Le trône de Sauron

Dolan traversa les Terres du Milieu tel un ouragan noir sur son maléfique destrier. Il mit le cap à l’est, vers les montagnes menaçantes du Mordor. Arrivé à la Porte Noire, il n’eut même pas à s’annoncer pour que les gigantesques gonds tournent sur eux-mêmes pour laisser s’entre-ouvrir la monstrueuse porte. Qui d’autre qu’un serviteur de Sauron pouvait avoir cette allure démoniaque ?
Le paysage qu’elles dévoilèrent laissa Dolan de marbre. Cette lande désertiques, hérissée de pics et d’habitations plus que sommaires avait de quoi donner des frissons au plus courageux des hommes mais Dolan était-il encore un homme ?

Sans injonction de sa part, le monstrueux cheval qu’il montait avança de lui-même vers son pays natal, marchant sur la cendre et écrasant les os cassants qui recouvraient le sol. Derrière lui, les portes se refermèrent bruyamment. Dolan voulut jeter un coup d’œil en arrière mais sa profonde capuche l’empêcha de distinguer une dernière fois ce qu’il avait jadis appelé les terres libres. Jamais il ne s’y était senti vraiment libre en réalité. Il préféra donc reporter son attention devant lui, sur l’immensité désolée qui s’offrait à sa vue. Il avisa la tour de Barad-dùr qui s’élevait devant la Montagne du Destin. C’était là qu’il devait aller.

A sa grande surprise, personne ne tenta de l’arrêter dans son ascension. Il y avait tout autour de lui des orcs, des trolls et d’autres créatures burlesques qu’il aurait été bien en mal de nommer. Un savant fou semblait s’amuser ici à hybrider des créatures entre elles, et les résultats obtenus claudiquaient ci et là dans la poussière noire. Elles s’écartaient cependant alors que Dolan gravissait le chemin, comme effrayées par le nuage noir et nauséabond qui l’entourait toujours.

Bientôt, Dolan parvient aux portes de la Tour Sombre. Là, les portes étaient closes. Mais il n’eut à attendre que quelques secondes pour qu’elles s’entrebâillent et laissent apparaître la plus abjecte face d’orc que Dolan eu jamais contemplée. Son faciès charbonneux était percé de maints anneaux et d’immondes cicatrices purulentes lui couvraient le visage.

-Vous êtes attendu voyageur, articula la créature. Mettez pied à terre et entrez.

Là-dessus, l’orc s’effaça pour le laisser passer. Dolan descendit de cheval et entra sans un regard en arrière. Il était certain que dès qu’il aurait à nouveau besoin d’une monture, on lui en fournirait une similaire. L’orc referma la porte derrière lui et se traîna jusqu’à la cours centrale de la Tour.

-Le Seigneur Sombre va vous recevoir… Mais qui dois-je annoncer ?

Dolan avait déjà réfléchi à cette question. Probablement un vestige de sa personnalité originale, même s’il ne considérait pas son état actuel comme une nouvelle personnalité. C’était en effet quelques chose de plus profond et de plus imbriqué dans sa personne depuis qu’il avait revêtit ce masque. Cependant, le jeu des noms d’emprunts continuait à l’amuser.

-Annonce à ton maître que Lord Nalod est ici, répondit-il. Et qu’il est impatient de mettre ses talents à son service.

Sa voix résonnait bizarrement sous le masque. Elle était plus rauque, plus dure. On aurait dit le raclement d’un bâton sec sur la pierre.

-Dites au Seigneur Sauron que je suis son serviteur et que j’attends ses ordres.

L’orc s’inclina et disparu dans la pénombre.

Lord Nalod pénétra dans l'immense salle où siégeait le Sombre Seigneur du Mordor. Il retint sa respiration en distinguant la masse informe qui était avachie sur le trône noir. Elle se releva à son approche et Dolan fut surprit de découvrir un visage blafard, mais non dénué de beauté. Une beauté glaciale et figée, habitait en effet les traits elfiques de la créature qui occupait le trône. Une lourde couronne noire lui ceignait le front, juste au dessus de deux yeux rouges et mauvais. Un nez discret surmontait ensuite des lèvres fines qui formaient un sourire cruel. Son menton imberbe disparaissait dans le haut de son habit d'un noir profond.

-Lord Nalod... fit Sauron le Noir à son approche. Et... de quelles terres vous prétendez-vous Lord?

Dolan mit un genou à terre dès que la voix de son nouveau maître retentit et baissa la tête.

Dolan ne se demanda pas comment Sauron était au courant de sa vie antérieur. Il était en face d'un personnage à la puissance incommensurable, comment aurait-il pu ne pas savoir?

-A vos ordres, mon seigneur, répondit-il simplement avant de se retirer prestement sur une brève injonction de son nouveau maître.

Nalod ressortit rasséréné de son entretien avec son nouveau maître. Il s’attendait à pire de celui dont on lui avait tant conté le caractère maléfique. Il en était presque déçu. Sauron ne différait pas tant que cela des autres grands seigneurs qu’il avait pu rencontrer au cours de ses existences. Il était avide de puissance, de pouvoir et de contrôle. Comme tant d’autres.

Dolan était aussi heureux d’une chose : Sauron ne l’envoyait pas combattre immédiatement les hommes de l’ouest. Il n’était pas certain de sa force de caractère pour tenir tête à ses scrupules. Serait-il capable de brandir une épée contre ses anciens amis ? Serait-il capable d’affronter son propre fils le moment venu ? Ce n’était encore qu’un enfant, mais pour combien de temps encore ? Et Carmine ? Aurait-elle l’intelligence de mettre sa fierté arnorienne de côté lorsque l’armée du Mordor ravagerait sa contrée natale ? Mieux valait aller étriper quelques orientaux et mettre de côté ces problèmes pour l’instant…

-Seigneur Nalod, l’interpela une voix dans son dos.

Dolan se retourna pour contempler l’orc qui lui avait ouvert la porte quelques minutes plus tôt.

-Oui… Je n’ai pas saisi votre nom tout à l’heure…

-C’est que je ne l’ai pas dit, articula la créature. Personne ne demande jamais son nom à un portier, fut-il celui du Seigneur des Ténèbres en personne.

-Et bien moi je vous le demande, répliqua Dolan amusé.

Cet orc semblait se désoler du peu d’attention dont il était l’objet. Avant qu’il ne revête sont masque, Dolan n’avait jamais discuté avec un orc et il était surprit que cette espèce puisse avoir le même besoin basique de reconnaissance qu’un être humain.

-Puisque vous le demandez, je me suis nommé Shnahrdfzkhf.

Dolan cru d’abord à un éternuement avant de se rendre compte que l’orc venait simplement de décliner son état civil. Ce nom n’était pas fait pour être prononcé par une gorge humaine.

-Très bien… Shnark, résuma-t-il. Vous vouliez me parler ?

-Oui, Seigneur Nalod. Notre maître Sauron le Grand vous a alloué une compagnie d’orcs pour votre mission. Une centaine de cavaliers wargs vous attendent. Leur chef Krnhorpfhd vous attend… Attendez-vous à des problèmes avec ce capitaine, ajouta Shnark après une hésitation.

Était-ce sa manière de remercier Dolan pour son attention ? Quoi qu’il en fut, Dolan hocha la tête d’un air pensif.

-Ah… Et pourquoi ce capitaine Knorpf me poserait des problèmes ? Je suis son supérieur, il m’obéira. Ou bien il en paiera le prix.

-Krnhorpfhd est un vétéran. Un guerrier qui a vu plus de batailles que bien des orcs et qui a survécu à toutes. Il a imposé son joug d’acier sur sa troupe en décapitant et se nourrissant de tout orc assez fou pour remettre en question son jugement. Il ne vous aimera pas car il hait les humains. Tous les humains. Même les nùménoréens noirs qui ont autrefois erré parmi nous et qui par bien des côtés étaient plus proche de nous que de leur peuple d’origine.

-Je vois, répondit Dolan. Et bien si Dormegil doit boire du sang noir à nouveau elle le fera avec plaisir… Menez-moi à mes troupes, je veux voir ce capitaine et régler ce problème au plus tôt.

Sur un hochement de tête, l’immonde créature accompagna Dolan à travers les corridors de Barad-dùr, jusqu’à l’immense cours intérieure où étaient rassemblés les orcs qui formeraient la compagnie de Lord Nalod en orient. Aucun d’entre eux ne leva la tête de ses occupations lorsque Dolan pénétra dans la cours. Un orc chauve se détachait du lot par sa taille et sa carrure. Il affectait de nourrir son immense warg avec ce qui restait d’un cadavre déchiqueté. Par moment, il prélevait lui-même un bout de chair pourrie pour l’avaler goulument. Il n’avait pas plus levé les yeux de sa besogne que ses compagnons, mais Dolan savait qu’il n’ignorait rien de sa présence. Un coup d’œil vers Shnark lui confirma son intuition. Il s’agissait bien du capitaine Knorpf.

Dolan s’avança dans la cours et marcha jusqu’au capitaine pour se planter en face de lui, attendant une réaction. Il n’y en eut aucune. Sans hésitation, Dolan dégaine sa grande épée. C’est seulement alors qu’un semblant d’intérêt sembla éveiller les yeux du capitaine. Mais c’était trop tard. D’un geste vif, Lord Nalod fit décrire un arc de cercle à sa lame qui alla décoller proprement la tête du capitaine de ses épaules. Il termina son geste élégamment en plantant la pointe de Dormegil dans la bouche ouverte du warg qui se goinfrait encore. L’animal couina tandis qu’il s’effondrait, agité de spasmes. Le capitaine lui, s’écroula simplement, sans un bruit.
Dolan planta la pointe de son épée dans la terre et considéra son entourage. Cette fois-ci, il semblait avoir toute l’attention de ses orcs.

-Je ne compte pas manger d’orc ce soir, annonça-t-il à l’assemblée. Mais s’il me faut faire voler quelques têtes de plus, ce sera avec plaisir et délectation.

Il laissa peser la menace quelques secondes avant de poursuivre.

-Notre Seigneur Sauron m’a confié une mission. Et vous a ordonné de m’aider à l’accomplir. Vous savez tous comment fonctionne le Mordor. Si vous faites vos preuves avec moi, vous serez récompensés. Si vous vous avérez de piètres alliés, vous en paierez le prix. Comme l’a fait votre ancien capitaine. A ce sujet d’ailleurs, j’aurais besoin d’un nouveau capitaine. Faites votre choix cette nuit et demain, votre capitaine viendra me trouver ici-même pour que nous nous mettions en route.

Sur ces mots, il se détourna, faisant voler sa cape noire et rentra dans les bâtiments, prestement suivi par Shnark.

-Vous apprenez vite nos coutumes, Seigneur Nalod. Vous irez loin.

-J’irais aussi loin que le Seigneur Sauron me demandera d’aller, c’est aussi simple que cela.

L’orc lui adressa ce qui aurait pu passer pour un sourire sur un visage moins torturé.

-Je vous laisse au soin de la vermine, fit-il en désignant un petit orc malingre. Il vous conduira à vos appartements.