Après de nombreuses heures durant lesquelles je ne relâchais pas ma vigilance d'un pouce, nous parvînmes enfin aux frontières de la forêt. Devant nous, des champs dorés, formant de petites collines, s'étendaient à perte de vue. Seule une vague tâche verte ressortait au loin, dont je n'étais pas certain que les yeux de la Naine puissent la percevoir, surtout dans son état. Dans le doute, je la désignais en expliquant:
-Nous ne sommes plus bien loin de la Lothlorien. Cette tâche verte à l'horizon est l'orée d'une multitude de bosquets, que nous allons traverser. Nous faisons un léger détour, mais nous aurons grâce à cela un meilleur couvert, si vous voyez ce que je veux dire.
Avant de m'exposer au grand jour, je pris le temps de passer les environs au peigne fin. La menace que j'avais ressentie lors de la pause de midi ne m'avait pas quittée un seul instant, tantôt se rapprochant, tantôt s'éloignant. Je n'aurais su dire si le danger était composé de multiples créatures ou non, mais mon pressentiment, en tous les cas, n'annonçait rien de bon. Sa parole faisait foi de loi pour moi, car il ne m'avait jamais trompé. Il fallait donc que je reste constamment sur mes gardes.
Je portais instinctivement la main à mon fourreau, où dormait paisiblement Humilité. J'avais nommé ainsi ma lame par conscience que tuer ne faisait en rien de nous des êtres plus hauts. Ce mot m'était venu à l'esprit en un clin d'œil lorsqu'une membre de ma compagnie avait évoqué les noms des lames de nos grands Rois. Je n'en avais pas cherché d'autre.
Par prévention, je défis aussi mon arc et mon carquois, que j'armais dans mon dos. Ainsi, j'étais un peu mieux préparé à nous défendre face au danger, qui allait s'abattre dans quelques instants sur nous au même titre que la pluie battante qu'annonçaient les lourds nuages gris dans le ciel. Ils arrivaient vers nous avec une vitesse extraordinaire, et bientôt, ils masqueraient complètement le soleil. Avant de quitter le couvert forestier, je récupérais aussi la fiole qui contenait ma préparation, et la confiais à Ciara.
-Usez-en si votre esprit s'en va errer dans les limbes contre votre gré, ou si vous avez besoin d'être au meilleur de votre forme pour un court instant. N'en respirez toutefois pas plus d'une grande inspiration par heure: Vous ne trouveriez plus le repos pendant plus d'une semaine, et les conséquences seraient terribles pour votre esprit !
J'évaluais la Naine du regard. Elle était toujours pâle, et ne semblait pas très à l'aise à cheval. Sur ce dernier point je ne m'attardais pas. De tous mes amis Longues barbes, je n'en connaissais qu'un seul qui accepte de monter un équidé...et encore, seulement les poneys !
« Bon, allons-y, et prions les Valars pour que nous puissions atteindre les Bois d'Or sains et saufs... ». J'engageais Arùn et son chargement sur la terre sèche et grumeleuse du champ, avec un dernier regard pour Mirkwood, et sentant naître dans mon cœur, comme d'habitude, une sorte d'étouffement qui m'enserrait sitôt que je quittais la forêt.
Nous n'avions pas fait une centaine de pas que le danger que j'appréhendais depuis le début de l'après-midi déboula enfin à vue. Dans un premier temps, je le sentis plus que je ne le vis.
Sous nos pieds, la terre se mit à palpiter férocement, martelée par la course rapide d'ennemis que je ne pouvais pas encore voir.
Un frisson glacé me parcourut aussitôt l'échine. Mon sang ne fit qu'un tour.
Debout comme nous l'étions au beau milieu d'un champ, nous représentions une cible idéale visible à des kilomètres. S'enfuir n'aurait servi à rien, à cette distance de la Lorien. Seul les arbres de Mirkwood, se dressant entre nos ennemis et nous, empêchaient encore qu'ils ne nous repèrent. J'entrevoyais déjà les premiers ennemis au travers des arbres. De plus, Arùn était trop âgé. Il ne pouvait plus tenir un galop forcé avec deux personnes dont une Naine sur son dos. Seul ou avec Ciara, je me battrais. Et je mourrais à coup sûr.
-Couche-toi ! dis-je à Arùn, qui se mit aussitôt à terre comme il avait appris à le faire.
-Blottissez-vous contre lui ! Ordonnais-je sans autres politesses à une Ciara qui devait être surprise de se retrouver à terre alors qu'elle se trouvait un mètre au-dessus du sol la seconde d'avant.
Je me dévêtis de ma longue cape grise, que j'étendis sur nous tant que je le pouvais, et nous n'eûmes plus qu'à attendre. La ruse était risquée, mais elle restait la meilleure solution que nous ayons. Nous mettre à couvert n'avait pas pris plus de deux secondes...Deux secondes qui étaient peut-être déjà de trop.
Ils étaient nombreux, et marchaient d'un pas suffisamment cadencé pour comprendre qu'ils avaient une formation militaire assez rigoureuse. Je pariais pour une troupe d'Orcs de diverse extraction. Les frontières de Mirkwood pullulaient en ce moment de groupes de racaille dans le genre.
Allongé sur le sol aux côtés de Ciara et Arùn, j'osais à peine respirer. Le champ, fort heureusement, n'était pas qu'une étendue de terre aride et caillouteuse. De hautes herbes dorées poussaient aux alentours. Si elles ne suffisaient pas à assurer notre couvert, elles permettaient tout de même de rendre notre camouflage plus naturel, et de planquer assez bien les petites parties que ma cape ne pouvait pas couvrir.
Le risque qu'un Orc à l'œil plus aiguisé que les autres nous repère n'en était pas pour autant réduit à zéro, rendant l'attente d'autant plus insupportable.
La troupe continuait sa marche. Elle devait avoir entièrement contourné les derniers arbres qui nous masquaient encore à leur vue. Les soldats n'étaient pas à plus de cinq cents mètres...S'ils nous repéraient, nous serions dans une drôle de situation.