immédiatement que votre condition m'importe peu. Je n'ai que faire des rangs ou des sexes du moment qu'une personne fait bien son travail. Malheureusement, Dun est encore encrassée par des décennies d'esclavage et de traditions archaïques, aussi il se peut que certains de mes hommes vous regardent de haut quelques temps. Si cela peut vous rassurer, nous accueillons déjà une demie douzaine de jeunes femmes au parcours semblable au vôtre, vous ne devriez donc pas vous sentir trop seule parmi nous. Ce qui m'amène à la réponse que vous attendez.''

Ma vue n'étant plus ce qu'elle était, je m'équipai du monocle cerclé de cuivre qui me servait lors des études de documents, ainsi que d'un feuillet qui traînait non loin, que je parcourai rapidement.

'' Nous avons déjà un nombre plus que suffisant de vates, qui comme vous le verrez bientôt, sont des sortes d'herboristes formées aux premiers soins. Elles secondent la plupart du temps nos docteurs, mais j'ai bien peur que notre maîtrise de la médecine ne soit très en retard sur ce que vous avez connu toute votre vie. Comme vous le savez peut être, nous sommes un peuple quelque peu rustre et divisé depuis des temps immémoriaux, tantôt par nos guerres intestines, tantôt par des envahisseurs décidés a s'approprier nos terres ou nous réduire en esclavage. Par conséquent, nous manquons cruellement de médecins au fait des méthodes modernes. J'ai bien réussi à débaucher quelques chirurgiens gondoriens, une guérisseuse du Lindon ainsi qu'une dizaine de spécialistes issus de contrées moins civilisées, mais cela ne suffit pas pour remettre notre système de santé au goût du jour. ''

Je marquai une pause, en examinant la liste hétéroclite de spécialités pratiquées par mes nouvelles recrues. Je n'avais pas encore bien saisi ce que diable pouvait être l'acupuncture, mais on m'avait rapporté des effets impressionnants sur les premiers patients qui en avaient bénéficié.

'' En somme, nous recherchons des personnes qui ont la volonté et les capacités nécessaires pour nous aider à faire mieux. Il est évident que nous ne rattraperons pas notre retard de sitôt, car après tout minas tirith ne s'est pas faite en un jour. Mais j'ai bon espoir de pouvoir tirer un trait sur certains fléaux qui balaient régulièrement notre pays. La mortalité infantile, notamment, me préoccupe au plus haut point.''

Je m'arrêtai un instant afin de me lever et de m'avancer vers l'une des fenêtres qui donnaient sur la cour.

'' Voyez vous, il est de coutume chez nous d'engendrer la plus nombreuse progéniture possible, car plus de la moitié des enfants ne dépasseront pas la vingtaine, que ce soit pour cause de maladie infantile, de famine, de blessure du quotidien ou tout simplement dû aux affres de la guerre. Cela doit cesser. Certains épuisent leurs femmes comme si elles n'étaient rien de plus que des vaches, produisant veau sur veau sans répit, simplement pour assurer la succession. Je suis convaincu qu'une diminution de la mortalité infantile pourrait donner une meilleure vie à ces femmes qui ne peuvent, finalement, rien faire d'autres que d'enfanter jusqu'à épuiser leur corps et mourir en couche... ce qui arrive bien trop fréquemment à mon goût, notez le bien.''

Ma propre mère avait connu ce funeste destin, ainsi que ma belle mère suivante, et la suivante. Cette expérience m'avait guéri à jamais de l'idée d'avoir une nombreuse descendance, et me poussait à rechercher mieux pour les générations à venir.

'' Nous recherchons également des médecins ayant une connaissance des blessures de guerre. Pour un peuple tel que le nôtre, vous imaginez probablement à quel point les amputations sont fréquentes. J'ai la conviction que nous pourrions sauver bien des membres avec davantage de méthode et d'hygiène. Je l'ai d'ailleurs constaté lors du récent sommet à Tharbad : la plupart des soldats étrangers sont plus beaux que nous, et ce n'est probablement pas dû qu'à leurs armures étincelantes... Quoi que cela joue certainement dans le décorum. ''

C'étaient là les points les plus importants sur lesquels nous devions agir sans tarder, d'après moi. Il y avait bien sûr d'autres axes de travail, mais rien d'aussi urgent. J'ajoutai néanmoins sans quitter l'agitation joyeuse de la cour intérieure des yeux :

"Je crois également qu'il serait bon que nous disposions de médecins plus... Spécialisés, dans tout ce qui a trait à la nourriture par exemple. Je vous passe le détail des raisons pour lesquelles une personne peut souffrir de douleurs d'estomac... Tout simplement parce que je n'y connais fichtrement rien, à part que c'est douloureux, voire handicapant ou même mortel. Enfin, nous aurions besoin de personnes capables de s'occuper des patients après leurs soins de base. Mon propre frère ne pourra peut être jamais plus brandir une épée, tout simplement parce que nous ne disposons pas de personne qui ait les connaissance nécessaire pour lui permettre de récupérer convenablement après sa blessure. ''

Je me tournai enfin, quelques rides d'inquiétudes creusées sur le front et autour des yeux. La question de la santé à Dun était une préoccupation constante pour moi, depuis toujours. Hélas, nous n'avions pu nous y intéresser que très récemment, après avoir plus ou moins stabilisé la situation géopolitique du royaume. J'avais bon espoir que la reconquête du territoire qui nous manquait encore permettrait de se concentrer sur ce type de problématique primordiales.

'' Souhaitez vous apporter votre concours a l'amélioration du système de santé Dunnois, Nadalian ? Il va de soi que vous pouvez refuser, et soyez assurée que cela ne changera en rien les égards auxquels vous pourrez prétendre tout au long de votre séjour chez nous."

J'examinai la jeune femme, qui ne devait guère dépasser les vingt cinq printemps, espérant qu'elle disposerait de compétences qui nous manquaient encore. Bien sûr j'aurais été satisfait même si elle n'avait que des talents standards, mais enfin...

Même si elle avait beaucoup prié pour qu’un jour, elle découvre enfin un endroit où l’accès à certains emplois ne dépendaient pas de ce qui se trouvait sous vos jupes, il était toujours surprenant de s’entendre confirmer que c’était bel et bien possible. La suite était certes moins encourageante à entendre, cependant, elle avait déjà l’habitue des attitudes hautaines ou méprisantes de certains hommes. Ce qui ne voulait évidemment pas dire pour autant qu’elle avait de mordant ou de confiance personnelle pour y répondre, sans se laisser marcher sur les pieds… D’ordinaire, elle avait plutôt une nette tendance à ne rien répondre, se renfermer sur elle-même et si possible s’éloigner des personnes à l’origine des remarques condescendantes. Se concentrer sur son propre travail l’aidait à ne pas être déstabilisée… Même si cela restait blessant. Travailler la confiance était encore très difficile, pour elle. Simplement car elle n’avait pas des dizaines d’années d’expérience derrière elle et qu’elle n’avait pas non plus vécu dans des endroits très indiqués pour le faire. Peut-être que cela changera peu à peu ici… Si elle pouvait enfin être sincèrement utile.

Le Roi Shimrod enchaîna en donnant quelques précisions supplémentaires sur l’état actuel du système de santé, dans son pays. D’abord sur les personnes en place pour le maintenir. Elle fut d’abord surprise qu’il parle directement de retard, dans ce domaine, plus encore qu’il qualifie si directement et tranquillement son propre peuple de rustre. Lorsqu’on venait d’un pays où il était très habituel d’entendre les Nobles parler avec une très haute estime à la fois d’eux-même et de leur pays, c’était plutôt choquant d’entendre un roi déclarer que les siens étaient en retard et divisés, qui plus est. Surtout sur un ton aussi détaché, comme s’il n’avait ni honte ni gêne à l’affirmer à une étrangère. En revanche, avec cette première explication, elle put comprendre facilement que le système de santé n’était évidemment pas la priorité première de toutes ces personnes. Difficile, voire impossible, de mettre quoi que ce soit en place à large échelle dans ces conditions. C’était vraiment très triste…

Dans tous les cas, comme il l’ajouta d’ailleurs la minute suivante après une courte pause, il faudra du temps et pas mal d’énergie, avant de rattraper tout cela. Si elle avait vraiment envie de faire quelque chose et participer à l’effort collectif, elle se demandait tout de même par où il serait le plus judicieux de commencer. L’essentiel, pour un peuple, était d’avoir de quoi manger et assez de sécurité pour que les familles vivent en paix. Les besoins vitaux, somme toute. Elle ignorait si Dun était toujours autant divisé ou si ces problèmes se réglaient peu à peu, il lui était donc impossible de se projeter et se dire qu’il serait possible, sereinement, de faire installer des petits centres médicaux un peu partout. Sans le risque qu’ils ne se fassent incendier une fois par mois. Son cœur se serra, notamment, lorsqu’il parla de la mortalité infantile. Lorsqu’il se leva, elle n’osa pas bouger, ni parler. A vrai dire, avec la peine en pensant à ce sujet, elle n’aurait pas pensé qu’un homme aborde frontalement cette question. Simplement car elle n’avait pas encore eu l’occasion d’en connaître un en parlant ouvertement. Souvent, dans son entourage, cette question n’avait concerné que les femmes. Comme si elles devaient être seules à en porter le fardeau.

''Voyez vous, il est de coutume chez nous d'engendrer la plus nombreuse progéniture possible, car plus de la moitié des enfants ne dépasseront pas la vingtaine, que ce soit pour cause de maladie infantile, de famine, de blessure du quotidien ou tout simplement dû aux affres de la guerre. Cela doit cesser. Certains épuisent leurs femmes comme si elles n'étaient rien de plus que des vaches, produisant veau sur veau sans répit, simplement pour assurer la succession. Je suis convaincu qu'une diminution de la mortalité infantile pourrait donner une meilleure vie à ces femmes qui ne peuvent, finalement, rien faire d'autres que d'enfanter jusqu'à épuiser leur corps et mourir en couche... ce qui arrive bien trop fréquemment à mon goût, notez le bien.''

Entre la peine ressentie et la révolte face à cette réalité, se situer était un exercice délicat. Elle n’ignorait pas que cela arrivait encore dans beaucoup trop d’endroits, pas seulement à Dun, mais cela la révulsait toujours. Certaines femmes ne mourraient pas simplement à cause de l’épuisement, parfois, c’était aussi car il leur manquait les soins les plus basiques. Tout cela faisait partie de ce qu’elle appelait les besoins essentiels. Contrer les guerres, les famines et donc avec elles, les épidémies dévastatrices. Un peuple sous-alimenté est une proie facile dès lors qu’arrive la maladie. Elle faillit prendre la parole puis se tut de justesse, car il poursuivait sur les blessures de guerre et les amputations. Elle ne pouvait effectivement pas imaginer leur fréquence, en revanche, elle s’imaginait maintenant le pire, avec le ton employé… Tout cela dressait un bien triste tableau. Un peuple divisé, un système de santé presque inexistant, des enfants mourant trop facilement, des mères disparaissant jeunes et des pères perdant un membre ou plus à cause de la guerre. Elle s’était évidemment attendue à un contexte difficile mais certainement pas à un tel point.

''Je crois également qu'il serait bon que nous disposions de médecins plus... Spécialisés, dans tout ce qui à trait à la nourriture par exemple. Je vous passe le détail des raisons pour lesquelles une personne peut souffrir de douleurs d'estomac... Tout simplement parce que je n'y connais fichtrement rien, à part que c'est douloureux, voire handicapant ou même mortel. Enfin, nous aurions besoin de personnes capables de s'occuper des patients après leurs soins de base. Mon propre frère ne pourra peut être jamais plus brandir une épée, tout simplement parce que nous ne disposons pas de personne qui ait les connaissance nécessaires pour lui permettre de récupérer convenablement après sa blessure.''

Ils auraient besoin d’un nombre plus plus conséquent de personnes qu’actuellement, oui… Et des personnes très expérimentées, plus que tout. Ce n’était pas évident à trouver… Surtout lorsqu’on pensait à couvrir peu à peu un pays tout entier. Parer à l’urgence, c’était bien, mais surtout, il fallait, dispersés dans tout le pays, des personnes capables de soigner les enfants et les adultes au quotidien, avant que tout ne s’empire, justement. Ce fut de justesse qu’elle reprit un air normal, et non pas de tristesse, lorsqu’il quitta la fenêtre et les extérieurs du regard, pour se retourner de son côté.

"Souhaitez-vous apporter votre concours a l'amélioration du système de santé Dunnois, Nadalian ? Il va de soi que vous pouvez refuser, et soyez assurée que cela ne changera en rien les égards auxquels vous pourrez prétendre tout au long de votre séjour chez nous."

"C’est pour cela que j’ai fait le voyage et je ne compte pas repartir sans avoir rien fait."

Sans doute devait-il penser qu’elle était trop jeune pour aider vraiment ou qu’elle allait s’enfuir devant le tableau qu’il venait de lui dépeindre. Las, si elle manquait de confiance en elle, il était cependant difficile, voire impossible, de lui faire abandonner son idée, dès lors qu’elle se l’était bien enfoncée dans le crâne. Elle se leva à son tour, espérant avoir l’air assez sérieuse, même si elle ne devait pas avoir une dégaine très engageante, après ce long voyage.

"Je n’ai pas encore eu à affronter de situations où il fallait soigner rapidement et correctement de nombreux hommes rentrant blessé d’une bataille, mais j’ai eu l’occasion de participer aux soins pour des fractures. Je ne vous dirai pas être la plus parfaite experte pour résorber des cas graves, je n’ai pas encore suffisamment d’expérience pour cela. En revanche, je sais appliquer les soins de chaque jour, m’occuper des malades et parer à certains problèmes risquant de s’aggraver. En veillant à la continuité des soins et à l’hygiène, principalement, beaucoup de problèmes peuvent être évités. Comme certaines maladies ou problèmes alimentaires peuvent l’être en changeant des habitudes d’hygiène et de préparation. L’homme m’ayant enseigné la maladie était convaincu qu’un suivi strict de règles de désinfection et de soins réguliers permettent d’éviter les amputations. Je n’ai jamais eu à en pratiquer."

Et elle espérait ne jamais avoir à le faire… D’une part car elle ne voyait pas comment un homme pouvait survivre au choc de l’opération, d’autre part, s’il y parvenait, comment il pouvait ensuite vivre ainsi. Cette seule idée la faisait pâlir.

"Pour la mortalité infantile, c’est un sujet complexe, la médecine seule ne peut tout régler, tant que le pays est… Disons, encore assez agité. Il existe néanmoins des soins basiques à réaliser systématiquement, lors d’un accouchement, pour préserver autant que l’on peut la vie de la mère et celle de son bébé. Je pense sincèrement que bien des problèmes peuvent être réglés, peu à peu, si votre peuple accepte de modifier ses manières de faire."

La réponse de la jeune femme ne se fit pas attendre mais elle me satisfit d'autan plus :

"C’est pour cela que j’ai fait le voyage et je ne compte pas repartir sans avoir rien fait."[/b]

Je lui adressai un léger sourire, heureux de pouvoir compter un guérisseur de plus dans nos rangs. Avec la guerre qui s'annonçait, nous aurions besoin de tous les bras disponibles... A moins que mon plan nous permette d'éviter un affrontement frontal. Nous verrions.

"Je n’ai pas encore eu à affronter de situations où il fallait soigner rapidement et correctement de nombreux hommes rentrant blessé d’une bataille, mais j’ai eu l’occasion de participer aux soins pour des fractures. Je ne vous dirai pas être la plus parfaite experte pour résorber des cas graves, je n’ai pas encore suffisamment d’expérience pour cela. En revanche, je sais appliquer les soins de chaque jour, m’occuper des malades et parer à certains problèmes risquant de s’aggraver. En veillant à la continuité des soins et à l’hygiène, principalement, beaucoup de problèmes peuvent être évités. Comme certaines maladies ou problèmes alimentaires peuvent l’être en changeant des habitudes d’hygiène et de préparation. L’homme m’ayant enseigné la maladie était convaincu qu’un suivi strict de règles de désinfection et de soins réguliers permettent d’éviter les amputations. Je n’ai jamais eu à en pratiquer."

La perspective de réduire ne serait-ce que de moitié la quantité d'amputations pratiquées semblait pour l'heure bien lointaine. Néanmoins, elle permettrait de conserver la qualité de vie d'un grand nombre de citoyens... Si l'hygiène était la clé, je ne risquais pas de m'opposer à la mise en place de règles strictes.

"Pour la mortalité infantile, c’est un sujet complexe, la médecine seule ne peut tout régler, tant que le pays est… Disons, encore assez agité. Il existe néanmoins des soins basiques à réaliser systématiquement, lors d’un accouchement, pour préserver autant que l’on peut la vie de la mère et celle de son bébé. Je pense sincèrement que bien des problèmes peuvent être réglés, peu à peu, si votre peuple accepte de modifier ses manières de faire."

Je haussai les épaules, bien incapable de donner mon opinion en la matière :

"Comme je vous l'ai dit, j'ai bien peur de n'avoir rigoureusement aucune compétence en médecine. Je suis un guerrier, pas un guérisseur. J'ai hélas bien trop à faire entre la guerre, l'unification du royaume et la relance de l'agriculture pour me pencher sur des sujets auxquels je ne comprends rien. D'ailleurs, si vous souhaitez prendre part au contingent destiné à nous soutenir lors de l'affrontement en préparation... Vos serez la bienvenue."

Trois coups retentirent à la porte et mon homme de confiance s'avança d'un pas décidé :

"Shimrod, nous avons reçu les rapports que tu attendais, je pense que tu dois lire ça au plus vite."

Je soupirai et gagnai l'entrée afin d'ouvrir grand à l'attention de la jeune médecin :

"Je vous remercie d'avance pour votre participation à la reconstruction de notre nation. Hélas, comme vous le voyez d'autres sujets requièrent toute mon attention. N'hésitez pas à vous adresser au personnel si vous avez besoin de quelque chose. "

– Comme je vous l'ai dit, j'ai bien peur de n'avoir rigoureusement aucune compétence en médecine. Je suis un guerrier, pas un guérisseur. J'ai hélas bien trop à faire entre la guerre, l'unification du royaume et la relance de l'agriculture pour me pencher sur des sujets auxquels je ne comprends rien. D'ailleurs, si vous souhaitez prendre part au contingent destiné à nous soutenir lors de l'affrontement en préparation... Vos serez la bienvenue.

Si elle pouvait aider, bien sûr. Ce qu’elle répondit en tâchant d’avoir une voix assurée, bien qu’au fond, elle n’était pas très sûre d’elle, encore. Plus elle en entendait, plus elle s’inquiétait de l’état réel de ce royaume, en vérité… Ce n’était pour autant qu’elle comptait repartir en courant dans le sens inverse, bien évidemment, mais tout de même, il y avait déjà largement de quoi s’en soucier. Tout comme se dire que, définitivement, les informations sur l’état réel des pays voisins avaient bien du mal à circuler et dépasser les frontières. L’instant suivant cette réponse, un autre homme entra, pour leurs affaires de guerre. Elle voyait bien qu’il avait effectivement de quoi faire, et au vu de ce qu’il disait de ce pays, il y avait des chances que beaucoup de personnes soient dans le même état. Voire qu’il manque de ces personnes pour certaines tâches ou fonctions bien précises et indispensables.

Elle le remercia donc à son tour, pour lui permettre de rester et de pouvoir travailler, avant de prendre congé. La première des choses était de pouvoir poser ses affaires dans un coin, avant de savoir qui s’occupait déjà des blessés et des malades, ici… Comme elle s’y attendait, le système qu’elle découvrit peu à peu n’était pas encore très fourni ni très organisé. D’un côté, partir de zéro pouvait être une bonne opportunité de pouvoir mettre en place, directement, de bonnes pratiques et organisations, d’un autre côté, ça signifiait aussi qu’il faudra gérer de nombreuses situations d’urgence sans beaucoup de moyens associés. Elle était perdue mais au moins, en approchant ou parlant avec les uns et les autres, elle put débuter doucement son repérage des lieux et savoir par où commencer. La confusion était bien ordinaire, au début, d’autant plus après un voyage aussi longe et la fatigue tombant sur vous comme une masse.

Néanmoins, soulagée et heureuse d’être arrivée jusqu’ici vivante et entière, elle ne comptait certainement pas s’en plaindre. Ici, personne ne viendra la chercher. Sa famille ne pouvait deviner si facilement où elle était partie et elle doutait que qui que ce soit, dans ces lieux, connaisse les siens et ne puisse envoyer une missive à ce sujet. Certes, il y avait la guerre… Mais elle se sentait malgré tout, paradoxalement, plus en sécurité qu’au Gondor, là où une vie qu’elle ne pouvait choisir l’attendait.