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| LE CHEMIN | |
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Jes’Aoma Arlaine Embu
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| Sujet: LE CHEMIN Sam 15 Oct 2016 - 7:34 | |
| PREAMBULE /TEASER Le rp qui suit n’est pas une comédie. Encore moins une tragédie. Ni Grèce antique, ni Angleterre Shakespearienne. Le sujet est tristement banal. Notre intention commune n’est pas d’embellir une réalité finalement née de l'abominable. Juste de montrer les choses telles qu’elles sont, usant des combinaisons de mots pour montrer, une, non, deux vies. Ou des instants d’existence, bouts de lignes qui se heurtent, se mêlent, s’éloignent, à l’infini ou au croisement des axes d'un repère non orthonormé. Au début de cette histoire, Je’s Aoma Arlaine est habillée en rouge, prononce des mots qui lui sont inintelligibles. Elle pleure, elle s’étouffe, au loin des sons inconnus, calmes, violents, impromptus. C’est du vieil anglais, matiné de français. Des mots dénués de sens sur les terres du Rohan, où elle a trouvé refuge.
- Tout en haut de l'âme:
Ce n'était que le préambule, Jes' arrive bientôt... pour le vrai premier post. |
| | | Jes’Aoma Arlaine Embu
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| Sujet: Re: LE CHEMIN Dim 16 Oct 2016 - 15:44 | |
| Le lointain, sur la crête. Une forme connue. Les yeux ne trahissent jamais, même à cette distance. Grand, armé pour la guerre. Un homme du Rohan, manifestement ; venir dans ces contrées, y vivre, lui a permis d’en être sûre désormais. La lune pleine comme une mère à la veille de l’enfantement laisse deviner son armure. Il est si beau. Le cœur de Jes’ bat la chamade, son désir de le voir s’approcher d’elle est intense. Si seulement elle pouvait le faire venir à elle plus vite encore. « Viens mon aimé », pense-t-elle sans pouvoir le comprendre. Elle est si jeune, une enfant. Avant les feuilles tombées, avant de devenir la fille qui s’occupe de tout dans la maison. Jes’ l’adore, il s’avance enfin. Comme d’habitude, elle n’a pu s’empêcher de parler. Sa voix est jeune, presque celle d’un bambin. Dans le noir et blanc, elle l’appelle, toujours plus fort. Lui, espiègle, prend son temps, des secondes infinies… le cheval renâcle comme si la pente apeurait un coursier du Rohan. C’en est trop, elle ne peut plus attendre, s’avance elle aussi vers lui, précipitant le retour de son dieu. Plus il est proche, plus il parait lointain, des stries marquent bientôt les contours de son être, un halo l’emprisonne à mesure qu’il approche. A l’instant donnant à ses yeux de voir le visage, celui-ci n’est plus que lumière translucide, informe. Le fantôme devant elle n’est plus rien, une immense boule de lumière aveuglante. Et les picotements commencent. Un peu partout sur la peau. Des caresses de plumes, sans pour autant chatouiller. Ce n’est pas normal…weird… les langues se mélangent, les émotions deviennent acides. Et le contraste s’inverse. La nuit devient le jour, la lumière s’obscurcit, mutation de l’ange.
La suite comme un écho de cette nuit-là. Griffures, déchirures, lacérations. La peau glacée, elle se réveille à chaque fois quand les yeux du plus douloureux la dominaient de leur impudeur esclavagiste. L’humiliation de n’être rien est définitivement en elle. Dignité disparue une nuit, à quinze ans. Ses draps une fois encore trempés ne lui sont d’aucun secours. Elle avait froid dans le rêve. Eveillée, ‘Aoma gêle.
Dans sa chambre, personne ne la dérange. Et c’est tant mieux. A la lumière du jour, nul ne l’entend hurler au-dedans. Sa vie, depuis qu’elle a quitté cet elfe au visage incertain dans sa mémoire, est une routine implacable. La vaisselle, le marché, la cuisine, le service, et s’il le faut le ménage, la toilette des gens importants exigeant ce bonus dont elle ne tire rien. Son rapport aux corps est devenu distant. Un bras, une assiette, un gobelet, une aisselle…. A chaque fois, tout au plus, un morceau du monde à nettoyer. Jes’ vit dans cette auberge une étreinte avec l’invisible. Sa seule fenêtre sur la réalité reste ces cauchemars obsessionnels. Sourire de façade, construit à l’époque des feuilles tombées dont elle était la branche salvatrice. Une adaptation aux circonstances, voilà tout. Personne ne le remarque, Jes’ agit par devoir. Et si les gens apprécient ses pommettes, c’est l’effet de la jeunesse. Une des rares zones demeurée vierge. Nul ne saura les raisons qui les ont poussés à ne pas toucher à son visage. Voulaient-ils conserver l’illusion de la pureté ? Abjects jusque dans ce calcul ? Fruit du hasard des pulsions collectives ?
Légèreté de l’amour que la nuit la plus noire révèle.
Ce rêve impossible à enlever de ses nuits, elle ne comprenait pas pourquoi il associait l’image du plus lointain passé à cette nuit d’horreur qui l’avait laissée entre les mains de ces brutes sauvages. Par quelles voies ces deux extrêmes s’étaient-ils rejoints ? La souffrance constituait bien un élément commun. Mais tout était tellement incohérent, insupportable. Cet excès intérieur, Jes’ avait appris à le taire, l’enfouir. Personne ne savait, personne ne pouvait se rendre compte. Et c’était très bien ainsi. La mort n’avait pris d’elle que son âme. Et quelques morceaux de chairs. Depuis son départ du pays des elfes, elle revivait chaque nuit ou presque ce reflux. S’y faire. Comment s’y faire et ne pas s’en vouloir d’avoir un esprit à ce point malade, incapable de franchir le pas ? Au matin, souvent l’espoir revenait. Et puis non. Aveu passionné de sa faiblesse de cœur, elle ne pouvait s’enlever d’elle le cancer.
Pleurer à chaudes larmes aurait aidé, peut-être. Ce n’était pas son genre de laisser couler de grosses gouttes mourant sur le bas des joues, perles d’un collier au fil rompu, égarées sur un cadavre en putréfaction. Le seul choix, avancer, comme si l’on n’existait finalement pas. Un engin créé par quelque magicien pervers. Le rouge peut être virginal, celui des peaux colorées par l’émoi intense. Il est aussi la couleur des premières fois timides, essuyé dans la cohue du lendemain. (3-24).
Le livre s’était refermé (3-45), Jes’ parvenait à ne pas hurler en se réveillant, trempée, à nouveau souillée. Au début de son voyage, encore dans les territoires elfes, plusieurs fois, elle avait tiré la forêt de son sommeil en hurlant pour sortir de ce cauchemar. Persuadée d’être observée, qui sait, protégée par ces gens impossibles à voir sans qu’ils ne le décident, elle s’était surpassée, afin de se contrôler au moins dix secondes par jour, en pleine nuit. Etait-ce l’endurcissement ? Qui aurait pu le dire ? Les respecter dans leur quête de silence, voilà ce qu’elle avait cherché. Le silence, ultime compagnon, indéfectible.
Au petit matin, elle descendit, habillée, la peau lavée de la sueur nocturne. Comme tous les jours, depuis qu’elle travaillait dans cette auberge, il était là, venait de la saluer.
- Bonjour Monsieur,
Répondit-elle, aussi sobrement que les autres jours.
© Gab MacFarland
Dernière édition par Jes’Aoma Arlaine le Sam 22 Juil 2017 - 12:14, édité 3 fois |
| | | Ciara Naine option nomade Nombre de messages : 437 Feuille de personnage Race: Naine d'Erebor Possessions: Sacoche à outils Statut: Joueur(se) actif(ve)
| Sujet: Le matin Ven 4 Nov 2016 - 0:07 | |
| [PNJ DRISDAN SAOLTORN] "Bonjour Monsieur", Répondit la fille, aussi sobrement que les autres jours. Elle était blonde, et comme chaque matin depuis qu'elle travaillait dans cette auberge il se demanda quel âge elle pouvait bien avoir. Deux grands yeux noirs perpétuellement dans le vague lui mangeaient le visage, emplis d'une sorte de vide insondable qui le faisait parfois frissonner. Elle était arrivée un jour, petit bout de femme enfoui dans des vêtements sans forme, et depuis elle n'avait pas quitté l'auberge. Il le savait bien, lui. Lui, le fidèle, le pilier de bar, arrivant en premier et quittant le comptoir le dernier, comme à regret. Lui qui chaque jour prenait invariablement la même chose, aux mêmes heures, à la même place. Lorsqu'elle était arrivée, il devait être là depuis environ un mois. Il ne savait pas exactement, ne savait plus. L'oubli est si doux, lorsqu'on a honte. Quand elle avait déboulé, il était là, accoudé au comptoir, comme chaque jour. Une main autour de son gobelet de terre cuite, il avait regardé la nouvelle venue s'adresser au patron. Il l'avait vue s'installer peu à peu, prendre ses marques, presque aussi routinière qu'il l'était. Mais sans qu'il comprenne pourquoi, elle l'avait réveillé. Il avait peu à peu oublié sa torpeur, les écharpes de brume qui flottaient dans son crâne s'étaient légèrement dissipées. Pas assez pour qu'il réfléchisse à grand chose, assez tout de même pour ressentir à nouveau la honte, mais cette fois elles ne s'étaient pas opacifiées de nouveau. La petite s'appelait Jes'Aoma. Il avait mis un moment à comprendre son nom, un nom étrange pour une personne étrange, mais depuis il lui sautait à la figure chaque fois qu'elle descendait cet escalier pour venir prendre son service dans la salle sombre de l'auberge. Alors il lui disait bonjour, elle répondait... et comme chaque matin, immuable, il demanda : "Donnez-moi un grand verre de lait, s'il-vous-plaît."D'ici quelques heures, il commanderait une choppe de bière naine, puis vers midi il mangerait le plat du jour assorti d'une autre pinte. L'après-midi s'écoulerait, avec ses trois inévitables chopines patiemment savourées. Il se contenterait d'une soupe le soir, après quoi il enchaînerait les parties de cartes avec les habitués en attendant que tous partent. Enfin, il quitterait l'auberge après un petit verre d'eau, laissant le patron fermer la porte derrière lui. Routine rassurante, routine mortellement ennuyeuse, routine salvatrice, routine de l'oubli. Après avoir erré trop longtemps sur les routes sans savoir que faire sinon louer ses services à ceux qui le désiraient, il avait découvert ce village reculé et son auberge accueillante, et il était resté. Son équipement guerrier était entreposé dans la chambre qu'il occupait chez une vieille femme du village, oubliée. Pour gagner sa vie, il animait les soirées du bar de ses interminables histoires et par ses tours de cartes, et il donnait un coup de main ici et là lorsqu'on avait besoin de lui. De toute manière, la veuve qui le logeait n'avait plus toute sa tête, et cela rassurait tout le monde de savoir ce grand gaillard taciturne chez elle la nuit, prêt à la défendre dans le cas improbable où de mauvaises gens s'égareraient dans ce coin perdu. Accoudé à sa place, les yeux dans le vague, il suivait les va-et-vient de la fille en laissant son cerveau encore endormi émerger doucement. Sans savoir pourquoi, elle l'avait réveillé, sans savoir pourquoi, il était captivé par cette drôle de petite personne, énergique et mutique, efficace et infiniment lasse. Comme un reflet de lui-même. Ce matin-là, sans savoir pourquoi, il se racla la gorge et risqua : "Mam'selle Jes'Aoma ?" |
| | | Jes’Aoma Arlaine Embu
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| Sujet: Re: LE CHEMIN Sam 19 Nov 2016 - 16:44 | |
| Il suffit parfois de peu de temps. L’occurrence aurait sauté aux yeux des plus avertis, s’ils les avaient gardés ouverts. Mais qui s’intéresse à la poussière ? Le rictus disparut plus vite qu’il n’était apparu. Après tout, cet homme, qu’elle croisait aussi régulièrement que la lune croise l’horizon, faisait désormais partie de son paysage quotidien. Et la routine de sa présence, des heures durant, Jes’ commençait à la connaître. Bien sûr, elle aurait pu se débattre et lui imposer une formule plus courtoise. C’eut été une erreur. Tous ces hommes n’attendaient que cela pour enfoncer le clou. Elle ne voyait aucune raison d’espérer de lui ce que les autres se révélaient incapables de donner. En outre, elle avait une seconde nature lui permettant de faire de son visage un territoire vierge de toute émotion. Capter sa désapprobation, elle se voyait toujours comme une enfant, eut nécessité un effort volontaire. « Mademoiselle »… Incongru, après tout… Il ne lui avait pas fallu une journée pour apprendre à se carapaçonner. L’expérience des feuilles tombées avait au moins servi à ça. Garder pour soi les malheurs du monde et toujours sourire, ne rien dire de ses douleurs ou de l’argent faisant défaut dans les caisses de la maison mais accueillir avec joie la pièce donnée par le voisin empli d’une compassion envahissante, serrer les dents quand l’eau de vaisselle glacée mord les ongles et caresser les cheveux du gamin pleurant d’avoir échappé la seule assiette dont il s’occupait… (2-22) A l’époque, elle s’était faite un devoir que d’agir ainsi. La grande sœur montre l’exemple. Orpheline des autres désormais, son corps gardait en mémoire ces réflexes bienveillants. Orpheline d’elle-même, elle protégeait au mieux une enveloppe vide de missive. Mais il devait être répondu au client, le métier l’exigeait. Et puis, il avait demandé du lait, point n’était question de laisser le verre aux mouches environnantes. Le patron avait depuis longtemps rempli le gobelet, tarder serait une faute. A ce moment de la matinée, les alcooliques avaient déjà quitté les lieux, une fois leur dose engouffrée, celle qui remet l’esprit dans le brouillard à défaut de le remettre droit. Et les premiers travailleurs de force, levés avant le soleil, et qui devaient recharger leurs muscles à mi-matinée, n’étaient pas encore arrivés. C’était… l’heure de la pose.
- Votre lait…(2-35)
Au moins, lui ne démarrait-il pas à l’alcool, ni aux liqueurs elfes dont elle doutait des effets bénéfiques sur l’homme. Le ton était neutre, (2-37), Jes’ avait fait en sorte de poser le récipient sans bruit, délicatesse habituelle. Et s’en était retournée derrière le comptoir. A l’évidence, un remerciement avait été prononcé. Mais n’était-ce pas, de part et d’autre, un soupir dans le silence ? (5-14) Et les assiettes sales du matin n’attendraient pas plus longtemps. A quoi pensèrent-ils ensuite ? Lui devant cet unique instant de normalité dans une vie de boissons d’homme accumulées comme autant de pierres dans un champ ? Et Jes’ ? (0-05) Perdue dans l’eau de cette vaisselle si facile mais pesante aujourd’hui, à quoi pouvait-elle bien passer son esprit ? (1-59 ; 2-36). Inexplicablement, elle se dirigea vers la table, oubliant sans doute les couverts restés au fond de la bassine, et les mains dégouttèrent de l’eau salie, par oubli du torchon à s’essuyer. On l’aurait suivie à la trace.
- Vous voulez autre chose pour une fois ? (3-25)
Mais qu’est-ce qui lui avait pris ? Vulgarité de celui qui pousse au crime, du tavernier qui incite au vice de la boisson… Et sans le moindre sourire en plus, marionnette aux fils coupés, perdue sans son manipulateur, sauvageonne égarée. (3-11)
- Excusez-moi, je n’aurais pas dû vous importuner.
Alors, en se retournant, elle vit ses traces sur le sol, comme autant de pavés fleuris, s’effaçant déjà mais qui laisseraient des marques si l’on n’y mettait pas bon ordre. S’agenouillant pour nettoyer, elle sentit son esprit se disperser dans un brouillard épais. Le souvenir d’après, Jes’ avait rejoint l’évier. Tout cela venait-il d’être ? Ou n’était-ce que le fruit de son imagination ? Elle se raccrocha au premier repère. Pour savoir si enfin elle délirait. Le lait…. Le verre, toujours en place à côté du pichet, sur le comptoir. L’homme, toujours assis, à attendre sa boisson. Etait-ce possible d’être gourde à ce point ? Jes’ avait bel et bien rêvé, éveillée. Il fallait agir vite. Combien de temps s’était-il écoulé ? Trouver quelque chose à dire, inventer, sourire… Non. Pas sourire, ce serait trop suspect de sa part. Et le pourrait-elle en outre ? (2-50/51)
- Pardonnez-moi de vous avoir fait attendre…
Une seule chose était demeurée inchangée, l’absence totale de bruit au moment de poser le verre. © Gab MacFarland
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| | | Ciara Naine option nomade Nombre de messages : 437 Feuille de personnage Race: Naine d'Erebor Possessions: Sacoche à outils Statut: Joueur(se) actif(ve)
| Sujet: Re: LE CHEMIN Ven 9 Déc 2016 - 10:50 | |
| "Pardonnez-moi de vous avoir fait attendre…"
Ces mots pourtant insignifiants achevèrent de le réveiller. Les dernières brumes de sommeil s'étaient levées, laissant place à une conscience douloureuse de sa condition de loque. Il voulut lui dire de ne pas s'en faire, qu'il pouvait attendre, et aussi qu'elle était bien courageuse de se lever si tôt chaque matin, et lui poser mille et une questions, mais tout cela ne franchit pas la frontière sèche de ses lèvres. Il la remercia d'un signe de tête tout en avalant rapidement une première gorgée de lait, puis déglutit plusieurs fois. Avant qu'elle ne regagne son comptoir et ne reprenne sa place immuable, il s'adressa à elle en tentant de rendre sa voix fatiguée moins lasse que d'ordinaire.
"Dites..."
Ne sachant soudain plus quoi dire, il laissa cet unique mot flotter dans l'atmosphère. Quoi ? Lui parler, mais pour quoi faire ? Elle le verrait comme tous les autres ivrognes qui avaient essayé de lui faire la conversation depuis qu'elle était là, un rustaud inutile qui voulait passer le temps. Cette image le fit douloureusement replonger dans les souvenirs de son errance, au gré des routes et des auberges, à frapper ce qu'on lui demandait de frapper pour gagner de quoi oublier encore une fois. Pour gagner ses repas de la semaine et pouvoir payer la boisson qui abrutissait ses sens. Il était pourtant parti en quête d'un avenir différent, plus honorable, moins pitoyable. Chaque pas lui avait semblé un nouveau départ, vers un avenir moins gris et terne. Il avait cherché pendant des mois un peu de couleur, mais n'avait rencontré que le vermillon du sang versé, l'azur insoutenable de pureté du ciel, l'ambre tentateur au fond de ses choppes, et toujours ce gris morne et laid qui lui collait aux yeux. Il voyait sans les voir les frondaisons lorsqu'il passait en forêt, les couleurs chatoyantes des marchés dans les villages traversés, le pétillement dans les yeux des jeunes gens qu'il croisait. Son propre arc-en-ciel se résumait aux teintes grises et noires de ses pensées. Même son aspect avait déteint, ses yeux couleur de ciel avaient pris la couleur des journées pluvieuses. Il rasait ses cheveux bruns pour n'en garder qu'un duvet presque invisible, ne supportant plus le joyeux chaos qu'ils formaient autrefois sur son crâne. Pourquoi conserver ce souvenir puisque plus personne n'était là pour plaisanter avec lui de sa tignasse ébouriffée ? Il se frotta machinalement le menton en reléguant cette soudaine prise de conscience de son aspect dans un coin obscur de son esprit. Désabusé, il décida de passer outre sa propre insignifiance pour enfin en apprendre plus sur la seule personne qui ait retenu son attention depuis des lustres. Qu'importait après tout l'avis qu'elle se ferait de lui ? Cela ferait passer le temps.
"..."
Il ne savait pas quoi demander. Les questions tournaient dans sa tête, se mélangeaient, mais aucune n'était suffisamment claire et banale à la fois pour être énoncée à haute voix. Il toussa pour tenter de reprendre contenance et finit par réussir à sortir quelques mots, d'une voix rauque et mal assurée qui renforça son malaise.
"...heu, vous avez quel âge ?"
Avec une forte envie de se bâillonner sur-le-champ, il but encore quelques gorgée de lait tout en regardant partout sauf en direction de son interlocutrice. Cela faisait si longtemps qu'il n'avait pas eu un semblant de conversation autre que pour passer un accord ou commander à manger ou à boire... |
| | | Jes’Aoma Arlaine Embu
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| Sujet: Re: LE CHEMIN Dim 18 Déc 2016 - 9:12 | |
| [ 0-=>]Se protéger nécessite la volonté, sans que cela soit suffisant. Jes’ endurait depuis peu ces abordages maladroits, osés ; par des flibustiers avinés, des bandits sur le retour. Ou juste de pauvres garçons perdus. Mais n’était pas encore prête à toutes les situations. Et surtout, rien ne l’avait mis sur le sentier présent. Dans le ton, les gestes, la posture… tout n’était qu’absence chez lui. Une enfant n’a pas les armes contre le désarroi. Chaleurs dans les parties du ventre immaculées. Et la question, pour impudique qu’elle fut, appelait une réponse embarrassante. Mentir relevait pour Jes’ de l’épreuve insurmontable. Dans les cas extrêmes, elle se taisait, sans se rendre compte que l’omission revenait à ça. Mais avouer ses quinze ans aurait vite signifié le renvoi de son travail. Le tavernier avait été clair sur ce point. « Si tu as seize ans passe encore, je m’en arrangerai au besoin… » Son efficacité à la tâche avait rapidement dissipé les doutes. Mais les autorités ne faisaient aucun cadeau sur ces choses. Jes’ ne voulait pas vérifier sur le tas les dires de son patron. Il fallait pourtant faire vite, encore… répondre, d’une manière ou d’une autre. A qui, cependant, la question s’adressait-elle véritablement ? Cet homme interrogeait-il la serveuse ? Cherchait-il l’enfant qu’elle se croyait encore ? La fille, elle ne se voyait pas femme… Ou bien peut-être le curieux traquait-il le marionnettiste… Car Jes’Aoma Arlaine se savait automate, depuis cette nuit funeste elle était morte à l’intérieur et une part grandissante de son individu pensant la réduisait à une baudruche dénuée de réalité propre. C’était sans doute ce double d’elle que le buveur de lait visait de son arc bandé de sens indiscrets. Jes’ ne pouvait pas répondre, elle confirmerait ses juvéniles apparences ; et lui comprendrait parler à une gamine. Agir, ma fille tu dois agir, weirdo il le faut. Se penchant vers son oreille droite, elle lui souffla une douceur qu’elle accompagna finalement par le geste. La main sur son bras, Jes’ fit mine de le frotter un peu, tout en le serrant légèrement. - Laissez-moi vous en chercher un autre.Ces mots n’étaient pas les premiers. Tandis que la main, et le reste, avaient quitté la table, elle s’était sentie rougir à en faire fondre le métal. Mon dieu, pourquoi avait-elle dit cela ? Quel démon vivait donc en elle ? Surtout qu’elle avait commencé par lui adresser un reproche. « Vous devriez boire plus de lait… » Une double invitation se tenait dans ces mots-là, Jes’ ne pouvait le savoir. Ni son nom, ni son âge, ni même ses envies. Pour ces dernières, en connaissait-elle l’existence ? Montrer de la sollicitude, de l’intérêt, elle était folle… Sa main tremblait de plus belle en versant le liquide blanc. Et sous la chemise, un tambour s’affolait côté gauche, les chairs devaient frémir vu le rythme qu’il menait, ce n’était pas possible autrement. - Je vous le dirai. Mais pas ici. Et d’abord, je ne veux plus vous voir perdre vos journées.[ 1-40]L’inconscience[ 1-44]. Par chance, leurs regards ne s’étaient pas croisés, sans doute préférait-il s’assurer de leur tranquillité effective dans la taverne. Lui avait ses raisons, tout comme elle. En tout cas, la petite Arlaine venait de faire une promesse irréversible. Sans garantie de succès quant à l’engagement suggéré à la partie adverse. Et puis… elle n’était pas sa mère, ni sa sœur…. encore moins le reste…. Jes’ se rua bientôt dans la cuisine, prétexta une course à faire, par chance le vieux n’y vit que du feu. Sans plus s’intéresser à lui, elle sortit précipitamment de l’auberge puis [3-04] se mit à courir aussi vite qu’elle put. Montant au plus haut de la ville ouverte, les quartiers du château étaient interdits d’accès au petit peuple, elle s’arrêta au bord de ce précipice. Haletante, totalement incapable de se comprendre. Juste une respiration chaotique, de celles marquées par l’effort musculaire. Mais c’était bien plus qu’un muscle qui devait reprendre son souffle. Et cela, elle ne pouvait l'entrevoir par elle-même. [=>3-43]Le vent sur ses joues, puis elle dut se pencher pour reprendre un souffle qui décidément ne revenait pas. Mains sur le haut des genoux, elle tentait de se reprendre, contrôler les flux d’énergie, à défaut de maîtriser le reste. La colère en elle l’emportait. Mais ce n’était ni lieu, ni le moment. Et de toute façon, elle n’aimait pas se mettre en colère. Il aurait fallu disposer d’un robinet, ouvrir les vannes, évacuer le trop plein. Pour une femme seule, de son âge, c’était beaucoup en exiger. [ 0=>] - Qu’est-ce qui m’a pris ?Elle serra ses mains, serra au plus qu’elle pouvait, à s’en enfoncer les ongles dans la chair. Et le temps dura une éternité. [ => 4-59] © Gab MacFarland - …quelle est-elle ?:
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| | | Ciara Naine option nomade Nombre de messages : 437 Feuille de personnage Race: Naine d'Erebor Possessions: Sacoche à outils Statut: Joueur(se) actif(ve)
| Sujet: Re: LE CHEMIN Mar 10 Jan 2017 - 16:12 | |
| "...elle ne veut plus me voir perdre mes journées ? Se prend-elle pour ma mère ?"
Abasourdi, Drisdan suivit du regard la serveuse qui retournait à son comptoir puis disparaissait dans la cuisine. La main serrée autour du verre de lait qu'elle lui avait servi, le visage encore tournée vers la porte qui l'avait engloutie, il était l'image même de la perplexité. Il avala machinalement la boisson fade, des ébauches de pensées tourbillonnant sous son crâne, puis finit son gobelet d'une traite et se leva. Le feu follet en tablier évanoui, il se sentit soudain étouffer dans cette pièce basse et sombre dans laquelle il passait pourtant le plus clair de son temps.
"J'ai besoin d'air", marmonna-t-il pour lui même. Sortant de l'auberge, il prit une longue inspiration et se mit à avancer au hasard, sans prendre garde aux enfants qui s'écartaient sur son chemin. Elle avait répondu. Elle n'avait pas dit son âge, mais elle avait fait mieux encore : elle avait parlé de répondre, plus tard, ailleurs. C'était, consciemment ou non, une manière de dire qu'ils se reparleraient, qu'ils se retrouveraient hors de cette taverne qui leur servait de refuge. Car il n'en doutait plus, ce travail ingrat de serveuse était une échappatoire. Ce qu'elle fuyait, ce dont elle se protégeait, il n'en savait rien, mais Drisdan avait connu suffisamment de gens et vécu suffisamment de jours sans suite pour reconnaître cette morne résignation. Cette étincelle allumée dans une carcasse éteinte, ce sentiment de n'être d'aucun lieu ni d'aucun temps. Il lui semblait avoir vu tout cela dans l'expression étrange passée sur le visage de Jes'Aoma alors qu'elle se redressait... A cette pensée, l'homme passa machinalement la main sur son avant-bras, sentant encore la caresse fantôme de la drôle de petite femme. Il sentit un frisson glacé lui parcourir le dos sans que le froid y soit pour quelque chose, et hâta le pas sans pour autant réfléchir davantage à sa destination. Il lui fallait marcher pour se remettre les idées en place. Une rue après l'autre, errant dans ses pensées et songeant avec ses pieds qui martelaient le sol humide, il laissa ses jambes l'emmener où bon leur semblait.
"Je ne veux plus vous voir perdre vos journées" Ces quelques mots lui tournaient dans la tête et lui retournaient le coeur. Les mots de sa mère lorsqu'enfant il se dissimulait dans le foin pour jouer avec ses personnages de bois ou rêvait, perché en haut d'une meule, à de glorieuses batailles. "Dris', vient m'aider maintenant. Je ne veux plus te voir perdre tes journées". Son père aussi le lui avait dit, alors qu'il s'amusait à jeter des cailloux dans la rivière qui coulait en contrebas du village, fatiguée de l'avoir cherché une heure durant à travers champs. Il l'avait pris par les épaules, sans violence mais avec fermeté. "Je ne veux plus te voir flâner, perdre ton temps. Tu dois apprendre à devenir homme, mon fils." Voilà ce qu'il avait dit. C'était AVANT. A cette pensée, Dris' sentit ses jambes céder sous son poids. Cela faisait longtemps qu'il avait dompté ce souvenir, qu'il l'avait enfoui dans sa mémoire, recouvert de tout ce qu'il avait fait depuis en espérant l'effacer à jamais. Non, ce n'était pas lui qui l'avait ainsi jeté au sol comme un paralytique sans béquilles. C'était l'image de sa mère, soucieuse, tournée vers lui, sourcils froncés, vivante représentation de l'inquiétude maternelle. Image dont Jes' s'était fait le reflet un peu plus tôt. Un reflet plus pâle, moins résolu, plus fragile. Moins précieux. Mais un reflet tout de même, dont il venait de voir la ressemblance frappante malgré les années et la différence d'âge entre les deux femmes. Un reflet qui l'avait pris à la gorge et laissé sans forces, sur le sol froid.
"Melkor..." Ce juron poussé à mi-voix, il se reprit et se remit d'aplomb. Regardant enfin autour de lui, il réalisa que ses pas l'avaient mené au centre du village, là où une route pavée menait en ligne droite jusqu'à l'abîme qui séparait le bourg du fief seigneurial. Il tournoya un instant sur lui-même, saluant vaguement de la main les quelques passants, sans se préoccuper de ce qu'ils pouvaient penser de ce grand gaillard titubant au milieu de la place. Il hésita, les yeux fixé sur l'auberge, inquiet de ce que la jeune serveuse pourrait dire ou faire en le voyant revenir. Alors qu'il décidait cependant de regagner son repaire, unique repère dans son monde monochrome, un coup de vent lui glissa à l'oreille un gémissement trop humain pour n'être qu'un effet de son imagination. Une plainte sourde qui lui hérissa la nuque. Il se retourna vers la route menant au château, fit quelques pas sans réfléchir puis se figea. Là-haut, au bord du gouffre, se tenait une frêle silhouette blonde recroquevillée sur elle-même. Une silhouette tremblante, une Jes'Aoma comme il ne l'avait encore jamais vue. Sans attendre que l'ouragan qui tournoyait dans son esprit s'apaise, il combla la distance qui restait à parcourir et parvint à quelques mètres de la jeune femme. Ne voulant pas l'effrayer ou risquer de la voir tomber, il resta planté là, comme une stupide statue de chair, giflé par les bourrasques de vent, les yeux fixés sur son dos agité de soubresauts. |
| | | Jes’Aoma Arlaine Embu
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| Sujet: Re: LE CHEMIN Sam 28 Jan 2017 - 15:45 | |
| - Nécessaire:
en descendant les escaliers... => il faut savoir comment ces lignes ont été écrites pour en comprendre les frémissements. A l'exception des mots de Drisdan, tout est du clavier de la personne derrière Jes'. Mais les mots de Drisdan sont de la personne qui l'anime. Le dialogue a été écrit comme un tac au tac, l'habillage est donc l'angle de vue d'un personnage, et seulement de lui... mais il faut être deux pour danser une valse, un tango, une éclipse...
[...]Longtemps avant. Le passé dépend souvent de notre attachement à lui. Et si nos souvenirs s’avèrent précis, la cause tient à l’importance des moments. Des semaines durent des années, d’autres passent en bourrasque. Chaque seconde là-haut avait inscrit en elle une impression indélébile. A commencer par cet instinct de ne plus être seule. Lâcher ses jambes, sortir les crocs enracinés dans la chair, oser se retourner, comme une bête traquée défiant son prédateur, au terme de la poursuite. Suffoquée d’avoir affaire à lui, elle avait susurré : - Vous m’avez suivie !?![1-39]Une erreur supplémentaire, comme si chaque nouveau pas la précipitait un peu plus dans le noir. Des milliers de sentiments parcouraient son corps. Humiliée de ne trouver nulle part où se réfugier, acculée au sommet du monde autorisé, prise au piège. Elle n’avait pas crié, comme toujours. Juste cherché à comprendre, des deux côtés de la peau. Ses yeux, fenêtre malingre, avaient donné le ton mais elle ne le savait pas. Eux la trahissaient, tout en elle la dévoilait. - Absolument pas !Jes’ se félicitait à présent d’avoir pris le temps de poursuivre. Rien dans le ton de l’homme n’était bravade ou jérémiade. Deux éléments impassibles se faisaient face. Elle n’avait pas de force à neutraliser. Avec les enfants, il est facile de se cacher, jouer au grand. Sécher la larme qui coule ou trouver l’origine du mal. Là, cette femme de quinze ans ne savait comment faire pour échapper à sa gêne. Sentiment de danger, chaleur au bout des seins en liaison directe avec le cœur. Après coup, elle se voyait encore transformée en tomate prête à la cueillette. Et ses mains sur les joues, en guise de camouflage. - Excusez-moi, je dis n’importe quoi…. Ce qu’il fait chaud aujourd’hui…Le geste était pratique, coller ainsi ses mains permettait de gommer leur tremblement. Jes’ ne savait plus où se mettre. S’il avait été un précipice au bord du chemin, elle aurait sauté. Mais les rues d’Edoras, à l’intérieur de l’enceinte basse, étaient aussi sûres qu’une plaine du Gondor. Et personne alentour pour lui venir en aide. Elle paressait liquide, une gourde. Oui, l’image sonnait bien, une gourde pleine d’eau. Et le silence… Combler le vide, interrompre le malaise avant… mais elle n’en eut pas le temps. - Certes.Elle en était encore à s’en vouloir de toujours s’excuser qu’il avait déjà répondu, laconiquement. Le supplice se prolongeait inexorablement, aucune issue à première vue. - Vous aimez le Rohan, n’est-ce pas ?‘Aoma avait voyagé sur un nombre important de routes désormais. Loin de prétendre connaître le monde entier, elle espérait une réponse positive. Peut-être du fait des couleurs orangées. Ou les parfums de mousse, subtils, variés comme les centaines de mots désignant, dans la langue des cavaliers, les robes de leurs chevaux. Trouver un terrain de conversation, juste quelque chose permettant de rompre le bruit du silence. - Je...que... ouais. Enfin je veux dire c'est mon pays, quoi...Elle était morte chez lui, comment le dire ? Qu’elles étaient hautes, ces montagnes aperçues de si loin lors de la chevauchée avec cet elfe sorti bientôt de sa mémoire. Et combien il lui était douloureux de se sentir vivante, sur ce terrain-là, prisonnière de cette rue, prisonnière de l’endroit. - Au moins êtes-vous de quelque part…Il ne montrait rien, un bloc de glace. Pire. Il ne répondit pas. Ne plus être seule. Mais pourquoi faire. Depuis ce matin-là, elle continuait de chercher en elle des trajets de compréhension. -…et comme tous les gens d’ici, vous avez un cheval !?!- Heu…non. Un cheval coûte cher, et puis il faut avoir une écurie. Moi, les écuries... (il sembla frissonner violemment) Non. Pas de cheval.Jes’ se souvenait très bien de l’impression qui la traversa alors. Qu’il était difficile de parler à cet homme. Et, paradoxe de l’existence, c’était à ce moment qu’elle avait ressenti une forme de calme. Elle qui aurait tant voulu apprendre à monter comme ces hommes, libres, impétueux. Si seulement il avait pu lui enseigner. Le seul homme dans tout le Rohan exécrant l’âme de cette terre. La chance la fuyait donc avec rectitude. Le défi. L’impossible comme objectif. Après tout pourquoi pas. Que faire, lui demander le pourquoi, au risque de le blesser davantage ou passer son chemin ? - Vous devez bien être le seul... tous les hommes d'ici aiment leur cheval plus que leur femme !Et le tout sans rougir. A y repenser, elle avait été complètement inconsciente. Surtout dans le ton. Une étincelle provoquait lentement une chaleur, Jes’ s’était embrasée depuis, mais pas du feu de la honte. L’intérêt… - Hé bien je n'ai ni l'un ni l'autre, répondit-il d’un ton sec. Mettons que certaines choses me sont disons... interdites.… l’attention… - C’est pour ça que vous passez vos journées à l’auberge ? -...Non. Il est normal que je passe du temps là-bas, l'alcool et les habitués sont de bonne compagnie pour moi.…au point d’en oublier le premier mot frappant l’air comme un coup de trique. Jes’ ne semblait pas vouloir conserver le moindre souvenir négatif de leur conversation là-haut. Tout au plus avait-elle alors compris qu’il lui fallait changer de conversation. Juste l’intuition. [till the end]Tendre la main…elle se tourna vers les montagnes trônant dans le ciel d’Edoras. - J’aimerais bien aller là-haut…Et l’écho… - Pourquoi pas ?La suite, elle en avait le souvenir mais la seule idée de sortir de l’auberge, pour le temps d’une promenade… Depuis ce matin-là, Jes’ était comme une brindille en or près du feu. De celles qu’on n’y mettrait jamais, les joyaux du salon, qu’on expose sans les consommer, que l’on transmet en héritage. Plus d’angoisses, juste un but. La feuille tombée s’était retrouvée propulsée vers les sommets. Les jours qui suivirent, comme si de rien n’était, ils se croisèrent à l’auberge. Et la routine paraissait avoir repris ses droits. Jes’ savait qu’il n’en était rien. Rien. Et tout. Que peut bien espérer une enfant de quinze ans si ce n’est la possibilité de l’insouciance, pour quelques saisons encore. © Gab MacFarland - sage:
Dernière édition par Jes’Aoma Arlaine le Sam 6 Mai 2017 - 9:02, édité 1 fois |
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| Sujet: Re: LE CHEMIN Dim 5 Fév 2017 - 21:17 | |
| Pourquoi l'avait-il cherchée, inconsciemment ? Il n'en savait rien. De même qu'il ignorait comment lui étaient venues ces réponses franches, évidentes, si semblables à ce qu'il était et bien loin des monosyllabes-camouflage qu'il employait d'ordinaire. En trois phrases, elle en savait plus sur lui que n'importe qui dans cette fichue ville. En quelques remarques, quelques questions incongrues ou banales, elle avait pu faire sauter un infime morceau de la carapace qu'il maintenait tant bien que mal. Barrière contre quiconque voudrait comprendre, compatir, s'immiscer dans sa vie bien réglée. Et le comble, c'était cette phrase, ces deux mots stupides sortis avant qu'il n'ait même eu le temps d'y penser. "Pourquoi pas..."Une évidence. Elle voulait aller là-bas, voir le monde d'en haut, découvrir, explorer ? Elle pouvait ! Pourquoi pas ? Elle était jeune, bien portante, elle en avait envie, rien ne la retenait. Pourquoi pas ? Même partir une journée et faire l'aller retour était possible, si elle craignait que le patron de l'auberge ne grogne. Pourquoi pas... Et puis pourquoi ? Pourquoi là, lui, maintenant ? Lorsque les mots avaient franchi ses lèvres, ils s'étaient en même temps frayé un chemin dans son esprit. Ces mots qui impliquaient une proposition, une invitation. A peine suggérée, et pourtant évidente. Claire. Inévitable. Ensemble.Il était resté là, sans rien dire, devant la fille silencieuse toujours tournée vers la montagne, et puis il avait reculé de deux pas, avait fait volte face. Il était parti, sans un mot de plus. Il n'y avait rien de plus à dire. La fin de la journée à tourner ces deux mots dans tous les sens, assis au milieu de nulle part sans se préoccuper de ce qui l'entourait, levant seulement les yeux de temps en temps pour fixer l'horizon barré par la montagne. ~oOo~ Réveil. A peine ses yeux sont-ils ouverts qu'il se souvient de la veille, de cette discussion presque irréelle. De ce projet, incongru au milieu de son quotidien immuable et réglé comme du papier à musique. Il avait eu peur, mais à présent il avait presque hâte. Le hasard, si hasard il y avait, donnait soudain un intérêt à sa journée. Aller s'accouder comme chaque matin au comptoir de l'auberge avait une saveur nouvelle. Se lever avait un but différent, et il se surprit même à lacer sa chemise avec plus d'attention que d'ordinaire. En pénétrant dans la salle, l'habitude reprit le dessus et ses pas le conduisirent droit au bar. Droit vers Jes'Aoma. "Bonjour."Sans attendre de réponse, il se jucha sur un siège et poursuivit : "Demain ? Ça irait ?"Elle comprit tout de suite et répondit du tac au tac : "Le pire des jours de vos semaines je peux... quand l'auberge est fermée. Mais pas avant, vous comprenez ?"Bien sûr. Il réfléchit un instant. La date du jour... encore trois jours. Plus que trois jours. Impossible de connaître le futur, de planifier, impossible avec ce petit brin de femme qui lui glissait entre les doigts. Mais c'était bien, il trouvait un intérêt passager à cette ville morne. "Très bien. Dans trois jours."Sa voix avait encore été très sèche, mais il ne savait plus comment faire autrement. Attrapant le verre posé devant lui sans délicatesse par le patron, il se leva et alla prendre place à la table la plus proche du comptoir. Une chaise sans grâce était agrémentée d'arabesques qui donnaient à son dossier branlant une allure décalée dans cette atmosphère encore embrumée de l'alcool de la veille. Il s'assit avec l'assurance d'un homme dont la place est réservée et sortit un couteau, entreprenant de terminer l'une des gravures de son siège tout en buvant de temps en temps. Ainsi passait ses journées. Tandis qu'il gravait lui revint en mémoire une chanson ancienne, qu'il fredonna tout bas en travaillant. Dans ces moments suspendus, tout disparaissait excepté ses mains travaillant le bois et le son sourd de sa voix qui sonnait pour ses seules oreilles. "♬ Amis marchons gaiement, le ciel nous est clément Bannières claquez au vent, gloire au Rohaaaan ! Dessus nos chevaux blancs, drapés d'or et d'argent Avançons en chantant, gloire au Rohaaan ! Le veeent portera loiiin tous nos exploiiiiits... ♬"Deux jours durant, Drisdan vint s'assoir à cette même place, torturant le bois de la pointe de son couteau, le caressant de ses doigts lorsque la pénombre l'empêchait de distinguer les formes étranges qu'il esquissait, fredonnant pour lui seul des ballades anciennes qui narraient la gloire de chevauchées épiques et tombées dans l'oubli. Et au matin du troisième jour, debout face à l'auberge, il fut là assez tôt pour admirer le soleil levant. Il attendit. |
| | | Jes’Aoma Arlaine Embu
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| Sujet: Re: LE CHEMIN Mar 14 Fév 2017 - 11:33 | |
| L’angoisse montait progressivement, avec l’avancée dans la nuit Jes’ sentait en elle des vagues de chaleur désagréables. Et si l’idée s’avérait mauvaise… si tout devenait, elle n’aurait su dire pourquoi, une catastrophe… Repenser à ce jour désormais lointain demeurait facile. Et permettait de supporter le temps d’un endormissement interminable. Elle, dans ses bras, portée tout d’abord comme on porte un enfant. Jes’ lui enserrait le cou, tremblante d’une peur que tout expliquait. Ne surtout pas grimacer, quand bien même sa jambe lançait d’imperturbables signaux d’affolement. Mais il ne tint pas longtemps ainsi. Ses quarante kilos pesaient peu, et il était robuste. Jusqu’à un certain point… Expliquant qu’il ne pouvait continuer à marcher sans voir où il mettait les pieds, il l’avait déposée sur le bord du chemin le temps de modifier son paquetage, de se changer aussi pour quitter ce manteau désormais gênant pour lui. Elle avait aperçu son torse, et des traces d’irrégularités sur sa peau, sans pouvoir deviner s’il s’agissait de blessures ou juste d’incidents mineurs de la vie. S’il portait de grandes balafres, elles étaient intérieures. Ayant fini de reporter son sac devant lui, il l’avait prise sur son dos. Promiscuité nouvelle, un confort pour lui mais une terrible gêne de son point de vue à elle. La sueur, le souffle de l’homme, la sensation de prendre part à son effort. Pour un peu, elle en aurait oublié cet os ridicule qui dépassait désormais de sa jambe, à peine protégé par un bandage de fortune. Régulièrement, Drisdan lui demandait des nouvelles, comme s’il cherchait à lui faire oublier que le chemin jusqu’à Edoras se comptait presque en jour du fait de leur lenteur. Invariablement elle répondait que les choses allaient au mieux, qu’elle tenait le coup. Aurait-il pu comprendre, de toute manière ? Elle avait connu le pire déjà ; tout cela sonnait comme une peccadille, un instant pluvieux dans un été radieux. Oui, elle savait qu’une fracture ouverte, même soignée dans les règles, constituait un souci pour l’avenir. Et bien sûr, elle savait aussi que l’aubergiste lui passerait un savon monumental. Elle s’en voulait surtout de ne pas avoir regardé où poser les pieds, aspirée qu’elle était par la beauté de ces reliefs montagneux. Et la cheville s’était échappée dans une petite ornière. Déséquilibrée, Jes’Aoma était tombée sous l’effet de la douleur d’une cheville refusant la souplesse. Et de suite la glissade dans un pierrier aiguisé. Interminable descente, comment s’arrêter sauf à espérer un mur qui ne venait pas. Puis un rocher, la possibilité de s’y échouer. Mais la vitesse, l’angle malencontreux d’un pied déjà enflé. Et la brisure, dans un cri étouffé par le soulagement d’être enfin stoppée. Voilà comment un jour ensoleillé devient la canicule. Mais elle n’en voulait pas à la vie. Sauf à dire, une fois encore, que la proximité de leurs intimités la gênait terriblement. Ce genre de choses, elle ne l’avait pas prévu. Persistant silence, impossible de lui parler. Son embarras, elle l’avait ressenti dès qu’il l’avait rejointe au milieu du pierrier. Le premier de cordée connaît ses responsabilités, et Drisdan les assumait. Il ne devait pas se sentir responsable d’elle mais comment l’empêcher de voir les choses ainsi ? Elle était la plus jeune, la plus frêle, l’élément faible. Comment lui dire que ces moments, sur son dos, étaient extraordinaires de calme, d’inquiétude… dans son souvenir tout au moins. Oui, chaque pas lui rappelait qu’un os se promenait en dehors de son corps, et oui, chaque secousse tonnait comme un orage gronde au loin. Mais elle ne se souvenait que d’une chose, l’étrange sensation de bien-être, un sentiment coupable. Infliger à cet homme le poids de son corps, les errements d’une cheville indocile, et en tirer un plaisir qui ne disait pas son nom. Jes’ devait se confronter à la réalité, elle avait préféré, et de loin, la redescente. Pensée égoïste et paradoxale. Car associée à la douleur dans cette jambe gauche aux couleurs violacées par endroits. Elle ne pouvait imaginer quelle avait été celle de Drisdan. Elle n’y pensait pas plus maintenant qu’à ce moment-là. D’autres reliques de ce jour lui traversaient l’esprit tandis que les draps collaient à force de réchauffer un lit refusant de la laisser dormir. Le combat était inégal entre l’après-midi à dos d’homme et le matin, celui de la montée jamais achevée, celui de la marche entamée dans le noir. Ces heures-là lui seraient bien utiles le lendemain, en cas de nécessité à alimenter une conversation difficile. Les montagnes protégeant Edoras avaient quelque chose d’aérien, de léger en comparaison de la masse imposante, étouffante des sommets surplombant Minas Thirit. S’en approcher, les côtoyer, avec ces bruits de nature, les regards lointains d’animaux nullement apeurés par leurs pas, juste soucieux d’une tranquillité les poussant à se tenir loin d’eux. Un spectacle sincère. Elle aurait aimé vivre à cette altitude. Et Drisdan, elle connaissait son prénom pour l’avoir entendu à l’auberge mais ne se serait pas hasardé à l’appeler ainsi, avait la délicatesse de ne pas parler. Leurs pas constituaient la seule pollution manifeste au sein d’un tableau vivant de la perfection. Et comme le vent jouait de la flûte, la plupart du temps, ils avançaient en toute discrétion. Son souvenir du matin tenait en un mot, la plénitude. Ils avaient parlé, de nombreuses fois mais elle peinait à s’en souvenir, comme s’il lui semblait préférable de n’avoir en mémoire que les impressions. A plusieurs reprises, il avait souri, et peu importait à Jes’ d’en connaître les raisons. Après tout, un grand bonheur s’explique aisément, pourquoi fallait-il justifier de sentiments plus quotidiens parce que justement, ils l’étaient. Une si belle journée, même quand avec l’altitude, le froid montrait ses dents. Au loin, des moutons s’entassaient sur des pentes improbables, guidés par des bergers inquiets des worgs toujours possibles dans ces contrées reculées. Et des hommes, minuscules, au milieu de champs orangés, bientôt à moissonner. La beauté, celle qui vous coupe le souffle, vous fait tomber les bras, et finalement vous jette à terre. Elle aurait aimé pouvoir lui dire ce qu’elle avait en elle. Mais elle n’osait pas, n’osa pas. Là était la raison qui lui faisait préférer l’après-midi. Ils avaient davantage échangé mais sans les mots. Les malheurs rapprochent les âmes… Elle vivait dans une maison minuscule, sans doute un ancien bûcher. Parfaitement carrée, la pièce n’avait pas de fenêtre, juste une cheminée, un lit et quelques meubles dont une table et, heureusement, deux chaises. Le lendemain, finalement une demie saison après ce jour-là, il devait venir. L’excitation et la crainte se battaient l’espace disponible dans son cerveau. Ils s’étaient rencontrés depuis, et pas seulement à l’auberge ; Edoras n’était pas Minas Thirit. Chaque fois, la courtoisie… une continuité de leur descente vers Edoras… que pourrait bien être ce repas ?… Il devait exister pourtant, elle avait grimpé ces rochers grâce à lui. En était revenue « indemne » grâce à lui. Etrange sentiment refoulé, l’excitation menait la danse, elle ne dormait toujours pas. « Au premier jour libre, quand je serai revenue à l’auberge », avait-elle dit. En insistant pour qu’il promette de venir. Elle s’était tenue aux barreaux du lit quand le guérisseur avait tiré sur son pied pour entamer la réduction de la fracture, comme il disait. La main de Drisdan, qu’il proposait, Jes’ l’avait refusée, non par bravade. Ce n’était plus vital, voilà tout. Et la distance, une fois le retour effectué, reprenait ses droits. Dans son esprit, les choses rentraient dans un certain ordre. Mais le poison avait fait son œuvre. Il fallait faire un geste, sous peine de se montrer incivile. Et l’objet de son tourment se tenait là ; admettre qu’une partie d’elle désirait vivre ce moment, dès maintenant. On verrait bien ce que l’on se dirait, les choses s’imposaient. Comme si la chute marquait le point de départ d’une fatalité, sans que Jes’ puisse en déterminer la nature. Faste ou néfaste, l’avenir était écrit. Et sentir qu’elle ne pouvait aller contre l’agaçait, la résignait, l’apaisait. Comme cette nuit où sa chandelle s’était éteinte, elle ne maitrisait finalement rien. Troublante excitation, chaleur irradiant le corps par vagues successives. Humidité maladive, tempête dans un lit, les éléments en lutte, océan et rocher… [0=>5-30]un bébé worg. © Gab MacFarland - Edelweiss:
Don't Disdain Me Leave me still in my retreat You can call it what you will Don't Disdain Me Let all my troubles end You should remember and smile
Come to me in dreams Come to me in dreams No use to talk to me But Don't Disdain Me
Don't Disdain Me Give me yet before I die Let the fair the vain The windings and that shade Only remember me
Come to me in dreams Come to me in dreams No use to talk to me But Don't Disdain Me
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| Sujet: Re: LE CHEMIN Mer 8 Mar 2017 - 12:23 | |
| Il avait attendu. Attendu. Après ces trois jours hors du temps, l'angoisse l'étreignait. Si c'était une mauvaise idée ? Pire, si elle ne venait pas ? Il n'était là que depuis une vingtaine de minutes lorsqu'elle arriva. Balayée l'angoisse, oublié, le mauvais pressentiment qui lui enserrait la gorge. Le départ, enfin ! L'action, la fin de cette insupportable stase.
Ils avaient marché des heures durant, à s'emplir de la beauté de la montagne, les poumons gonflés de grand air et les yeux presque sereins. A parler de tout et de rien, plutôt de riens d'ailleurs mais entrecoupés de silences porteurs de tout. Il s'était fait la réflexion qu'elle lui ressemblait un peu, cette fille-femme sans âge au pas léger et aux yeux trop profonds pour être sondés. Miroirs d'une âme qui a trop porté. Plusieurs fois, il avait souri en la voyant marcher à quelques pas de lui, tranquille, semblant à sa place dans cet écrin de verdure paisible. Elle souriait aussi, au vent qui lui fouettait le visage et au froid qui rosissait parfois ses joues dans ces hauteurs. Un bonheur simple comme il en avait bien trop rarement goûté l'envahissait. Toujours sur le qui-vive, il commençait à se laisser aller à la détente... la vie frappe parfois durement.Jes' fit soudain un pas de travers, sa cheville se déroba et elle perdit l'équilibre, dégringolant le long de la pente avant qu'il ait pu esquisser un seul geste pour la rattraper. Impuissant, il la vit glisser et glisser encore, jusqu'à ce qu'un gros rocher stoppe sa chute. Irraisonné, il faillit se lancer à sa suite. Faillit. Il prit le temps de repérer, dans ces secondes qui paraissent des heures, les bosquets et terrains plats qui lui permettraient de retrouver la piste, un peu plus bas, sans trop de heurts. Et puis, les talons plantés dans le sol, les bras en balancier, une succession de dérapages plus ou moins contrôlés, et l'atterrissage près d'elle. Soudain, plus de mystérieuse serveuse d'auberge, seulement une très jeune femme blessée et angoissée. Plus de soudard aussi farouche qu'un ours dans sa tanière, mais un homme conscient de sa soudaine responsabilité. Il prit rapidement mesure de la distance qui les séparait du chemin en contrebas, l'aida à se relever et comprit qu'elle ne pourrait pas marcher. La suite de la balade allait être difficile. A force de glissades, d'appuis plus ou moins sûrs, d'instants suspendus où seuls le tronc d'un arbrisseau ou ses doigts à lui empêchaient Jes'Aoma de poursuivre sa chute, ils atteignirent le mauvais sentier. Celui-ci était étroit, parsemé de cailloux qui faussaient la marche, et pourtant il leur fint l'effet d'un lieu sûr tant sa relative stabilité et horizontalité était rassurante comparée à l'heure précédente. Sans se laisser le temps de trop réfléchir, Drisdan saisit la jeune fille dans ses bras comme il l'aurait fait d'un agneau ou d'un jeune faon. Elle se cala contre lui et enserra son cou de ses bras minces. En sentant ses mains effleurer sa nuque, il sursauta. Il n'avait que rarement des contacts humains, plus rarement encore avec des femmes ou des enfants, et elle était un peu des deux ainsi abandonnée contre lui, recroquevillée entre ses bras. Elle frissonnait nerveusement, presque fiévreusement, et il espéra que son état n'empire pas. La tension raidit ses muscles. Au bout de quelques centaines de mètres, il comprit qu'ils n'arriveraient jamais à destination dans cette position. Marmonnant à propos des pierres du chemin et de son champ de vision restreint, il la reposa à terre, veillant à ce qu'elle ne soit pas déséquilibrée malgré sa jambe à présent ouverte. Il ôta son sac et son manteau, mit l'un dans l'autre, sortant simplement un grand mouchoir pour bander tant bien que mal la jambe de la petite, puis cala le tout sur son torse et se baissa pour inviter sa compagne à grimper sur son dos. "Tripes de Melkor !"En la sentant s'installer comme il le demandait, là où il avait sursauté tout à l'heure, un vrai sentiment de panique le gagna. Il dut se contenir pour ne pas la dégager aussitôt de son perchoir. En sentant ce corps pourtant menu contre le sien, une petite voix au-dedans de lui hurlait de la planter là, au milieu de nulle part, et de partir sans se retourner pou retrouver sa vie solitaire. Elle avait déjà bouleversé un ordre qu'il croyait immuable, et cela semblait sans fin. Il entama sa marche dans un silence écrasant, le cerveau embrumé de pensées. Le trajet jusqu'à Edoras se fit dans un effort intense, à la fois physique puisqu'il peinait sous le poids pourtant léger de Jes'Aoma, et mental. Il s'obligeait à se concentrer sur la marche, se hasardant de temps à autres à questionner sa cavalière forcée sur son état. Elle répondait invariablement que tout allait bien, et la conversation s'arrêtait là. Il n'avait pas l'esprit à bavarder, et son caractère déjà taciturne faisait le reste. L'arrivée à Edoras, tard dans la soirée, demeurait dans ce même brouillard quasi-silencieux. Il n'avait pas lâché un mot de plus que ce qui était nécessaire.Replié sur lui-même, et pourtant conscient de cette nouveauté dans le schéma de sa vie bien réglée : il connaissait quelqu'un. Cette idée se tourna et retourna paresseusement dans son esprit au fil des jours, creusant son trou, se faisant une place en lui. Une place pour ce drôle de brin de femme, fragile feu follet. Jes'Aoma. ~oOo~ Arrivant à l'auberge le lendemain, il s'installa à sa place en attendant de voir la serveuse surgir de derrière son comptoir. Au lieu de la chevelure blonde habituelle surgit un fouillis de cheveux bruns, la voix qui lui demanda ce qu'il désirait était rauque, chaude, différente en mille manières de celle de sa compagne de la veille. "Evidemment."La blessure de Jes' l'empêchait de travailler, il faudrait s'y habituer. Il demanda un verre de lait, s'amusa intérieurement de la surprise de son vis-à-vis et entama sa journée habituelle en repoussant les heures précédentes dans un coin de son esprit. Le lendemain, il demanda à la brunette toujours ébouriffée comment se portait sa collègue blonde, reçut en réponse une œillade méfiante et taquine à la fois et trouva cela très fort. Il n'insista pas. Deux semaines plus tard, au vu son statut de "secouriste", il finit par obtenir quelques informations qui le rassurèrent suffisamment pour que son souci pour la jeune femme retourne se loger dans un coin de sa tête sans vriller chaque instant de sa vie. Au bout de deux mois, lassé des sourires narquois de la femme qui assurait le service de l'auberge, il apprit qu'elle reviendrait bientôt. Elle lui avait fait promettre de venir manger chez elle ce jour-là, et il avait acquiescé de la tête avant de s'éclipser. Sans laisser le spectre installé confortablement en lui perturber de trop son quotidien, il se prépara tranquillement à la voir revenir dans sa vie. ~oOo~ Au jour dit, il prit son temps pour aller jusqu'à la cabane où elle vivait. Le soleil était plus tôt dans le ciel au fil des mois, et il était déjà haut lorsqu'il frappa à sa porte. Celle-ci s'ouvrit. Elle était là, comme si tout n'avait été qu'un rêve. Il accrocha son regard, sourit. "Bonjour.."Il ne savait pas comment l'appeler, aussi il se contenta de cette salutation, mais son regard démentait la banalité de ses paroles, et le sourire qu'il lui avait adressé était suffisamment rare pour signifier son contentement de la voir rétablie. L'ombre d'appréhension qu'il avait eue au moment de franchir la porte s'était dissipée, il se sentait étrangement à l'aise auprès de la jeune femme. Sa simplicité contrastait agréablement avec les yeux charbon de sa remplaçante, qui semblaient toujours le narguer ou l'inviter à on ne savait quoi. Il savait pourtant qu'elle était loin d'être timide, que son attitude calme et respectueuse ne l'empêchait pas d'oser prendre la parole quand il le fallait. Raclant la gorge, il reprit : "Est-ce que ça va mieux ?"L'évidence était face à lui, elle allait mieux, mais il ne savait pas ce qu'il en était de sa jambe. |
| | | Jes’Aoma Arlaine Embu
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| Sujet: Re: LE CHEMIN Lun 27 Mar 2017 - 21:15 | |
| Jes’ savait faire la différence entre des banalités permettant d’alimenter une conversation vide et des propos sincères. Son nouveau métier, il fallait bien appeler cela ainsi, lui avait donné ces clés de langage en cadeau de bienvenue, dès la première semaine. Et de toute manière, Drisdan, assurément son client le plus fidèle, le buveur de lait qu’elle connaissait le mieux, parlait vrai. Elle l’avait vite compris. Et rassura l’homme ; oui sa jambe allait bien et il n’était pas nécessaire de s’étendre sur la marque rouge, excroissance disgracieuse, qui souillerait sa peau à vie à cet endroit-là. Il n’était pas près de la voir, sauf circonstance improbable que personne n’imaginait alors lui dire que c’était indolore mais laid était vain. Indolore suffisait. Jes’ s’en fichait, quand on a un doigt de travers on sait que l’on ne sera jamais une sirène. Et puis… Tandis qu’elle lui avait servi un verre de lait, confidence de leur proximité, elle l’avait regardé avidement. Sans se montrer, surtout pas, juste porter un regard attentif et précis. Lui non plus n’était pas dans son état normal, du moins à ce qu’il semblait. Sans qu’elle put déterminer s’il était pour une fois vraiment lui-même. Peut-être se moquait-il de « la poupée », comme tous les autres clients. Le risque était faible, après tout, ils avaient passé des heures proches comme deux amants, sur un chemin escarpé, dangereux, dans une situation inconfortable. Il aurait pu mille fois se moquer d’elle, tempêter, elle ne savait quoi d’autre. Mais il n’avait rien dit, sauf le nécessaire. Et elle ne pouvait imaginer sa souffrance, ce besoin de garder tout son souffle pour l’effort. Il n’était pas moqueur, ni joueur. Un être pur. Le genre idéal, ainsi que les sœurs des feuilles tombées les décrivaient. Oiseaux rares capables de donner sans attendre un merci. Ce fut la première vague. Tandis qu’elle s’affairait à détacher du fond du poêlon un morceau de viande récalcitrant, elle se lança dans des platitudes sur les nuances de blanc des neiges de là-haut. Ses mots, énoncés au rythme de la cuillère en bois qui frottait tant et plus, n’intéressaient personne. Même le vol plané de la viande, enfin décollée, ne retint pas tout à fait leur attention. Il atterrit à ses pieds. Jes’, gardant pour elle tout son bréviaire de jurons, saisit le morceau comme un trophée dérisoire, le plongea sous l’eau fraîche réservée pour le prochain pichet. Et le remit parmi les autres comme si de rien n’était. On ne gâche pas chez les feuilles tombées. Et aucun homme du Rohan ne s’offusquerait. La nourriture avait trop de prix pour s’arrêter à ces détails sanitaires. Dans l’air, une inconscience. Un chiffon épongeant le gras laissé au sol, encore une proximité entre eux deux, lui si proche, immobile. Peut-être gêné ou seulement attentif à ne rien dire de blessant… En se relevant, un sourire lâché par elle, une invitation à montrer qu’elle savait affronter les crises sereinement. Vois comme je ne m’encombre pas de protocole. Je suis une fille simple. - J’ai seize ans demain à ce qu’il paraît.Une vieille histoire entre eux. Presque un aveu qu’elle ne pouvait pas faire tant que l’échéance ne serait pas passée. Son patron, sec comme un coup de trique, ne devrait rien savoir mais désormais elle ne risquait plus grand-chose à l’avouer. Et de toute manière, les sœurs, seules en connaissance de son âge, s’étaient peut-être trompées. Rien ne démontrait qu’elle n’était pas plus « grande ». Elles préféraient toujours minorer, c’était ainsi. Le jour de son anniversaire était donc théorique. Demain… Jes’ avait dit qu’il saurait un jour. Et sa parole avait force de loi, elle ne se voyait pas la trahir. Quant à expliquer pourquoi cela sortait maintenant, en pleine voltige de barbaque, seule la fourberie donnait du sens à l’instant. Détourner l’attention, un écran de fumée, la dérobade. Pour Jes’, une parole ne pouvait être reprise. Tout en se relevant, elle avait fixé les yeux de l’Homme, s’interrompant le temps de se montrer comme elle était. Un portrait magnifique, l’insouciance au réel, et le refus du noir. Vois, regarde-moi bien, je suis lumineuse, et bouillante, et craintive, et battante… Et trop jeune. Un émoi de plus, comme un feu aux joues quand on vous regarde trop bien pour ne pas vous dénuder. Ce fut la deuxième vague. Il ne fallut pas longtemps pour que les champignons dorent, fondent et se collent aux carrés impeccablement découpés pour tous se ressembler. Et cuire à l‘unisson. Une odeur à faire mourir de faim, elle savait cuisiner. Seize ans… Et pourquoi faire. A quoi bon dans ce monde violent où les enfants ne comptent pas. Des pions sur l’échiquier des généraux, tout juste bons à faire des soldats ou des ventres à soldats. Et pourtant. (0 :13 =>)Assis l’un en face de l’autre, dans l’ambiance calme des gens qui se connaissent depuis toujours, n’ont plus besoin de nourrir le silence en discours frivoles, ils savouraient désormais son ragout. Peu importait qui aurait la fève, le morceau tombé par terre. C’était réussi, elle était fière d’elle, tentant de ne rien montrer, elle profitait du spectacle de l’homme, en face. Pourquoi des gestes simples devenaient-ils cérémonieux ? Au point de provoquer en elle des picotements de plus en plus incontrôlables ? Ce calme lui plaisait, elle ne demandait rien d’autre que sa présence, cela suffisait. Et si les frissons devenaient insistants, si d’étranges phénomènes se mettaient en action un peu plus bas, elle n’en avait pas le sentiment. Jes’ devenait femme par un processus involontaire, inéluctable. Elle s’arrêta un instant, la cuillère en l’air, pleine de sauce. Et le fixa longuement ; profitant, savourant, éprouvant pour la première fois le bonheur de ces frissons. Ce fut la troisième vague. Mais quand il la surprit, elle détourna le regard pour ne pas le gêner. Peut-être lui n’était-il qu’un invité, un homme assis devant une gamine maladroite juste douée d’à-propos et d’une main en or question cuisine. Ce n’était pas le plus probable mais elle devait rester prudente. S’engagea alors un balai d’évitements, de gestes faits pour s’éclipser, ne pas montrer qu’elle pensait à lui d’une façon peu recommandée. Elle esquivait le moindre accent les rapprochant, tout en épiant sa proie. Une chasseresse, à l’affût, face à un prédateur capable de la réduire en miettes à la moindre erreur. Il était beau, c’était toujours plus insupportable (=>3 :29). Le désir devenait violent. Et personne n’aurait pu mettre leurs dérapages sur le compte de l’alcool, ils n’avaient bu que du lait. Et de l’eau. Jes’Aoma Arlaine ne se contrôlait plus. Feuille livrée aux quatre vents, tombée mais jamais posée, portée par le cours d’événements extravagants, déposée dans les bras de la destinée, là-haut, sur ce chemin brisant les os, braisant les cœurs. Le dessert, des petits gâteaux aux pépites de baies rouges, une recette éprouvée des sœurs, elle le lâcha sur la table sans ménagement. Un bruit sourd, bois contre bois. Ce fut la cinquième vague. Scélérate. En deux temps. Jes’ n’avait pas ressenti celle d’avant, trop occupée à se cacher de lui. Comme une vengeance, l’onde avait appelé une sœur, et les deux combinées l’avaient définitivement dégondée. Portée par ce duo de sac et de corde, elle avait sauté au cou de Drisdan. Ce qui advint ensuite prit la forme d’un séisme. En elle, des marées impétueuses frappant le rocher. Une émotion inavouable, triviale. Enfouie dans la douleur de cette nuit-là. Etait-il possible de vivre après ? Jes’ le prit dans ses bras, ne lui laissant pas la possibilité d’agir, l’enserrant comme un serpent étouffe une souris. Economisant le venin si précieux. Elle le brutalisait, des élans inconvenants. - Protégez-moi.La digue venait de rompre. Une complainte, des mots chuchotés… Tous les appels impossibles à lancer cette nuit-là, tout le malheur éprouvé depuis, toute cette horreur venait de prendre forme et c’était tombé sur lui. Cette fois, elle se tenait bien plus proche que lors du sauvetage en montagne. Aucun espace entre eux, Jes’ y veillait. Il ne pouvait échapper au torrent sortant de ses yeux. Qu’il le veuille ou non, il était une terre inondée. - Protégez-moi.A lui de savoir si elle se répétait. A lui de dire si une fois suffisait. Car elle ne savait plus rien. Peut-être insistait-elle, comme une litanie, ou alors l’écho d’une autre marée, dans cette maison minuscule les mots pouvaient rebondir sur les murs. Un embryon est si petit que deux êtres, et seulement deux, peuvent tenir dedans pour ne former plus qu’un. Et il n’y a pas la place pour davantage. Elle ne l’avait sans doute dit qu’ une fois mais la vie insistait. - Protégez-moi.© Gab MacFarland - [Le bassin]:
Ce soir, j’oterai la gelée sur le toit en allumant un feu
Bashō, seigneur ermite, 223
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| Sujet: Re: LE CHEMIN Ven 31 Mar 2017 - 22:58 | |
| Seize ans. Elle était aussi jeune qu'il l'avait imaginé la première fois qu'il l'avait vu. Pourtant, après les heures vécues à ses côtés et même au vu de sa manière d'être, il s'était persuadée qu'elle était bien plus âgée. Il avait même imaginé qu'elle pouvait avoir du sang d'elfe, pour sembler aussi jeune avec dans les yeux la lueur des Sans-Âge. Seize ans. Elle pourrait être sa fille, si elle n'était pas aussi blonde que lui était brun avant de se raser le crâne. Elle avait l'âge d'être sa fille, ou au mieux sa petite soeur. Une toute petite soeur. Si jeune...
"Seize ans... Melkor ! Je suppose que j'aurais dû m'y attendre..."
Regardant la jeune fille aller et venir dans sa cuisine pour préparer le repas, Drisdan prit soudain toute la mesure de ce que cela impliquait. Une vraie femme-enfant, dans sa fragilité et sa soif de grandir, sa soif d'attention et d'affection. Ses yeux sourirent en la voyant remuer quelques morceaux de viande au fond du récipient posé sur le feu. Drôle de personnage, mais attachant en fin de compte. Le calme du repas faisait écho à son calme intérieur, et cela lui fit du bien. Il lui semblait retrouver un semblant de famille avec cette petite femme maladroite mais droite, pleine d'une force insoupçonnée qui lui faisait serrer les dents et se relever à chaque chute. Son plat était simple mais bon, le cadre agréable, le lait bien frais. Lui toujours sur le qui-vive, il goûtait à la quiétude.
C'est pourquoi il sursauta violemment lorsqu'il vit soudain son hôtesse se tourner vers lui, avancer et le serrer dans ses bras sans qu'il puisse rien faire. Prisonnier. Etouffé dans cette étreinte qu'il n'avait pas anticipée, encore moins voulue, cette étreinte éperdue. Raide, figé, statufié, comme gelé sur place par le plus froid des vents du Nord, il demeura inerte. Elle répétait à l'infinie une litanie qui glaça encore davantage son sang dans ses veines, le rendant incapable du moindre mouvement.
"Protégez-moi"
Il ne sut combien de temps ils restèrent ainsi figés, l'une suppliant à travers ses larmes et l'autre incapable d'esquisser un seul geste. Son cerveau tournait en boucle, dans un cercle de panique allant en s'aggravant. Après sans doutes quelques secondes, qui lui semblèrent pourtant des siècles, il retrouve soudain l'usage de son corps et la repoussa violemment. Les yeux agrandis de surprise et d'effroi, il considéra ce petit amas surmonté d'une tête blonde, tremblant contre le mur. Secoué de frissons tout aussi violents, il se laissa retomber sur son siège, sans forces.
Une autre éternité passa.
Elle n'avait pas bougé, lui non plus, suspendus comme hors du temps. Il se hasarda finalement à remuer, pour se passer la main sur le visage en tentant de contrôler les dernières secousses qui agitaient tout son corps. Il prit une profonde inspiration, battit trois fois des paupières, déglutit et ouvrit la bouche.
"Ne... refais jamais ça. S'il te plaît."
Sa voix était brisée, son ton suppliant, sa gorge sèche comme les déserts arides du Mordor. Il saisit le verre de lait, en but avidement quelques gorgées puis le reposa, toussa et leva les yeux. Sans la quitter du regard, il hésita puis rouvrit la bouche. Il lui sembla que ses lèvres craquelaient en prononçant chaque mot, tandis que son prénom sonnait une nouvelle fois dans sa bouche.
"Accepte mes excuses, Jes'Aoma. Tu m'as surpris et je n'aime pas les surprises. De même que je n'aime pas que l'on me touche."
Il avait rarement parlé autant depuis qu'il la connaissait, ses phrases étaient toujours brèves. Il aimait écouter les conversations sans y participer et n'ouvrait la bouche que lorsque cela lui semblait nécessaire. Mais ce midi était l'une de ces occasions qui nécessitent un discours un peu plus long que quelques monosyllabes, aussi après avoir fermé les yeux un bref instant et crispé les poings, il continua :
"Je te l'ai dit un jour, certaines choses me sont interdites. S'il faut que je te rende un quelconque service, parle-moi et je t'aiderai, mais ne recommence pas à t'approcher de moi ainsi. Dans le cas où tu ne te sentirais pas capable de vivre ainsi, il me faudra quitter le village et m'installer ailleurs."
Les mots étaient tranchants, bien qu'il tentât de les rendre moins froids. Sans qu'il ne s'en rende compte, ses ongles s'enfonçaient dans sa chair sous l'effort qu'il faisait pour tenter de se faire comprendre. Il se racla la gorge une nouvelle fois.
"Je te remercie pour ce repas, voilà longtemps que je n'en avais mangé de pareil. Sache que si tu le désire à compter de ce jour tu es pour moi... comme un membre de ma famille."
Cette fois il se surprit lui-même, pourtant encore une fois chaque mot était juste. Elle était entrée dans son univers lentement, avec ses pas mesurés de danseuse, mais il n'imaginait pas pouvoir l'en faire sortir. A sa manière, elle lui était aussi précieuse que le souvenir lointain et chéri de sa mère et de sa soeur. En plus blonde, plus menue, plus fragile, en plus présente aussi. Plus réelle. Sans rien ajouter, il finit par lui tourner le dos. Il sortit à pas pesants de sa maison et s'éloigna sur le chemin, sans un regard en arrière, perdu dans le chaos de ses pensées. |
| | | Jes’Aoma Arlaine Embu
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| Sujet: Re: LE CHEMIN Sam 1 Avr 2017 - 21:39 | |
| Une goutte d’eau. Les jours suivants, Jes’ ne changea rien à son quotidien. Les services, la serpillère, les vaisselles ; et aussi la cuisine. Il le fallait, son patron venait de perdre son « chef-cuistot », comme il disait. N’ayant pas gâché son temps, elle avait appris certains de ses secrets et parvenait à maintenir un certain degré de qualité dans les assiettes quand il fallait mettre la main à la pâte. Oh… Pas de prétention dans cette auberge. Si déjà ils parvenaient à faire illusion auprès des habitués, si au moins les plaintes ne se multipliaient pas, le pari serait gagné. Pour le reste… Drisdan était là. Toujours les mêmes verres de lait, toujours ses habitudes que rien ne semblait ébranler. Il n’était pas question de lui faire sentir la dévastation à l’intérieur. Jes’ était polie, exactement comme avant. Elle souriait, ce qu’il fallait, sans jamais cesser de le vouvoyer. Aucune allusion à ce qu’ils s’étaient dit. C’était donc ça la vie ? Se taire et mourir à petit feu ? La petite n’y comprenait rien. L’impression que les sentiments étaient encore plus horribles que les souffrances physiques. Personne n’aurait imaginé ce qu’elle avait enduré. Et tout le monde s’en moquait. Une fille, tu parles, ça ne compte pas si elle ne porte pas la couronne d’héritière d’un trône. Alors elle… Violée, déchirée, dépecée. Mais ce n’était rien en comparaison de ce qu’elle éprouvait depuis ces mots affreux. « Un membre de ma famille »… Juste un lointain cousin, une connaissance, que l’on salue au début d’une fête… Jes’ se consumait d’un élan inconnu. A n’en plus dormir la nuit. Et ne plus penser à autre chose. Là se tenait la différence. Son décès, toute la nuit durant, sur cette route voilée par les nuages, sombre, cette mort, elle avait presque fini par en faire une catastrophe remédiable. Et si elle y pensait encore souvent, elle ne souffrait plus dans sa chair. Du moins était-ce ainsi qu’elle le voyait. Mais là… Il fallait bien l’admettre, c’était pire. Deux fers incandescents l’un contre l’autre. Et Jes’ au milieu. C’était donc cela qui provoquait les pleurs des femmes, ces émotions qu’elle avait vues parfois, dans les rues de Minas Tirith. Mais en elle la douleur prenait une autre forme. Une implosion, un ouragan ne laissant plus la moindre poussière intacte après son passage. Juste le néant. Les sœurs lui avaient transmis l’abnégation, une forme de renoncement à soi. Jes’Aoma faisait en sorte de suivre leurs préceptes mais elle pliait jour après jour, depuis l’effraction des brutes. Une révolte couvait en elle, particulièrement redoutable car tournée contre elle-même. Si elle n’avait pas quitté les feuilles tombées, si elle n’avait pas abandonné Nilù, jeune comme elle… Si…si… Tout était de sa faute. Jamais elle n’aurait dû se « lier d’amitié » avec un client. Tout cela constituait le prix de son ignorance. Des pensées improbables la rongeaient. Pourquoi elle ? Pourquoi donc tout se refusait avec autant d’obstination ? Et personne pour l’aider. La conseiller. Finalement, elle ne faisait que reprendre sa vie d’avant leur rencontre. Se cacher derrière un paravent, faire semblant. Le paraître, au plus haut degré de pureté. Tout ce qu’il lui avait dit tenait en un mot : non ! Car elle n’avait rien écouté, guidée par ce cœur qui s’ouvrait enfin. Mais il n’avait pas voulu d’elle. Se voir rejetée ainsi était immérité. Oui, elle serait à jamais souillée, méprisée, sale. Simplement sale, intouchable. Bonne à servir d’objet aux fantasmes des salauds et des brutes. On ne repousse pas impunément les sentiments d’une personne dans sa situation. Il lui avait fallu une belle dose de courage, d’inconscience, pour ainsi se livrer. En vain. Une goutte d’eau dans le lit.. Bien sûr c’était injuste pour lui. Jes’ ne l’avait pas écouté. Comme un combattant sonné à la tempe, son oreille avait cessé d’entendre au premier rejet. La suite, elle ne s’en souvenait pas tout à fait. Le réveil fut tardif. Lui parti, la chaise vide, la table encore dressée. Et plus rien. Il fallait bien survivre. Les lendemains s’étaient enchainés depuis. Par dizaines. On était au cœur de l’été désormais. Une goutte d’eau dans le lit d’une rivière asséchée… Le verre posé sur la table, rituellement. Une goutte d’eau dans le lit d’une rivière asséchée, tombe au lieu de s’évaporer. Elle irise une surface blanche, se mélange dans l’instant.
- Ce qu’il fait chaud aujourd’hui…
Sa meilleure excuse en cas de malaise. Un écho… Faisant mine de s’essuyer le front, elle pesta contre la sueur inventée qui la gênait. Pour mieux s’évader de sa vie, elle s’enferma aux toilettes. Fondre en larmes. On se prétend fort à ces âges. Et l’on s’imagine indestructible. Elle, pourtant déjà fracassée une fois, aurait dû le savoir : personne ne fait le poids. Et pourtant, elle était repartie à la conquête du monde, malgré elle. Pour se retrouver là, assise dans les odeurs de pisse et de merde. A suinter le pus de sa vie. Il lui fallut de longues minutes avant de ressortir. Malheureuse, décidée à ne plus jamais rien montrer. Ni donner. C’en était fini. Sur la table, le verre était vide. Rien d’étonnant. Et la question n’était pas de savoir s’il l’avait bu ou pas. Dans tous les cas, son ultime émotion d’enfant avait disparu. Il n’y avait plus rien. Plus rien du tout. Quelle illusion d’avoir cru être morte la fois d’avant. Et quelle prétention d’avoir cru exister un tant soit peu pour quelqu’un. Non, elle n’était rien. Pour personne. Il fallait juste l’admettre et passer son chemin. Reprendre le cours de son mensonge. Tuer dans l’œuf cet espoir minable. Le suicide venait d’avoir lieu. Dans le recoin de l’auberge ou les gens se vidaient les tripes. Ce qu’elle avait fait à sa manière. Regarde-moi bien, tu as eu raison de me répandre par terre. Je ne suis rien et c’est aussi bien ainsi. Se dirigeant vers lui, elle sourit machinalement. De ces sourires que l’on sert sans y mettre une once d’âme. Et surtout sans que l’on puisse déceler le mensonge dans les intentions. La mort l’avait emporté.
- J’espère qu’il était bon !?! © Gab MacFarland - She's not:
Dernière édition par Jes’Aoma Arlaine le Sam 6 Mai 2017 - 9:00, édité 1 fois |
| | | Ciara Naine option nomade Nombre de messages : 437 Feuille de personnage Race: Naine d'Erebor Possessions: Sacoche à outils Statut: Joueur(se) actif(ve)
| Sujet: Re: LE CHEMIN Mer 26 Avr 2017 - 0:08 | |
| La course des jours avait repris. Après l'instant d'éternité vécu chez Jes', Drisdan avait replongé dans son quotidien, le coeur plus léger. La jeune fille blonde était désormais ce qui lui tenait lieu de famille, et il s'était juré de la protéger et de la rendre heureuse. Sans parvenir pour le moment à lui montrer son affection autrement que par de petites attentions ou par des mots, il l'entourait dès qu'il le pouvait d'une sphère de tranquillité que rien ne devait percer. Les soudards qui autrefois la regardaient d'un peu trop près avaient vite compris que la petite serveuse n'était pas n'importe qui et qu'il était dans leur intérêt de lui témoigner du plus grand respect. Bien qu'il fasse tout son possible, pourtant, sa protégée semblait avoir couvert à nouveau la flamme qu'elle lui avait laissé entrevoir. Tu t'éteins, sous mes yeux, sans que je puisse rien faire Et ton sourire heureux n'est plus qu'un souvenir Tu sembles comme brisée en mille éclats de verre Tandis qu'en moi résonnent les échos de tes riresElle allait et venait comme une figurine sans âme, comme ces pantins dont il avait vu des bonimenteurs tirer les ficelles lors des foires l'an passé. Ses sourires n'y faisaient rien. Un verre, un sourire, demi-tour, le comptoir, bonjour, au revoir, le rituel semblait réglé comme une boîte à musique, voué à répéter inlassablement les mêmes notes. Où étaient les trilles joyeuses ? Je veux te soulager de ton mal silencieux Toi et moi sommes faits d'un même bois, je le sens Le poids du monde entier nous pèse à tous deux Pourquoi refuse-tu la main que je te tends ?Jes'Aoma semblait s'étioler, s'échappant de son corps comme la fumée glisse entre les doigts en n'y laissant qu'une odeur de feu de bois, un souvenir pâle. Pâle copie. Triste fille, serveuse comme il y en a des milliers, venant s'enquérir de sa satisfaction par automatisme. N'y tenant plus, Drisdan répondit : "Très bon. Pourrais-je te parler ?" "Bien sûr, que voulez-vous ?"Elle gardait cette surface lisse, neutre, les lèvres tordues en un sourire affable mais les yeux éteints. Drisdan hésita. Comment trouverait-il les mots capables de briser cette carapace dans laquelle elle s'enfermait ? Il répondit cependant : "Simplement te parler. Comprendre... pourrions-nous discuter pendant ta prochaine pause ?""...Si vous y tenez... je quitte à la fermeture ce soir..."Drisdan se contenta de cette réponse laconique, acquiesça et se détourna. La taverne était silencieuse lorsqu'il poussa la porte et sortit sans rien ajouter. Jusqu'au soir, il demeura prostré sur le bord du chemin, non loin de la falaise, observant sans le voir le ciel qui s'obscurcissait, devenant aussi sombre que les idées que Jes' faisait jaillir dans son esprit. Aussi noir que les milliers de questions qui se bousculaient dans son esprit habituellement calme. Aussi torturé que lui depuis que la jeune fille avait croisé sa route. La nuit tombée, il retourna à pas lents jusqu'à l'auberge, un mince croissant de lune l'observant depuis le ciel entre deux nuages. Le temps était à l'orage, l'air aussi lourd et pesant que ses pas. Il lui semblait que déjà sa décision était prise, et qu'elle allait obliger son existence bien ordonnée à prendre une courbe imprévue et certainement désagréable. Malgré ce pressentiment, il fut heureux en arrivant à destination de voir la silhouette de la petite serveuse se profiler dans l'entrebâillement de la porte. Son service n'était pas terminé, quelques clients s'attardaient encore dans l'établissement presque déserté. Il attendrait donc, le temps qu'il faudrait. Il entra, s'installa contre le mur près du seuil et demeura là, à observer cette scène qu'il pensait immuable quelques semaines plus tôt : elle, serpentant entre les tables ou installée au comptoir, à servir les hommes en souriant sans affectation. Elle mettait dans cette salle trop sombre la clarté de ses cheveux blonds dont les reflets semblaient d'or à la lumière des torches. "Un rayon de soleil", songea-t-il en la suivant des yeux. "Mais un rayon qui vacille et se meurt."- Ecriture...:
Voilà ICI de quoi accompagner ce face à face avec une Jes'automate (et non Jes' aux tomates !) Par ailleurs, je me suis essayée à la poésie, j'espère que vous aimerez
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| | | Jes’Aoma Arlaine Embu
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| Sujet: Re: LE CHEMIN Sam 6 Mai 2017 - 8:59 | |
| - Prolégomènes (et paradoxe):
Merci à toi, Haruki Murakami, qui dans les ultimes pages de ton dernier livre m’a littéralement donné l’ambiance permettant ce post : Le choix de Jes’ (ici, elle aurait pu s’appeler Sophie, ou M.)Des hommes sans femmes, c’est un peu de cela qu’il est question, ou « les uns sans les autres ». Quels choix, pour quelle vie ? Pourquoi écrire ainsi, pourquoi une animation si ce n’est pour supporter le trait de plume ? Aimer. Aimer Jes’, aimer Drisdan, aimer ce qu’ils sont, leur lutte insignifiante dans un monde violent, tellement moins pourtant. Allez, trêve de bavardage, écrivons, lisons. C’est ce que nous réalisons le moins mal. (Dernier merci à 'Dimitri from Paris', qui a repris l’esprit de Percy Faith, musique que les frères Cohen ont instillée dans les rêves embrumés de Lebowski, ce qui est léger est profond, parfois) Ce qui suit est un dialogue, les mots de chaque personnage sont ceux de la personne qui les anime, quand Drisdan parle, c’est Ciara qui écrit. Protocole désormais connu. Bonne lecture !
Le temps fut interminable. Espièglement, la journée de travail fut une longue attente, peu de clients, des courses déjà faites. Et une fois tout le ménage terminé, le rangement de la cuisine, les carreaux des fenêtres et le bois rentré pour le lendemain, l’après-midi était à peine entamé. De cette façon, Jes’ ne pouvait échapper aux questionnements d’avant rencontre. Ressasser, elle ne le voulait pas : là fut la véritable torture, échapper à soi-même, refuser de réfléchir, ne pas céder à la tentation d’y penser. Elle avait pris une décision et Jes’ n’est pas une femme versatile. En sortant, finalement pas si tard, elle le vit, devant elle, comme prévu. - Vous m’avez attendue, comme c’est gentil de votre part.- N'est-ce pas normal pour un rendez-vous ?La réponse immédiate, presque cinglante, aurait pu déstabiliser Jes’. Un rendez-vous. Ainsi voyait-il les choses. Prenant soin de ne rien montrer de sa surprise, et la pénombre l’y aida sans doute, elle respecta ses résolutions initiales. - Je ne sais pas. En tout cas vous êtes là.Et se mit à marcher en direction de sa maison, sans vraiment penser à l’instant d’après. Il faisait un peu frais pour cette heure de la nuit. Un chat traversa devant eux, à une allure qui ne laissait pas beaucoup d’espoir à la souris qu’il pourchassait. Ses yeux suivaient l’affaire avec intérêt quand elle fut cueillie par lui. - Je suis là. Mais toi, où es-tu passée ?Il lui avait pris le bras. Mais pas de la manière impérieuse de ceux cherchant à rompre l’équilibre. Elle sentit une bienveillance. Fragilisante à dire vrai. [0=>15][0.18=>4.54]- Moi ?...Elle avait cru pouvoir être forte, résister. S’étant promis, juré, de tenir… Et puis… non. C’était trop dur. Fallait-il le repousser. C’eut été préférable. -…moi, je ne compte pas vous savez. Vous feriez mieux de m’oublier.- … Est-ce là ce que tu souhaites ? Ne pas compter, être oubliée ?Il était resté sans voix un long moment, interminable aux yeux de jes’ qui se sentait brûler de l’intérieur, même si elle faisait tous les efforts possibles pour ne pas révéler la tempête. Jes’ repoussait la décision, ne parvenant pas à choisir entre le repousser et tout lâcher. - Je suis une feuille morte. Jusqu’à il y a peu, je n’en avais juste pas compris le sens.Elle s’en voulait d’avoir parlé d’oubli. Car on oublie les choses que l’on a en mémoire. En disant ces mots, la petite avait inscrit dans le marbre la force du lien entre eux. C’était trop tard, et si lui ne l’avait pas encore compris ainsi, Jes’, elle, percevait le poids de ses paroles. Maladroitement, elle tentait donc de refermer la porte sans le blesser, par des pensées incompréhensibles. Mais elle prenait une fausse route car lui pourrait tout aussi bien éprouver une envie grandissante de résoudre ces mystères. - Jes'... tu n'es pas une feuille morte. Un bourgeon te siérait davantage, peut-être figé par une gelée tardive mais un bourgeon tout de même, capable d'éclore et de donner une fleur magnifique puis un fruit savoureux. Crois-moi, tu n'es pas une feuille morte. Elle n’eut pas le temps de répondre qu’il ajouta. - Jamais plus je ne veux t'entendre dire une chose pareille. Et la douceur reprenait le dessus. Ils échangeaient désormais. Chose nouvelle pour elle. Mais un doute subsistait. Qu’aurait-elle aimé entendre ? Ces mots-là suffisaient-ils ? Des gentillesses, elle en avait eu parfois venant des sœurs, plus souvent des enfants dont elle aimait tant s’occuper. Le ton était le même, tendre, affectueux. Un geste d’amour. Mais comme il l’avait dit lui-même à la fin du repas. Frère et sœur. En elle, rien de tout cela. Comment dire la souillure ? Comment oser s’offrir entière en sachant l’impureté totale qui était en elle ? Jes'Aoma ne pouvait pas. Il fallait céder. C’était le mieux à faire, mentir sur ses sentiments, mentir pour ne pas se trahir totalement. Pieds et poings liés. On réfléchit vite finalement dans ce genre d’instants, ceux où l’on cède. - …Vous avez sans doute raison…Le ton ne cachait rien de son abandon. La raison… opposée à la déraison de son amour. Le mot lui était venu d’un coup, une évidence que l’impossible dévoilait avec ironie. - … pardonnez-moi, c’est pitoyable de s’écouter à ce point. Faisons comme si je n’avais rien dit.Elle accumulait les mensonges comme autant de coups de couteau dans le corps d’un mourant. C’était décidé, elle quitterait Edoras, et le plus tôt serait le mieux. Il fallait s’éloigner de ce qui n’était plus possible, ne l’avait jamais été, ou seulement dans un rêve. - Vous serez à l’auberge demain ?Intonation lisse, propos de serveuse transparente. Tout rentrait dans l'ordre. - Non.Mais un ordre chaotique. Jes’ avait tenté une diversion, ne s’attendait pas à cette réponse. Il lui avait semblé que Drisdan ne faisait pas ce qu’il avait en lui mais comment savoir ? De son côté, partir se transformait en évidence. Mais qu’il ne soit pas là le lendemain, peut-être son dernier jour ici, ne lui permettrait pas de terminer le cycle de leur histoire. Ici, maintenant, alors qu’il avait pour une fois amorcé quelques gestes, c’était peut-être déjà la fin. Il en faudrait pourtant tellement plus pour qu’elle ose dire. En d’autres temps, elle se serait mise à hurler de rage face à la contrariété. Je’sAoma Arlaine n’avait plus l’âge. - Oh… On dirait que vous le faites exprès.S’entendant dire ces mots, elle s’en voulut de suite. Une fois de plus, quel démon l’animait donc ? Qu’il réponde vite, qu’il efface cette absurdité par pitié… - Bien sûr que je le fais exprès. Je ne veux plus te voir te morfondre. S'il faut que je sois imbuvable pour que tu réagisses, alors soit. Si c'est ma présence qui t'éteint ainsi, je pars dès demain. Mais si au contraire je suis capable de te réveiller, pourquoi voiles-tu ton âme ?Ces mots étaient trop directs, si peu à son image. Ordinairement, elle pouvait se cacher derrière un flou dans les intentions de Drisdan. Pour une fois, tout était droit, presque saignant, sans froideur pourtant. Ses genoux vacillèrent à l’idée de tout lui raconter. C’était impossible, nécessaire s’il voulait comprendre ; mais bien trop dur. Elle eut le courage de le fixer dans les yeux, qu’il voit la douleur inonder son visage. Tout en elle perdait l’équilibre. - Mais… elle est déjà morte… Elle aurait préféré, tout compte fait, tenir debout comme une grande. Entre l’écoeurement de repenser à cette nuit-là, tout le temps, impossiblement et le désir d’être réconfortée, juste prise dans des bras d’homme, Jes’ cumulait les peurs. Ses jambes finirent par la trahir, elle s’effondra. Drisdan eut juste le temps de la rattraper avant que sa tête ne heurte le tas de bois du boulanger. Ils s’étaient arrêtés depuis peu à cet endroit de la rue prisé de tous en journée, pour les odeurs extravagantes qui berçaient les esprits ; espérant cueillir les dernières effluves du jour ? Instinctivement, il la serra dans ses bras. Pour s’assurer de la tenir fermement, ou parce qu’en lui des élans se manifestaient, qui peut dire… Alors que pouvait-elle faire ? Dans un état normal, s’ouvrir aurait déjà constitué un exploit. Lui si fort, presqu’impressionnant. Elle tellement ridicule. A l’évidence, elle venait de comprendre le sens de ses sentiments, leur réalité. Mais les dire… Et puis de toutes façons, elle n’était pas en état. Son esprit, embrumé par la nausée, ne le permettait pas. Lui voulait savoir mais comment lui avouer sans le faire fuir ? Ni l’apitoyer. Une tâche impossible. [0=>3.20]. Elle tombait toujours plus dans l’abîme, seules deux branches la retenaient, deux bras d’homme, mais pour combien de temps encore. Accepterait-il la réalité ? Jes’ ne réfléchissait plus, n’entendait plus, aveugle et sourde, totalement infirme. Elle tremblait pourtant, mais il pouvait tout aussi bien penser qu’il s’agissait d’une réaction au froid imposé par la nuit. Cristal de glace prêt à disparaitre aux lueurs du soleil. Une algie pour qui n’était pas dans le secret des mots. Revivre ces heures noires, devoir en passer par là, subir l’écho comme aussi insupportable que son origine. Elle en passait par là, sentant en elle chaque coup reçu ce soir-là. L’âme à nouveau meurtrie, le corps épargné comme unique consolation. « Tu en redemandes la petite hein ?»…. le souffle épais…. L’évanouissement de l’esprit... son cadavre animé par les saccades… « … », sa dépouille... -…. Ils sont en moi… les fantômes… Disparue…Jes’ n’avait jamais réfléchi à sa vie de femme avant. Il faudrait bien admettre le moment venu qu’elle était impossible désormais. Mais la vérité… Dire la vérité, au moins son début… faire confiance, à nouveau, accepter de donner, sans craindre… Aimer. © Gab MacFarland - Il ne voudrait pas d’elle, c’était écrit. Une vie à réparer ce qui ne peut pas l’être, aucun homme n’est armé pour cela.:
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| | | Ciara Naine option nomade Nombre de messages : 437 Feuille de personnage Race: Naine d'Erebor Possessions: Sacoche à outils Statut: Joueur(se) actif(ve)
| Sujet: Re: LE CHEMIN Dim 28 Mai 2017 - 15:29 | |
| Ecroulée. Comme vidée de toute force, entre ses bras, le visage pâle, secouée de tremblements. Elle ne semblait plus rien ressentir, prisonnière d'un invisible carcan. Projeté des années en arrière, Drisdan se vit enfant, recroquevillé contre l'angle du mur, refusant toute interaction. Un éclair. Souffrance. Un autre. Solitude. Les bras refermés autour de Jes'Aoma, ce souvenir le frappa de plein fouet, douloureusement souligné par l'odeur de pain qui montait du bâtiment voisin.
Athrad Onodló, 20 ans plus tôt "Ho, petit ! Drisdan ! Driiiisdaaaaan !" Le fermier s'époumone en vain, de même que sa femme et que ses voisins. Leurs cris, résonnant à travers les rues du quartier, parviennent aux oreilles du garçon sans qu'il ne les entende. Adossé dans un coin, roulé en boule, il semble vouloir se fondre dans le mur jusqu'à disparaître entièrement. Les poings serrés, les bras croisés sur ses genoux, un filet de sang coagulé sur la main droite et sur la tempe, il est muet, sourd, aveugle. Les yeux grands ouverts sur un au-delà terrifiant. Environné de sacs de farine, il est dissimulé dans le grenier du boulanger, où l'habitude l'a mené comme un pantin dont on aurait coupé net les fils. Et puis, soudain, une main sur son épaule. Sursaut violent. Il bat des paupières, ses yeux affolés distinguant à nouveau le monde qui l'entoure. La femme du boulanger est penchée vers lui, les yeux humides. Nouveau pic de douleur en réalisant que le cauchemar est réel.
Chaque regard après celui-là avait eu pour lui une teinte de pitié ou de compassion qui le ramenait sans cesse au cauchemar. Celui qui devait être effacé de sa mémoire. Celui qui remuait les maudits fantômes de son passé. Les yeux fous de Jes', ses paroles heurtées, l'odeur de pain sorti du four, tout. Tout réveillait ce souvenir en sommeil au fond de sa mémoire. Cuisant, moins qu'au premier jour, violent, malgré les années. Il avait appris, changé, avec cette marque indélébile au fond de la mémoire. Et là, cette petite femme dans les bras, tombé à genoux sans réellement s'en rendre compte, il sentit la vague sombre comme un fond de mine qui l'avait emporté alors les frapper tous deux de plein fouet. Il ignorait tout de son histoire, mais sa détresse infinie était presque palpable. Il n'eut pas d'autre choix que de souffler :
"Tu n'es pas seule. Je ne te lâcherai pas."
Il resta là un long moment, pleinement conscient du temps qui s'écoulait et auquel Jes' semblait indifférente. La rue désertée, caressée par une légère brise, tout lui semblait douloureusement réel. Tout était douloureusement réel, sorti du brouillard reposant de l'habitude et de l'oubli. L'immobilité et le poids pourtant léger - trop léger - qui pesait sur ses genoux envoyaient des crampes vriller ses muscles.
"Jes'Aoma..."
Il chuchota son nom doucement, plusieurs fois, puis n'obtenant pas de réponse comprit qu'il allait devoir prendre les devants. Très lentement, aussi souplement que le lui permettaient ses muscles endoloris, il se redressa, portant la jeune femme dans ses bras. Il l'emmena chez elle, la déposa sur son lit et versa un peu d'eau dans un verre qu'il déposa à côté d'elle. Ayant enlevé ses souliers et ceux de l'inconsciente, il s'assit à même le sol et ferma les yeux, attendant son réveil.
Athrad Onodló (toujours 20 ans plus tôt) Dris' se réveille dans un lit inconnu, les draps blancs l'emprisonnant prouvant seulement combien son sommeil a été agité. Un verre d'eau posé à côté du lit lui fait prendre conscience de sa soif dévorante, et il boit comme si sa vie en dépendait. A côté du lit, une inconnue, les traits tirés et les mains calleuses, le dévisage d'un air grave. Elle ouvre la bouche et s'adresse à lui d'une voix rauque :
"Bonjour, Drisdan. Je m'appelle Luisa Alhuin"
Son regard a la clarté de ceux qui ont traversé l'enfer et sont revenus à la lumière en triomphateurs. Elle a la tête haute, elle est faite pour soigner et sauver, l'enfant le comprend rien qu'en la voyant. Elle est mère, peut-être sans enfants de sa chair mais dans son attitude toute entière. Accomplie.
Luisa avait su panser ses blessures, l'avait redressé. Elle comprenait mieux que personne sa douleur, pour avoir vécu mille morts semblables à la sienne. Et il lui semblait répéter l'histoire aujourd'hui, intimement convaincu que le regard sans âge et le désespoir si intense de sa protégée ne pouvait avoir d'autre cause. Lorsqu'elle remua, il prit une grande inspiration, loin de se sentir prêt mais déterminé à l'aider de son mieux. |
| | | Jes’Aoma Arlaine Embu
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| Sujet: Re: LE CHEMIN Jeu 15 Juin 2017 - 21:22 | |
| Elles étaient rares. Abondantes et douloureuses. Cela commençait invariablement par deux petites pointes de tiraillement. Et la peine enflait, gonflait pour envahir tout. A devoir restée pliée en deux, alitée parfois… Déverrouiller le corps, prendre sur soi, maquiller les séismes répétés dont l’écho devenait lancinant. Jes’ n’était pas une idiote. Elle savait les bases de fonctionnement de ces chairs qui lui pesaient tant. Comme une malédiction, toutes les douleurs en elles trouvaient leurs sources dans ce bas ventre infernal. A l’évidence, le viol atroce dont elle avait été victime avait détruit des morceaux d’elle, sa physiologie n’était pas conforme, elle en était persuadée. Les premiers signes tangibles de sa féminité étaient apparus bien avant cette terrible nuit. Aussi pourrait-elle décrire les effets de ce traumatisme. La douleur gémellaire s’accompagnait depuis d’inconvénients manifestes pour le moins embarrassants. Le flot ne s’évacuait plus en continu décroissant mais par vagues. Comme une bassine que l’on vide avant qu’elle ne déborde. C’était… incontrôlable et très gênant. La petite faisait avec, sa consolation tenant au fait qu’aucun enfant n’avait pris racine alors qu’ils étaient, dans son souvenir, sept. Et chacun s’était servi plusieurs fois. Mais chaque fois qu’elles s’annonçaient, elle revivait de l’intérieur les douleurs physiques, amplifiées. Une maladie incurable. Et il fallait que cela réapparaisse à ce moment précis… De la veille, elle ne se souvenait plus. Et se réveillait dans son lit, sous l’effet des ovaires proposant la vie ; elle ne savait pas. Jes’ était femme. Une femme désirable, comme toutes les femmes de son âge. Elle se tenait là, à côté de lui, dans un silence reposant. Mais aucun des signes d’un amour de cet ordre ne venait. Drisdan avait eu trop d’occasions désormais pour que le doute subsiste. Tout dans la situation présente la gênait. Elle lui était redevable de ne pas avoir abusé de la situation, redevable de l’avoir ramené chez elle, redevable d’être là, encore. Il avait même manqué son verre de lait matinal… Elle avait mal, et devait tout faire pour prendre des dispositions relevant de l’hygiène de base sans qu’il s’en aperçoive ; et il faudrait surtout taire des sentiments dont, elle n’aurait su dire pourquoi, Jes’ était persuadée qu’ils n’étaient pas partagés. Il fallait se rendre à l’évidence. C’était ainsi. Sa décision était prise. Evidence, oui, qui vous décharge instantanément d’un poids devenu insupportable. Elle allait avoir mal, assurément. Et les problèmes s’accumuleraient comme des cendres après les braises. Jes’Aoma, égoïstement, ne pensait pas à lui. L’instinct la poussait. Mais cette fois, le hasard d’une chute n’y serait pour rien. C’était bien elle qui décidait. Evitant de se confronter à lui, elle tenait ses yeux clos, revoyant ce jour de repos au cours duquel un morceau de viande avait volé de ses propres ailes. Dans son souvenir, ils en avaient souri. Et auraient pu partager les méandres d’eaux profondes, étonnamment limpides. Mais le printemps s’avérait infructueux. Et tandis que l’amertume passait, la fatalité bienveillante assécha ses yeux. Elle ne pleurerait pas. Même son corps n’aurait pas cette force-là. Jes’ était plus forte, plus forte que les catastrophes de la vie. Qu’il est facile de prendre une décision. Non face à des contingences incontrôlées. Faire un choix, sans être pressée. En ayant tout pesé. En connaissance de cause. Jes’ avait donné, elle s’était proposée, du mieux qu’elle pouvait. Et si elle avait offert trop peu, et maladroitement, elle avait vidé son sac et posé le butin sur la table. La vie n’en avait pas voulu, elle l’acceptait calmement. Les élancements reprirent de plus belle. Elle savait devoir faire face sous peu à un premier débordement de liquide rouge. L’urgence. Tout la poussait à rester seule en eaux troubles. Troubles… mais seule. Dans les mots qu’elle prononça alors, un sentiment d’irrémédiable, une injonction définitive. Elle ne voulait pas le mettre dans une situation inconfortable. Et s’il s’imaginait qu’elle perdait un bébé ? Trop de cruauté dans cette ultime pensée. Les délires des petites filles sont décidément impossibles à inventer. Jes’ était unique, jusqu’au bout. - Allez-vous-en. Une fièvre, un ordre, une supplique… Comment allait-il le prendre . Faites qu’il parte…. Vite… Au fond du lac, Jes’ était sèchement passée à la suite. © Gab MacFarland - Un seul choix:
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| | | Ciara Naine option nomade Nombre de messages : 437 Feuille de personnage Race: Naine d'Erebor Possessions: Sacoche à outils Statut: Joueur(se) actif(ve)
| Sujet: Nouvelle route Mer 28 Juin 2017 - 0:56 | |
| "Allez-vous-en."Comme un coup de griffes. Sec, net, sans fioritures. Désespéré, aussi. Avec cet accent d'ultimatum qui ne laisse pas le choix. Urgence dans le ton et supplique dans le regard. Drisdan relâcha doucement les muscles de ses bras, encore crispés de l'étreinte qu'il lui avait prodigué. Il redressa sa carcasse d'homme, désemparé. Trop respectueux et pas assez altruiste pour contester sa décision. Il demeura un instant debout, devant cette petite silhouette affaissée mais au regard fier encore, à contempler celle en qui il avait cru retrouver une soeur. Elle le chassait. Le coup de griffes avait laissé son empreinte sanglante, rouvert une plaie cicatrisée depuis vingt ans. Tranché net le lien qu'il avait esquissé entre eux. Comme un animal blessé, l'homme laissa là l'autre, à terre et pourtant vainqueur, et se détourna sans rien dire. Il avança le pied pour faire un pas, porta la main à son cou et se figea une seconde. L'espace d'un souffle, des milliers de paroles tourbillonnèrent dans son esprit, puis il se reprit. Sa main se changea en un poing fermé, qui quitta sa gorge d'un geste brusque et partit en arrière. Vers elle. En s'ouvrant, ses doigts laissèrent échapper un rien, une breloque pendue à un fil, un bouton de bois rongé par la sueur. Pauvre reste du passé. Il tomba dans la poussière près de celle qu'il quittait, tandis que lui prenait le chemin de l'auberge. Là, réunissant son paquetage en un tournemain, il jeta sur le comptoir de quoi régler ce qu'il devait encore. Adressant un signe de la main au patron, il poussa la porte de la salle basse et sombre et s'en fut. L'air du dehors était froid, la nuit sombre. Il hésita, pensa un moment demeurer dans le village encore une nuit et prendre la route au matin. Puis il repensa aux paroles échangées avec Jes'. "Si c'est ma présence qui t'éteint ainsi, je pars dès demain. Mais si au contraire je suis capable de te réveiller, pourquoi voiles-tu ton âme ?"Il n'en avait pas été capable. Ne restait que le départ. Alors, affermissant sa prise sur son sac de toile, il tourna le dos aux masures et s'enfonça dans l'obscurité. ~ Nouveau chemin ? ~ |
| | | Jes’Aoma Arlaine Embu
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| Sujet: Re: LE CHEMIN Mer 5 Juil 2017 - 13:28 | |
| - L'air du temps:
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| | | | LE CHEMIN | |
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